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Cette technocratie européenne qui semble avoir oublié qu’elle était hostile à l’entrée de l’Italie dans l’euro
©GIUSEPPE CACACE / AFP

Amnésie

Les chiffres sont éloquents : l’Italie est à l'arrêt depuis un peu plus de quinze ans. La faute en incombe aux responsables politiques.

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Atlantico : Que vous inspire la situation italienne ?

Bruno Alomar :D’abord, le sentiment d’un gigantesque échec. Les chiffres ont beau être rabattus, ils sont éloquents : l’Italie s’est arrêtée depuis un peu plus de quinze ans.

Ensuite, mais ceci remonte à plusieurs mois déjà, une profonde inquiétude. L’Italie a toujours été profondément europhile. La survenance d’une majorité eurosceptique en Italie depuis quelques mois est un séisme dont personne, à commencer par les élites dirigeantes françaises, allemandes et européennes n’a voulu prendre la mesure. Il y a désormais un risque réel – faible – de sortie de l’Italie de la zone euro, ce qui ouvre une série de scénarii catastrophes possibles.

Qui sont les responsables de ce désastre ?

D’abord, au risque de choquer, ce sont les italiens. L’essentiel des difficultés de ce pays ne vient pas de l’euro. Ces difficultés viennent du fait que ce pays est en réalité, c’est là encore un truisme, composé de deux pays différents : le Nord développé, et le Sud sous-développé.

Depuis que Lampedusa l’a si bien décrit dans le Guépard, l’Italie ne sort pas de cette difficulté.

Il est à cet égard utile de rappeler que si dans le Traité de Rome de 1957 - qui a créé ce qui allait devenir l’Union européenne - les Allemands sont venus avec la concurrence et les français avec la PAC, c’est à la demande de l’Italie qu’a été créée la politique de cohésion.

Ensuite, par comparaison, il faut souligner que si l’Italie a été globalement incapable de procéder à la modération salariale que l’euro impose, d’autres pays, comme l’Espagne, ont su faire ces efforts. Entre 2000 et 2016, nous dit Eurostat, les coûts salariaux espagnols sont passés de 100 à 108, après un pic à plus de 140 en 2008, ce qui en dit long sur l’effort de modération salariale que les espagnols ont accepté depuis la crise. L’Italie, elle, sur la même échelle, a des couts salariaux à plus de 130. En clair : un pays se donne les moyens de rester dans la zone euro, l’autre non.

Tout de même, vous ne pouvez pas nier que l’euro a fait du mal à l’Italie ?

Une chose est certaine depuis quelques années maintenant : l’euro ne fonctionne pas, car en l’absence de mécanismes correcteurs, il revient à appliquer à tous les pays une politique monétaire unique alors qu’ils ont des besoins différents. C’est comme un médecin qui donneraitle même remède à des patients qui ont des pathologies différentes.

Cela dit, la question ce qui me frappe, c’est l’importance démesurée que l’on accorde à l’euro, qui est selon moi l’un des principaux problèmes de l’Europe. Tout le monde fait comme si la politique monétaire était l’alpha et l’Omega des économies. C’est profondément faux. Bien sûr, une politique monétaire – et ses effets sur le change - contra cyclique a des effets pervers. Mais ce qui fait la croissance solide, durable, ce ne sont pas les politiques conjoncturelles, mais les politiques structurelles. Et là, c’est peu dire que le bât blesse en Italie. Le système éducatif italien est en piteux état, ce qui impacte directement la productivité du travail qui est la clé de la croissance de long terme. Et que dire du rapport au droit, de la force du contrat, de la confiance dans les institutions, tous domaines dans lesquels l’Italie a des insuffisances patentes. Que dire encore de la démographie, problème immense que la plupart des Etats européens s’obstinent à nier, dont l’Allemagne.

Cette erreur n’est pas qu’économique. Elle est, c’est bien pire, politique. C’était une erreur fondamentale de donner à l’euro la force politique qu’il a. Quand Angela Merkel dit au Bundestag « si l’euro échoue, l’Europe échoue », elle conditionne toute la réussite du projet européen à la question de l’euro. C’est le propre de l’idéologie. Et les dégâts sont aussi grands que dans le domaine migratoire.

