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Pourquoi les parents devraient se poser des questions sur le temps qu’ils passent eux-mêmes devant des écrans avant de se préoccuper du comportement de leurs enfants
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Exemplarité

Le problème du "parent distrait", continuellement absorbée par l'écran de son téléphone ou autre concerne de nombreux foyers français. Et cette attention partielle, intermittente, a des effets dévastateurs.

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini

Nathalie Nadaud-Albertini est docteure en sociologie de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (EHESS) et et actuellement chercheuse invitée permanente au CREM de l'université de Lorraine.

 

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Atlantico : Le temps passé devant les écrans ne concernent pas que les enfants. Plusieurs études pointent les dangers de la parentalité "distraite " ou "intermittente", car ils passent également beaucoup de temps devant les écrans, eux aussi. Les parents seraient physiquement présents dans la vie de leurs enfants, mais moins impliqués émotionnellement.. Quelles sont les conséquences de cette attention "partielle"?

Nathalie Nadaud-Albertini : Les parents passent plus de temps devant les écrans qu’auparavant, et de fait,  ont une communication verbale plus pauvre avec leurs enfants que s’ils ne partageaient pas leur attention entre ces derniers et les écrans. Les interactions langagières entre parents et enfants jouent un rôle dans l’éducation et la réussite scolaire. On est face à une situation différente de celle où les parents sont absents physiquement parce qu’ils sont pris par leurs obligations. En effet, dans ce cas, on peut dire à l’enfant qu’on est présent émotionnellement, en insistant sur le fait qu’on pensera à lui pendant la période d’absence physique. En revanche, quand les parents sont présents physiquement mais détournent leur attention de leurs enfants pour se consacrer aux écrans, ils envoient à leurs enfants le message qu’ils sont moins importants à leurs yeux que tout ce qui peut se passer via l’écran. L’enfant aura alors le sentiment que le parent est indifférent à son existence, ou à tout le moins que dès que le parent reçoit une sollicitation de l’extérieur, le parent y consacrera son attention.

Difficile dans ces conditions de développer une relation de confiance et de donner une impression de stabilité à l’enfant, car ce dernier aura toujours le sentiment d’urgence dans la sollicitation de l’attention parentale. Il ne développera pas l’habitude d’être dans une relation sereine et rassurante avec ses parents.  

De plus, cette attention « partielle » revient à apprendre aux enfants dès le plus jeune âge qu’il faut toujours être disponible pour toute sollicitation extérieure en acceptant de reléguer la vie familiale et privée au dernier plan. C’est leur transmettre dès l’âge tendre des « compétences » les prédisposant au fameux FOMO (Fear of Missing Out).

En outre, partager son attention entre son enfant et son smartphone, c’est comme essayer d’envoyer des sms en conduisant, l’attention non dédiée au smartphone se réduit et on peut mal interpréter les indicateurs de l’autre activité ou les ignorer. On peut ainsi réagir de façon inappropriée aux sollicitations d’attention de l’enfant en estimant qu’elles sont abusives ou à visée manipulatoire.

Le développement de l'enfant est relationnel , mais dans quelle mesure est-il également "conversationnel"?

Le développement de l’enfant est également « conversationnel » au sens où le fait que les parents parlent à leurs enfants permet à ces derniers d’acquérir de solides compétences linguistiques qui leur permettront par la suite de mieux réussir à l’école et de dialoguer aisément avec leurs camarades et les autres adultes. De plus, la relation « conversationnelle » avec les parents est importante dès le berceau, car c’est ainsi que l’enfant apprend à développer des compétences conversationnelles spontanées. Car, il se trouve dans une période où il peut apprendre à s’exprimer plus spontanément que par la suite. En effet, après, l’enfant entre à l’école où on lui demande de se taire pour écouter pendant des plages de temps de durée variable selon l’âge. S’il n’a pas appris avant à s’exprimer spontanément, il peut avoir plus de difficultés à le faire ensuite, sans que ce soit impossible non plus. En effet, l’école est également un lieu de socialisation important où l’on apprend à interagir avec les autres, notamment par la parole. Disons que l’enfant se sentira plus à l’aise avec les autres enfants et les adultes s’il a déjà l’habitude d’une relation de confiance où il peut s’exprimer.

Les jeunes enfants sont-ils condamnés dans ce cas de figure à faire tout ce qu'ils peuvent pour attirer l'attention d'un parent distrait? A être plus colériques, plus frustrés et plus impatients ?

Sur le court terme, oui, ils réagiront comme tout  jeune enfant qui cherche à attirer l’attention de ses parents.

Ce qui m’interpelle est davantage le rapport au long terme. Je me demande en effet si les enfants n’apprendront pas à évoluer dans une modèle relationnel où ils sont toujours en concurrence avec un autre inconnu accessible via le smartphone qu’ils devront surpasser pour obtenir l’attention de leurs parents. Ce modèle n’est pas sans évoquer l’évaluation constante à laquelle on s’habitue de plus en plus sur les réseaux et les plateformes socio-numériques (type Airbnb, Blablacar etc.) ou via certaines émissions de télévision comme Quatre mariages et une lune de miel ou Bienvenue chez nous. Intégrer dès le berceau un modèle de concurrence permanent me semble un peu inquiétant. Ceci dit, nous ne pouvons pas nous prononcer avec certitude sur ce qui adviendra sur le long terme, car nous ne sommes qu'au début de ce type de parentalité.

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