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Angela Merkel et Horst Seehofer.
Angela Merkel et Horst Seehofer.
©Odd ANDERSEN / AFP

Crise politique en Allemagne

La crise ouverte entre Angela Merkel et son ministre de l'intérieur, Horst Seehofer, montre la fragilité de la coalition gouvernementale en Allemagne, qui avait eu tant de mal à se mettre en place.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Alors que la période de négociation en voie de la constitution d'une grande coalition en Allemagne avait traîné en longueur, la fragilité du gouvernement de Berlin a été révélée au cours de cette semaine, au travers d'une crise ouverte entre Angela Merkel et son ministre de l'intérieur, Horst Seehofer. Alors que la question de confiance du gouvernement a été posée par le député CDU Axel Fischer dans le quotidien Bild, comment mesurer la probabilité d'une chute du gouvernement Merkel IV ? 

Edouard Husson : C’est très difficile à prévoir car Madame Merjel ne peut être remplacée que si les députés qui votent pour la renverser ont un candidat à lui substituer (c’est le principe du “vote de défiance constructif’). L’autre scénario serait que la CSU se retire du gouvernement et que, ne disposant plus de majorité, Madame Merkel ne puisse plus rester chancelier. Le président appellerait à de nouvelles élections. Pendant des années on a regardé avec une certaine commisération l’Italie et sa difficulté à constituer des gouvernements. En l’occurrence, c’est l’Allemagne qui a mis six mois à constituer un gouvernement, lequel est très fragile car profondément divisé, en particulier sur la question de la politique d’immigration. Le SPD et une majorité de la CDU soutiennent encore Angela Merkel dans l’idée qu’il faille réformer pragmatiquement les Accords de Schengen; mais le reste de la CDU fait bloc avec la CSU pour demander le retour à une politique nationale de contrôle de l’immigration, que la Bavière est prête à mettre en oeuvre rapidement - la police dépend des Länder. Ce qui retient sans aucun doute les rebelles d’aller jusqu’au bout, c’est le risque qu’implique de nouvelles élections: renforcement très probable de l’AfD, chute continuée du SPD, risque de déclenchement d’une crise européenne majeure. 

Dans le cas ou Angela Merkel choisissait une solution d'exclusion de la CSU, quelles pourraient être les conséquences politiques dans le pays, mais également au niveau européen ? 

Par tempérament, Madame Merkel n’exclut personne. Elle préfère que les gens sortent d’eux-mêmes et elle ferme la porte derrière eux. Ou bien ils se soumettent à ses objectifs. Son problème, en l’occurrence, vient de ce que Horst Seehofer joue la majorité de son parti aux prochaines élections parlementaires bavaroises, à l’automne. La CSU sera-t-elle capable de retrouver une majorité absolue à la Diète régionale de Munich; arrivera-t-elle à briser l’influence de l’AfD? Rien n’est moins sûr. Mais Seehofer n’a pas le choix; il ne peut pas capituler à nouveau devant les exigences de Merkel. Cela lui a trop coûté de voix aux élections fédérales. Il est donc probable que ce soit plutôt Madame Merkel qui cède. Elle demandera à Seehofer d’attendre le prochain sommet européen; puis elle le laissera faire ce qu’il veut en Bavière, une fois le sommet passé. Ce faisant, la chancelière révèlera surtout son affaiblissement. On peut être sûr qu’elle ne finira pas son quatrième mandat. La question est de savoir à quelle vitesse son autorité finit de se décomposer. Les Allemands n’aiment pas le changement. La classe politique et la population auront tendance à procrastiner, à retarder la chute d’Angela Merkel. On peut imaginer qu’une crise européenne revigore provisoirement la Chancelière car on aura besoin de l’Allemagne pour la résoudre. Cependant, une crise européenne fera ressortir d’une autre manière les clivages forts au sein de la majorité, entre les européistes pragmatiques et les monétaristes intransigeants. C’est un clivage qui recouvre à peu de choses près celui sur l’immigration. 

Faut il voir cette situation actuelle comme un autre symptôme de la crise actuelle qui traverse l'Europe, mettant les gouvernements nationaux en difficulté pour réconcilier positions européennes et politique intérieure ? 

La vitesse à laquelle se produit la décomposition du système libéral est impressionnante. Nous pouvons avoir de la sorte une petite idée de ce qui s’est passé dans l’ancien bloc soviétique à la fin des années 1980. Là c’est à notre tour de vivre une décomposition politique de l’intérieur. Regardez comme l’Autriche, la Hongrie, l’Italie et la Bavière convergent vers une alliance des conservateurs. Regardez à l’inverse comme Emmanuel Macron est isolé, lui qui n’avait misé que sur Angela Merkel et qui assiste à la fragilisation croissante de la Chancelière. Nous assistons à la fin de l’ère libérale qui a commencé dans les années 1960. C’est la fin de 1968, si vous préférez. Les dirigeants américains et européens sont allés tellement loin en matière de libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises qu’ils ont cassé les régulateurs de leur propre système. Les peuples, toujours plus éprouvés par des politiques abstraites, désincarnées, font entendre leur désapprobation. Après une ère populiste, des opposants conservateurs commencent à se donner les moyens de prendre le pouvoir. L’élection de Donald Trump a été véritablement le séisme qui effraie les libéraux; mais non, comme ils le pensent, parce que le diable aurait forcé la porte du paradis; parce que Trump se révèle au bout du compte un conservateur et non plus un populiste: il est en train de conquérir définitivement l’un des deux grands partis de gouvernement. Quand il a été élu, tous les libéraux avaient été émus d’entendre Obama confier le flambeau de ses idées à Angela Merkel. Dix-huit mois plus tard, Trump est en train de consolider son pouvoir, tandis qu’Angela Merkel voit son autorité s’effriter un peu plus chaque jour. 

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