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Pourquoi les jours de l’euro sont comptés
©EMMANUEL DUNAND / AFP

Disraeli Scanner

Lettre de Londres mise en forme par Edouard Husson. Nous recevons régulièrement des textes rédigés par un certain Benjamin Disraeli, homonyme du grand homme politique britannique du XIXe siècle.

Disraeli Scanner

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Mon cher ami, 
J’ai suivi, comme vous je suppose, l’actualité italienne du jour. Ainsi donc l’Allemagne a gagné! Ce soir, le président Matarella a pris acte, dans un bref discours, de l’impossibilité de constituer un gouvernement.  La chose est incroyable vu, que les deux partis sortis en tête des élections, Ligue du Nord et Mouvement Cinq Etoiles étaient parvenus à un accord de gouvernement. Eh bien! Le président italien n’a pas dissimulé la raison pour laquelle M. Conte n’avait pas accepté la présidence du Conseil. La nomination du professeur d’économie italien Paolo Savona, déjà ministre dans les années 1990, au Ministère de l’Economie, était impossible, elle aurait mis en danger l’épargne italienne, les finances publiques du pays, la confiance des marchés. 
Vous pourriez croire que M. Savona est un émule de Jean-Luc Mélenchon, un apprenti-sorcier, un amateur de dépenses publiques inconsidérées. Ou bien qu’il est un dangereux populiste, vous savez de ces hommes et femmes politiques dont on mentionne le nom furtivement avec un frisson dans le dos. Eh bien! Pas de chance! Le professeur Savona a publié aujourd’hui un communiqué faisant état de ses convictions en matière d’Europe. Vous comme moi le trouverons un peu idéaliste, un Européen incorrigible; mais il vaut la peine de retranscrire ses idées: 
- Paolo Savona commence son communiqué par un appel à créer des universités européennes pour qu’émerge un véritable sentiment d’appartenance commune. 
- Il souhaite que la BCE se préoccupe de croissance et non seulement de maîtrise de l’inflation. 
- Il a réfléchi à l’équilibre des pouvoirs au sein des institutions européennes. Peu importe le détail, on se contentera de retenir que l’homme est un fédéraliste européen, toutes ses propositions visent à renforcer Parlement, Commission et Conseil tout en distinguant mieux leurs fonctions. 
Voilà l’homme dont le président Matarella a déclaré qu’il pouvait faire vaciller la dette italienne. De qui se moque-t-on? Il a beau se draper dans la toge de la souveraineté italienne, le président a platement cédé aux pressions de Berlin et de Francfort: évidemment parler de croissance dans les objectifs de la BCE est inacceptable pour l’Allemagne; les ressponsables allemands, Jens Weidmann en tête ne peuvent pas supporter plus d’influence italienne que celle de Mario Draghi. 
Assourdissant silence d’Emmanuel Macron

