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«  Priorité à la croissance pour l’Italie en respectant les règles européennes... ou pas quand elles sont irrationnelles » : interview exclusive avec Alberto Bagnai, l’économiste de la Ligue
©ANDREAS SOLARO / AFP

Politique italienne

Voici quelques jours, intervenait la surprise de la démission du président du Conseil, Giuseppe Conte, actant ainsi le refus du président Mattarella de nommer Paolo Savona au ministère des finances, en raison de son euroscepticisme et des craintes relatives aux intentions de l'alliance entre le Ligue et le M5S de préparer une sortie de l'euro.

Alberto Bagnai

Alberto Bagnai

Alberto Bagnai est un économiste et homme politique italien, éditorialiste de il Fatto Quotidiano et il Giornale, élu Sénateur de la République Italienne pour la Circonscription proportionnelle de la région des Abruzzes avec la Ligue de Matteo Salvini aux élections du 4 mars 2018. Il est aussi professeur associé à l'université de Pescara et chercheur associé au Centre de recherche en économie appliquée à la mondialisation (CREAM) de l'université de Rouen. Ses domaines principaux de recherche sont le post-keynésianisme, la macroéconomie, l'économétrie.
 
Son site internet goofynomics, créé en 2011, est devenu l'un des plus suivis en Italie avec un bon classement dans la catégorie « économie et finances » en novembre 2013
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Atlantico : Voici quelques jours, intervenait la surprise de la démission du président du Conseil, Giuseppe Conte, actant ainsi le refus du président Mattarella de nommer Paolo Savona au ministère des finances, en raison de son euroscepticisme et des craintes relatives aux intentions de l'alliance entre le Ligue et le M5S de préparer une sortie de l'euro. Quelles étaient les réelles intentions de la coalition entre les deux partis ? 

Alberto Bagnai : La situation est un peu paradoxale car on nous a attribué une sortie de l'euro qui n'était pas dans nos programmes. Ce dont nous avons parlé, ce qui est écrit bien sûr dans le programme de la Ligue, était de réexaminer les traités européens et non pas de sortir de l'euro par un acte unilatéral. Ce que la Ligue - en tant que Ligue - proposait était de discuter avec nos alliés européens, et si nous n'y arrivions pas, nous proposions d'en revenir à un système monétaire équivalant à celui qui existait avant le traité de Maastricht. Mais cela n'était pas une proposition violente ou unilatérale, nous demandions simplement une réflexion sur cela, du fait que l'expérience de l'euro, de toute évidence, n'est pas un succès, ni pour nous ni pour plusieurs autres pays européens, y compris la France. Mais cela était la proposition du programme de la Ligue.

Après, nous avons travaillé pendant presque 3 mois, et dans les dernières 3 semaines, nous avons travaillé avec le M5S qui a demandé d'enlever cette proposition, ce que nous avons accepté. Ce qui restait était la nécessité de rediscuter des règles budgétaires dont l’irrationalité est évidente. Parce que ces règles nous ont forcé à faire des politiques procycliques en récession et vont peut-être nous forcer à faire des politiques contra-cycliques en expansion. Cela est parfaitement irrationnel. Les prévisions de croissance sont telles qu'en 2021, le PIB par tête des Italiens aura atteint le niveau qu'il avait en 2003, nous avons un trou de 18 années pendant lesquelles l'Italie n'a pas eu de croissance économique.

Il est donc clair que notre priorité est la croissance dans la mesure où l'on peut l'atteindre en respectant les règles européennes, et peut-être, si cela n'est pas possible, de s'astreindre de certaines de ces règles. Il faut se souvenir qu'un dangereux populiste, Matteo Renzi, c’est-à-dire le secrétaire du Parti Démocrate, avait dit en 2015 "les seuls pays qui ont une croissance économique dans la zone euro sont ceux qui ont enfreint les règles". Donc le Parti Démocrate était aussi conscient de l’irrationalité de ces règles et se proposait de les discuter. Nous n'avons pas compris, en tant qu'Italiens, pourquoi le gouvernement du Parti Démocrate n'a pas défendu les intérêts des Italiens et de l'Italie compte tenu du fait que les intérêts de notre pays sont aussi les intérêts de l'Europe. Parce que l'Italie est une part importante de l'Europe du point de vue économique, et ne parlons même pas du point de vue de l’identité culturelle européenne.