Vous parlez d’idéologie : les élites européennes, technocratiques, sont-elles idéologues ?

C’est beaucoup plus compliqué que cela.

D’abord, il faut rappeler une vérité qui dérange : la technocratie européenne, à la fin des années 1990, était hostile à l’entrée de l’Italie dans l’euro. Le Commissaire De Silguy, de manière répétée, a alerté sur le fait que l’économie italienne ne remplissait pas les critères nécessaires et que l’introduction de l’euro aurait des effets désastreux en Italie. Jean Claude Trichet était sur la même ligne. En fait, par hubris politique, on a fait avec l’Italie la même chose qu’avec la Grèce : la Politique avec un grand « P » primant, il était inimaginable de laisser l’Italie sur le bord de la route. En d’autres termes, ce ne sont pas les technocrates européens qui sont responsables de cette situation : ce sont bien – et en démocratie il faut l’admettre et ironiquement s’en réjouir – les politiques. Il est temps de regarder les problèmes de l’Europe d’où ils viennent vraiment : de la médiocrité des hommes et femmes politiques qui nous dirigent depuis quelques décennies.

Si l’on regarde la situation actuelle, les choses ont changé.

D’un côté, il y a l’Allemagne, qui se donne les moyens de réfléchir à des scenarii de sortie/ fin de l’euro. W. Schauble lui-même, dans une déclaration passée totalement inaperçue il y a quelques années, a dit en substance « non, la crise de l’euro n’est pas finie, et d’ailleurs je n’ai pas dans mon ministère les compétences nécessaires pour y réfléchir, donc je vais aller recruter des jeunes gens brillants dans le privé ». D’un autre coté il y a la France : je ne donne pas cher de la carrière d’un haut fonctionnaire du Trésor qui prétendrait commencer à réfléchir au sujet…

Marc Bloch l’a très bien dit dans l’Etrange défaite : elle survient quand l’on refuse de penser les problèmes. Il y a à l’évidence un impensé fantastique sur l’euro, que la crainte du caractère auto réalisateur sur les marchés financiers du fait que l’on envisage sa fin ne justifie pas. Si l’Italie ou un autre pays décide de sortir de l’euro, quoi qu’on en pense, et je crois pour ma part que ce serait une folie, il faudra bien traiter le sujet.

Dans ce contexte, quel regard porter sur les projets de la France pour la zone euro ?

J’ai, de mémoire dans vos colonnes, estimé dès le discours de la Sorbonne, qu’il n’y aurait pas de réforme de la zone euro telle qu’envisagée par Emmanuel Macron, d’abord et avant tout parce que la France ne se réforme pas suffisamment pour le permettre. Avec la crise italienne, surtout si elle s’envenime, il y a deux scénarii.

Dans le premier scénario, l’Allemagne prend peur, et décide de faire un pas vers les autres pays. Dans ce cas, il y a aura sans doute une détente spectaculaire sur les marchés financiers, et le sentiment que le combat a changé d’âme. Ce sera une inflexion profonde de la construction européenne, que l’Allemagne aura du mal à digérer. L’AFD a de beaux jours devant elle.

Dans le deuxième scénario, l’Allemagne tient sur ses convictions ordo-libérales et alors deux possibilités s’ouvrent : l’Italie cède, comme la Grèce. L’Italie se braque, et l’Europe est en danger de mort.

Pour ma part, j’ai tendance à penser que les défauts de la zone euro, bien qu’il ne faille pas en surestimer les effets, ne peuvent pas être corrigés. Les Etats ont des intérêts et des conceptions monétaires trop éloignées. Tôt ou tard, je pense que l’Allemagne et l’Italie ne partageront plus la même monnaie. Ce ne devrait pas être un drame…mais cela le sera sans doute du fait de l’incapacité des élites soit de l’empêcher, soit de l’organiser.

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