J’ai enfreint la règle de tranquillité d’esprit que j’assigne à mes dimanches et passé ma journée, après le service religieux, à correspondre avec mes amis italiens, à suivre les discussions sur twitter, à regarder les médias italiens et européens. j’ai en vain cherché l’indice d’une position française. A vrai dire, rien d’étonnant. Je n’attends rien d’Emmanuel Macron dans une crise comme celle-ci. Il ne réagira pas en homme politique mais en inspecteur des finances français. Il n’est pas là pour réagir à l’économie réelle mais pour essayer de maintenir viable le système de la BCE sans en changer les fondamentaux. 
Et pourtant! Quelle occasion manquée! Croyez-vous que ce soit par hasard que Paolo Savona mette en avant les universités européennes? N’est-ce pas une main tendue à l’orateur du discours de la Sorbonne? Emmanuel Macron n’a-t-il pas constaté, depuis un an, que l’Allemagne ne répondait pas du tout à ses propositions? Peut-il prendre le risque de rester seul face à une Allemagne encore suffisamment puissante et sûre d’elle pour empêcher la nomination d’un gouvernement italien issu du vote populaire? Peut-il prendre le risque, au moment où la gauche et l’extrême gauche, en France, essaient d’attiser les braises de la révolte sociale, d’apparaître aussi clairement du côté de ceux qui s’asseyent sur le vote populaire? 
Est-il besoin de dire que les vélléités de transformation de la zone euro réitérées par Emmanuel Macron depuis dix-huit mois sont désormais enterrées? Mais plus profondément, on peut se demander si l’actuel président français aura l’énergie pour vouloir autre chose une fois que l’échec de sa réforme de la zone euro sera entériné? Depuis son installation au pouvoir, voici un an, il aura laissé filer les occasions les unes après les autres: les négociations sur le Brexit, où il aurait pu se poser en médiateur; l’échec réel de Madame Merkel aux élections législatives, qui lui laissait le champ libre; la crise entre Madrid et Barcelone, qui était l’occasion de faire une intervention sur l’équilibre à trouver entre souveraineté, démocratie et Europe. Et voici qu’il laisse passer la nouvelle occasion que lui offre la crise politique italienne!  
Pourquoi les jours de l’euro sont comptés
La victoire que vient d’obtenir l’Allemagne est une victoire à la Pyrrhus. Personne n’avait versé de larmes - à tort - sur les malheurs de la société grecque et l’écrasement de la démocratie grecque par la force d’intimidation de Bruxelles, Francfort et Berlin en juin 2015. A présent, Madame Merkel prétend régenter un pays qui pèse bien plus au sein de l’Union Européenne et de la zone euro - alors qu’elle est elle-même en mauvaise posture politique. Les dirigeants européens font comme s’il s’agissait d’une crise interne à l’Italie. Mais vous aurez constaté comme moi que dans les médias et sur les réseaux sociaux, le thème de l’humiliation par l’Allemagne revient fréquemment. Avant-hier, l’ambassade d’Italie à Berlin a officiellement protesté auprès du gouvernement allemand suite à un article insultant de Jan Fleischhauer paru dans le “Spiegel”, qui traite les Italiens de “pique-assiettes” (Schnorrer).  Allemands et Français, depuis vingt ou trente ans, ont tendance à ne pas prendre l’Italie au sérieux: c’est une grossière erreur. 
Que va-t-il se passer? Le président italien a semblé indiquer, ce soit, qu’on se dirigeait vers de nouvelles élections. Mais pourquoi donneraient-elles un résultat différent de ce qui est sorti des urnes le 4 mars. Les dirigeants de l’Union Européenne croient-ils vraiment qu’il sera possible de faire se déjuger les Italiens? Ils peuvent éventuellement obtenir un autre résultat suite à une abstention importante. Mais l’Union Européenne, Paris et Berlin seront rapidement coincées: soit le même résultat sort des urnes et il ne sera pas possible de l’ignorer plus longtemps. Soit la démocratie italienne est cassée et il faut se préparer à des troubles qui échappent à toute canalisation par les institutions. 
Surtout, mon cher ami, pour nous qui partageons ouvertement notre euroscepticisme depuis l’époque des débats sur Maastricht, comment ne pas voir que la crise de l’Union Européenne et, en son sein, de la zone euro, s’accélère. Brexit, crise catalane, raidissement de l’opinion allemande, crise italienne: tout cela fait penser à un avion en chute libre, qui commence à perdre un aileron puis une aile puis.... Il est devenu évident que l’opinion allemande se raidit toujours plus face aux perspectives de transferts financiers. La semaine dernière, 154 économistes ont publié une tribune  dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung pour refuser le plan Macron sur l’Europe. Quand bien même elle voudrait faire quelque chose, ce dont je doute, Madame Merkel est pieds et poings liés. 
Aucune réforme de la zone euro n’est possible. Les positions se raidissent. les jours de l’euro sont comptés. La question est de savoir si la grande crise surviendra avant ou après les élections européennes. 
Bien fidèlement à vous 
Benjamin Disraëli 

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