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Julien Aubert : "Le capitalisme mondialisé fait s'opposer le libéralisme et la démocratie ce qui n'arrivait pas par le passé"
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Entretien politique

Le député du Vaucluse et ex-prétendant à la présidence de LR, Julien Aubert, a lancé "Oser la France", un laboratoire d'idées d'inspiration gaulliste pour participer à la refondation de la droite. Il en a présenté les principales lignes ce samedi.

Julien Aubert

Julien Aubert

Julien Aubert est ancien député de Vaucluse, vice-président des Républicains

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Atlantico : Ce 26 mai, vous avez présenté vos propositions pour l'Europe avec votre mouvement Osez la France. Quelle est cette orientation que vous défendez et comment l'inscrivez vous dans le cadre de votre parti, Les Républicains ? 

Julien Aubert : Ces propositions vont nourrir la convention du 30 juin. Nous avons une ligne, que nous pouvons décomposer en huit traits, afin de définir un périmètre pour une nouvelle Europe. D'abord, il y a un principe de clarté quand nous affirmons que le but de l'UE n'est pas une fédération mais bien une coopération entre États.

Puis une simplification institutionnelle à effectuer de manière à remettre les parlements nationaux au centre des décisions au lieu de les contourner comme on le fait actuellement, notamment sur les traités commerciaux.

Ensuite, une proposition de recentrage des missions de l'UE sur fond d'affirmation de la croyance qui est la nôtre que l'Europe a une âme, que c'est une civilisation à part entière et que c'est dans ce périmètre que la coopération doit s'établir. Cette idée élimine des États comme la Turquie et affirme le principe fondamental de défense de cette civilisation (en luttant contre le djihadisme ou en limitant l'immigration massive).

Un principe de souveraineté, en redonnant un droit de veto aux Parlements pour rétablir la supériorité de la loi nationale pour rétablir une hiérarchie des normes.

Un engagement en matière de politique économique : mettre fin à la politique de libre concurrence et maintenir des services publics d'importance stratégique comme l'électricité (et à l'inverse, des mesures de rétorsion massive contre les GAFA). Septièmement, un engagement en matière de politique commerciale, en affirmant un refus des traités à venir et enfin une réforme budgétaire en assouplissant l'absurde règle des 3% de déficit en excluant de son calcul les investissements d'avenir, les dépenses de santé et d'éducation.

Ces huit axes, nous les versons au dossier sur la ligne des Républicains et nous verrons ce que les autres proposeront. Tous les gens qui veulent une nouvelle ligne seront ravis de nous voir porter cette nouvelle vision de l'Europe et ceux qui sont satisfaits de comment les choses se font aujourd'hui critiqueront en disant que c'est impossible. Mais l'idée que c'est "impossible" signera la mort de l'Union européenne si rien n'est fait.

Après le Brexit, l'Europe se trouve confrontée à un nouvel écueil avec le gouvernement italien qui se profile. Bruno Le Maire avait réagi dès le 20 mai dernier en indiquant "chacun doit comprendre en Italie que l’avenir de l’Italie est en Europe et nulle part ailleurs, et pour que cet avenir soit en Europe, il y a des règles à respecter", ce qui avait provoqué la colère de Matteo Salvini. Quelle est votre analyse de cette nouvelle crise qui couve au niveau européen ? 

Il n'y a pas que l'Italie. En Allemagne, 154 économistes ont abjuré le gouvernement de modifier les traités pour mettre en place une clause de sortie de l'Euro car ils refusent de payer pour les pays latins. Aujourd'hui, on a tous les ingrédients d'une crise de l'euro et on n'en sortira pas en faisant l'autruche ou en blâmant les autres.

Si l'on doit effectivement aller vers un affrontement, il faut prévoir dès à présent un plan. Ensuite, personne ne débat du corset budgétaire qui enserre les économies européennes depuis 20 ans ; qui était censé produire la convergence mais qui n'a provoqué qu'un désamour d'Europe et une divergence des économies entre des Etats qui se débrouillent très bien et d'autres qui se sont enfoncé.

