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Deep State contre populisme : ces mécanismes de gouvernements profonds qui émergent quand la démocratie clashe avec le "système"
©AFP

Etat dans l'Etat

Structure informelle de pouvoir et de décision sous-jacente aux Etats modernes, la notion de "deep state" - ou Etat profond - est souvent qualifiée de conspirationniste, sans que les mécanismes existant soient véritablement analysés.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Le concept de "Deep State", utilisé notamment par Donald Trump pour le cas des Etats Unis, qui a également été utilisé par le Front national à l'occasion de l'élection d'Emmanuel Macron, resurgit à l'occasion de la crise politique italienne de cette fin de mois de mai 2018. Entre fantasmes conspirationnistes et réalité, à quoi peut réellement correspondre ces réseaux décrits comme Etat profond, suggérant l'idée d'influences  - non élues  - agissant sur un gouvernement ? Quels sont les cas concrets existants, dans les pays cités, de telles influences "illégitimes" ? 

Peut-être faut-il partir du paradoxe de la démocratie: l’accession au pouvoir est soumise au vote populaire. Mais cela n’empêche pas l’existence d’élites et de réseaux. La différenciation éducative, sociale, culturelle rendent possible la contestation du vote démocratique par des groupes ou des catégories qui ont plus facilement accès au pouvoir que d’autres. Il serait pourtant abusif de penser que les milieux dirigeants constituent un front uni: le cas de Trump le montre bien; il n’a pu s’installer au pouvoir que parce qu’une partie des réseaux du complexe militaro-industriel le soutenait; on voit bien aiujourd’hui comment Trump fait revivre la politique pro-sunnite et anti-chiite, par exemple, qui est traditionnellement celle des réseaux républicains, contre la politique de l’establishment démocrate. A partir de là, il faut je crois décrire deux situations possibles: celle, assez typiquement britannique, où les milieux dirigeants organisent en leur sein un débat réel, autour duquel se polarisent les positions populaires; et une situation type “Grande Coalition” à l’allemande où la japonaise, où les groupes dirigeants cherchent le consensus. Après cela, vous avez bien des facteurs à prendre en compte: qui possède les médias? Quels sont les réseaux de grandes entreprises? Quelles sont les pépinières universitaires des élites? Le cas de Macron est particulier à la France: il est venu un moment où la haute fonction publique, les grandes entreprises, les grands médias se sont mis d’accord pour pousser un nouveau candidat qui puisse sauver le système en place; pour autant, l’affrontement, dès son installation, avec le général de Villiers a montré, par exemple, que le président n’avait pas l’Armée dans son réseau d’influence. Il faut donc faire attention à ne pas tomber dans les théories de la conspiration. 

Quels peuvent encore être les influences de réseaux qui ont pu exister au temps de la guerre froide - par exemple le Gladio, réseau italien formé au lendemain de 1945 pour faire face à la menace soviétique, dont les "vestiges" sont aujourd'hui pointés du doigt dans un combat contre l'influence russe sur la Ligue du Nord, qui a pu effectivement signer un accord de coopération avec Russie Unie, le parti de Vladimir Poutine ? 

Gladio renvoie à l’existence, dans les pays de l’OTAN, durant les années de guerre froide - et après? - d’unités spéciales, clandestines, qui auraient été chargées d’une guerre secrète en cas d’invasion de l’Europe par les Soviétiques.. A partir de là, beaucoup de spéculations se sont installées: dans quelle mesure les gouvernements étaient-ils au courant des agissements de ces réseaux. En Italie, plus particulièrement, est-ce que ces réseaux ont organisé des provocations voire des attentats pour pouvoir agir contre l’extrême gauche et disposer d’une législation d’exception? Dans quelle mesure d’anciens réseaux du temps du fascisme ont-ils pu perdurer à l’abri de l’OTAN et de l’après-guerre? Il faut se méfier, cependant, car on risque vite de tomber dans le conspirationnisme. On voit bien qu’en Italie, aujourd’hui, tout se joue au grand jour, avec les réseaux bancaires et financiers pro-européens, contre ceux de la Ligue du Nord et le Mouvement Cinque Stelle. Evidemment, tout réseau attribue bien des turpitudes au réseau d’en face. La Ligue du Nord a des liens avec le parti de Poutine? Il n’en faut pas plus pour affirmer le lien populisme/Russie/fake news etc....

Jusqu'à quel point ces "Etats profonds" peuvent-il être en mesure de faire échec à l'accession au pouvoir de mouvements populistes ou extrémistes, ou de faire échec à la mise en place d'une politique ? 

Là encore, il ne faut pas aller chercher trop loin. Aux Etats-Unis, une partie du. Complexe militaro-industriel a tenté de déstabiliser Trump encore après son arrivée par l’histoire grotesque de la collusion avec la Russie. En France, le match Macron/Marine Le Pen aurait dû se finir à 55-45. Mais l’immense mobilisation des médias, des relais d’opinion, des intellectuels, des milieux économiques pour déclarer la candidate du Front National au fond illégitime a conduit à un résultat beaucoup plus sévère. L’Union Européenne est un autre exemple de réseau qui ne se cache même pas pour s’imposer à la démocratie. Nous venons d’en avoir la démonstration en Italie. Elle avait eu lieu précédemment en Grèce. La puissance des réseaux européens, vous ne la mesurez pas seulement dans le cas de la répression monétariste; vous le constatez aussi dans la manière dont les indépendantistes catalans n’ont pas été pris au sérieux par Bruxelles tant il apparaît essentiel que l’Espagne soutienne le système de l’euro déjà moribond. On pourrait dire que les réseaux s’entrecroisent et sont souvent divisés entre eux. Mais quand le système lui-même se sent en fanger, les réseaux se réconcilient contre l’ennemi extérieur, les marxistes auraient dit l’ennemi de classe! 

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