La décision de Sergio Mattarella est donc injustifiée et incompréhensible, parce que Paolo Savona, au contraire de ce que disent les journalistes italiens, est un européiste et l'a toujours démontré. Il a eu recours de façon continuelle aux principes de l'Union européenne tels qu'ils nous avaient été proposés à nous tous, Italiens comme Français. Mais on peut voir que cet esprit n'est pas commun à tous les peuples et peut-être surtout à tous les hommes politiques européens. On a pu voir ce mardi un homme politique allemand menacer l'Italie des représailles des marchés. Cet homme politique appartient à un peuple qui, en Italie, s'était illustré il y a quelques dizaines d'années par d'autres représailles. Ces mots ne sont pas le véritable esprit européen et cela est très loin de l'esprit de Paolo Savona. Le choix de Paolo Savona était le choix d'un homme qui a servi dans toutes les institutions les plus importantes d'Italie, le Medef italien, la Banque d'Italie, il a été ministre, il connaissait tous les auteurs de la monnaie unique, il a coopéré au projet européen car il y croyait et il y croit. Le fait d'avoir eu cette expérience au sein de la Banque d'Italie en fait quelqu'un qui a une connaissance très profonde des institutions. C'est quelqu'un qui pouvait, de façon crédible, négocier de meilleures conditions pour l'Italie et donc pour l'Europe – j'insiste que nous voulons la croissance économique en Italie car nous la voulons en Europe -. Il était beaucoup plus crédible dans ce rôle que les amis de Monsieur Renzi.

Cette décision est donc inexplicable. On doit se tenir à ce que notre Président a déclaré dans son discours public, où il a dit que les marchés s'inquiétaient. Quelqu’un a lu ces mots comme l’indication que le Président aurait reçu et accepté des pressions de l'étranger. Il aurait donc conditionné l'exercice de la démocratie italienne à des pressions qui ne venaient pas du corps électoral. Ceci serait inacceptable, et ceci a été blâmé par quasiment tous les constitutionnalistes italiens. Il avait été blâmé avant, il a été blâmé après.

Comment interprétez-vous la réaction des marchés sur les taux d'intérêts italiens ? Y voyez-vous une réaction à un scénario ou la Ligue serait en capacité d'obtenir une majorité, d'ici à la fin de l'année, avec un objectif de sortie de l'euro ? Pour reprendre les mots du Commissaire Oettinger, les marchés vont-ils apprendre aux italiens pour qui voter ? 

Le président Mattarella a également été blâmé par les marchés, car ceux-ci ne se sont pas stabilisés après cet épisode. Certains investisseurs ont aussi vu ici une violation des règles démocratiques et s'en sont inquiétés. Parce que cette violation des règles ouvre des scénarios que nous ne pouvons pas estimer, et surtout a amené à une radicalisation du débat que nous souhaitions, et souhaitons encore, conjurer. Nous ne voulons pas que le débat soit radicalisé, il n'est pas souhaitable que ce débat soit pour ou contre l'euro. Cela n'est pas notre objectif, notre objectif est de rétablir la croissance. 

Nous avons eu 13 trimestres de récession après Monsieur Monti, et nous devons nous sortir de cette situation. Même si la sortie de l'euro avait un sens, il n'aurait aucun sens de le faire avec un pays affaibli et qui a reculé de 18 ans. Personne ne le pense, ni le M5S, ni la Ligue. Tout ce qui est dit, ce ne sont que les râlement d'un système de pouvoir qui a été blessé à mort par les électeurs et qui essaye avec cette opération de propagande de diffuser l'idée que des barbares sont arrivés à Rome et qu'ils seraient totalement déraisonnables. Ce qui est déraisonnable, c'est la façon dont le PD s’est comporté.

Je voudrais apporter un élément illustrant comment les Italiens vivent la situation actuelle. Dans une interview très connue publiée par un éditeur italien, Mario Monti, en 1999, dit que le but du projet européen était de mettre les décisions importantes à l'abri du processus électoral. Par exemple, lorsqu'il s'agit de couper les investissements de 54 à 33 milliards, on le fait en disant que c'est l'Europe qui le demande. On dit que c'est l'Europe parce que les institutions européennes sont elles-mêmes à l'abri des élections, et qu'il est difficile de les contrôler politiquement. Il faut que les Français sachent que les électeurs italiens écoutent cette chanson depuis maintenant 10 ans, il y a un ras le bol généralisé. Et s'il n'y avait pas des partis, qui, comme nous, et avec beaucoup de calme, proposaient des politiques pour la croissance avec une attitude raisonnablement critique envers l'Europe, la situation politique serait beaucoup plus tendue.