Face à ces crises, soit on change les règles, soit on créé un "super Etat européen", soit on explose.

Le grand saut fédéral étant une chimère, il ne reste que deux options. Concernant l'explosion, défendue par des gens comme Asselineau, on voit bien que celle-ci ne pourra se faire sans qu'il n'y ait de conséquences dramatiques pour les populations. En fait, nous sommes condamnés à changer les règles, ce qui suppose de savoir discuter. Si l'on commence en insultant le voisin je crains que les discussions tournent court.

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En considérant que la question italienne pourrait accompagner les européens jusqu'aux prochaines élections européennes, quelle doit être la position des LR sur ce sujet ? 

Nous devons changer de position sur les déficits de Maastricht et proposer d'assouplir la règle absurde des 3% de déficit. On met sur le même plan le déficit fonctionnel d'une mauvaise gestion et le déficit d'investissement. Nous devons changer les règles pour ne pas nous heurter à de nouvelles vagues de populisme qui sont en fait des vagues d'exaspération par rapport aux politiques européennes qui sont conduites.

Emmanuel Macron a proposé une refondation européenne post-Brexit, basée notamment sur l'union bancaire ou encore sur la création d'un budget autonome, dont les fruits sont attendus pour le mois de juin. Soutenez-vous Emmanuel Macron dans son approche ? Comment analysez vous les réticences allemandes, et d'autres pays du nord de l'Europe, face à un tel projet ?

La vision d'Emmanuel Macron date des années 70. C'est la vision de Valérie Giscard-d'Estaing en plus fédéraliste avec une moindre conscience de l'état du pays. Il ne tire pas les conséquences de l'évolution des économies et des populations dans un contexte de mondialisation et propose un grand saut fédéral que personne ne souhaite.

Les pays du nord de l'Europe, ou même l'Allemagne n'en veulent pas, et c'est compréhensible. Je ne vois pas pourquoi eux, qui gèrent bien leur économie, accepteraient de perdre la maîtrise de leur politique en fusionnant avec les autres. Leur stratégie est de dire que ceux "qui gèrent bien" doivent décider pour ceux qui "gèrent mal".

Macron, par ses annonces, fait de la communication mais il ne devrait pas oublier qu'il est à la tête d'un État qui n'a pas forcément réussi à rectifier le tir au niveau budgétaire et donc qu'il n'a pas de leçons à donner. Il est confronté à une chancelière allemande qui a d'autres chats à fouetter car elle a désormais comme principale force d'opposition l'extrême droite et est contestée dans son propre camp (sans parler des libéraux allemands défavorables à la fédéralisation car ils considèrent que cela va nuire à l'économie de l'Allemagne).

Tout ce qui ressemble à une union donne l'impression que l'on va fédéraliser les pertes et comme ce sont les Allemands qui sont les financeurs, ils n'en ont pas envie.

"Libre échange" et "réformes structurelles" semblent être consubstantielles à l'Union européenne. En ce sens, l'Europe que vous souhaitez défendre est-elle simplement "acceptable" par nos partenaires européens ? Un changement de ligne n'est-il pas une illusion, un argument de campagne ? 

Devons-nous changer de ligne et considérer qu'il faille mettre fin à une forme de conception de l'Europe qui ne peut mener qu'une seule politique économique, celle de la libre concurrence et qui vise à considérer que l'Europe n'est qu'un grand marché ? Je pense que oui. Ce n'est pas notre culture nationale, il y a des moments où l'on a besoin de réfléchir à la notion de service public et à la notion de patriotisme économique. La droite doit assumer d'être libérale sans l'être religieusement. Il est possible de remettre en cause le modèle d'un libéralisme débridé.

Maintenant il faut comprendre que les intérêts français priment sur la volonté de coopération. A force de regarder ce qui est acceptable (ou faisable), nous sommes arrivés au point où les gens se rebellent contre l'Union européenne.

A ce train là nous allons rapidement manquer de partenaires, il suffit de voir le Brexit et bientôt l'Italie qui menace de faire la même chose que la Grande-Bretagne. Et l'Union européenne sans la Grande-Bretagne et l'Italie n'est pas une entité capable de résister au vent de la mondialisation.

Entamer ce virage n'est pas une illusion, encore moins un argument de campagne. C'est la seule manière de remettre l'UE sur les rails. Ce qui arrive en France arrive dans d'autres pays et tout le monde subit les défauts des politiques qui sont menées. Nous faisons l'Europe pour renforcer notre positionnement sur la scène internationale, pas pour nous affaiblir. Soit nos partenaires le comprennent, soit ils ne le comprennent pas et il faudra entamer un bras de fer.

Les LR, et le premier d'entre eux, Laurent Wauquiez, peuvent-ils se détourner du libéralisme ? N'avez-vous pas peur d'accentuer les divisions ?  

La fracture n'est pas au sein des Républicains et ne peut pas être entre les anti-libéraux et les libéraux. Être libéral, à l'origine, c'est défendre la propriété de la personne humaine et encourager l'initiative individuelle qui permet, par la coexistence d'intérêts égoïstes, de provoquer l'intérêt général. Le problème aujourd'hui c'est que le capitalisme mondialisé fait s'opposer le libéralisme et la démocratie, ce qui n'arrivait pas par le passé. Quand on se battait pour la liberté économique, cela allait de paire avec la liberté politique. L'essor du profit se traduit aujourd'hui par une crise démocratique. Le vrai clivage doit se faire entre ceux qui considèrent que le libéralisme est une religion et que, qu'il pleuve, qu'il vente ou qu'il neige c'est toujours la même solution quelque soit le problème qui se pose qu'il faut apporter, et ceux qui considèrent que les Etats ont un rôle à jouer car ils sont le reflet démocratique de la volonté des peuples et savent être libéraux ou dirigistes en fonction des situations et des problèmes.

Il n'est donc pas question de se détourner du libéralisme mais de revenir à son essence pour le réconcilier avec la démocratie. Mon libéralisme est soumis à l'intérêt général et au pouvoir démocratique. A mon sens, la droite sera sociale ou ne sera pas.

En renonçant à l'accord iranien, Donald Trump a mis à mal ce qui était symboliquement perçu comme la victoire de la diplomatie "multilatérale" défendue par les européens. C'est donc cette approche qui a été affaiblie par cette décision, au profit d'une diplomatie du rapport de force. Au regard de ce contexte, comment l'Europe et la France peuvent-elles s'adapter à ce qui ressemble à une nouvelle donne ? 

Le dossier iranien a démontré l'inexistence politique de l'Europe en tant qu'entité sur la scène internationale malgré les nombreux efforts qui ont été déployés en ce sens, tout simplement car nous n'avons pas d'intérêts concordants. La France a une longueur d'avance dans le domaine car cela fait longtemps que nous plaidons pour une diplomatie indépendante. L'impossibilité de construire une diplomatie européenne s'explique par le fait que certains pays continuent à attendre de l'oncle Sam qu'il leur dicte leur politique étrangère.

Nous devons nous demander si notre intérêt en tant que Français, est de continuer à avoir un Iran qui se durcit, si nous avons intérêt à une guerre froide avec la Russie…  C'est ces questions que nous devons nous poser.

Nous devons mener des politiques en fonction de nos intérêts, proposer des solutions qui semblent de bon sens à nos voisins mais l'on ne peut pas les forcer à emboiter le pas. Ma position est claire, l'Europe devrait mettre en place des mesures punitives en appliquant les mêmes lois d'extraterritorialité que les américains et en sanctionnant ces derniers comme ils veulent le faire avec nous. Il faut réaffirmer le rapport de force et ce n'est pas gagné car l'Europe ne croit pas en cette méthode, elle ne croit qu'en la coopération.

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