Une sortie de l'euro est-elle selon vous une nécessité ? Paolo Savona avait pu indiquer la semaine passée dans la Stampa que la gestion de l'euro se devait de prendre en compte un objectif de croissance, en plus de la maîtrise des prix. Un tel objectif peut-il être considéré comme crédible au regard des rapports de force actuels ? 

La question de la sortie de la zone euro n'est pas sur notre agenda politique. Mais il y a une autre question qu'il faut évoquer pour la simple raison que la science économique l'a toujours évoquée, qui est celle de la tenue de l'euro. Bien-sûr que l'euro pourrait être mis en danger par l'Italie, comme il l'a déjà été par la Grèce, mais il pourrait être mis en danger par d'autres pays. Il faut donc se poser la question de pourquoi les partis qui ont une attitude sceptique par rapport à la monnaie unique ou au projet européen sont en train de gagner du terrain un peu partout. Il faut aussi se poser la question du sens d'un projet politique qui entre en crise chaque fois que les électeurs sont appelés à s'exprimer dans n'importe quel pays, qu'il soit grand ou petit. L'Europe tremble toujours. Quel est le sens politique d'un projet qui tremble à chaque élection, et qui montre ainsi sa fragilité de façon éclatante ?

Ce qui est une nécessité pour l'Italie, c'est la croissance économique. C'est aussi avoir des routes que l'on puisse parcourir sans risquer de mourir comme cela a pu arriver dans ma circonscription de la région des  Abruzzes, ou avoir des hôpitaux qui soient à moins de 3 heures du lieu où on en a besoin. Les investissements publics italiens ont chuté de 54 milliards en 2009 à 33 milliards en 2017. Ils ont presque été réduits de moitié. Un tel choc a aussi des effets sur la productivité, sur l'offre de l'économie italienne, parce que sans infrastructures, l'économie ne peut pas prospérer. Je vois des entrepreneurs qui me disent que le transfert d'un container de Naples à l'est du pays coûte 500 euros alors que cela coûte 800 euros de le faire arriver du Vietnam. Pourquoi ? Parce que dans le cas de Naples, il faut traverser l'Italie et cela est une entreprise parfois héroïque. C'est cela la priorité.

Une sortie de l'euro, en ce moment, n'est pas une nécessité, mais il est nécessaire d'avoir une réflexion urgente et sérieuse sur la tenue de l'euro. Non pas dans l'intérêt exclusif de l'Italie, mais dans l'intérêt de plusieurs pays où l'on voit un mécontentement de la population qui est croissant.

J'ajouterais que le grand mérite de Paolo Savona est d'avoir posé cette question dès 2012. Avons-nous un plan pour gérer un accident qui pourrait arriver à l'euro ? C'est le discours du plan B, qui a été repris par les partis de gauche et de droite. Mais si la croissance repart, il n'y aura besoin d'aucune sortie de quelque sorte.

Selon la BRI, les banques françaises sont exposées à hauteur de 269 milliards d'euros à l'Italie. Que dites-vous à ces créditeurs ?

Je veux dire à ces créditeurs qu'il est de leur intérêt que l'Italie reprenne un parcours de croissance. La soutenabilité de la dette publique italienne n’est pas en discussion, mais il est évident que si des politiques d’austérité faisaient augmenter le rapport dette/PIB comme il est survenu en 2012-2013 notre situation serait fragilisée. Je rappelle qu'il n'y a jamais eu de faillite de l'État italien depuis 1861, alors que l'Allemagne a fait plusieurs fois défaut. C'est une donnée historique qui dépend d'un caractère bien précis du peuple allemand, que j'admire, mais que je peux résumer avec cette phrase : il y a des peuples qui se battent jusqu'à la victoire, mais les allemands se battent jusqu'à la défaite. Ils ne se contentent pas de vaincre, ils en veulent plus, ils veulent "sur-vaincre".

Ceci nous ramène à une autre question. On a permis à l'Espagne de faire un déficit, un solde budgétaire négatif à hauteur de 5-6-7 points de PIB. J'ai toujours essayé de comprendre pourquoi on avait permis cela à l'Espagne et pas à l'Italie. Il y a une explication qui serait que la dette espagnole est inférieure à la nôtre. Mais il y a une autre explication qui est que les créanciers allemands savaient très bien que si on n’avait pas permis à l'Espagne de faire des politiques en faveur de la croissance, leurs créances auraient été en danger. Je souhaiterais que les créanciers soient conscients des règles de l'économie : il est dans l'intérêt de tout le monde de créer un climat favorable à la croissance.

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