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Conseil de la ville : ce que la nomination de personnalités comme Yassine Bellatar révèle d’Emmanuel Macron
©AFP

Amitiés dangereuses

Yassine Belattar, animateur télé et humoriste, a été nommé par l’Élysée membre du « Conseil présidentiel des villes », instance créée par Emmanuel Macron avec laquelle il présente ce mardi des mesures pour les quartiers en difficulté. Le Conseil présidentiel des villes, dont l’objectif est de « rassembler des personnes issues des quartiers populaires, de tout âge, de tout profil et animées par un engagement et reconnues pour leur expertise » compte 25 membres "chargés de nourrir la réflexion du président de la République sur la politique de la ville".

Naëm Bestandji

Naëm Bestandji

Écrivain/essayiste, Naëm Bestandji est un laïque et féministe engagé. Il a longtemps travaillé dans le domaine socio-culturel auprès des enfants et adolescents des quartiers populaires. Il y a toujours vécu et a été très tôt confronté à la montée de l'intégrisme religieux.

Il a publié de nombreux articles sur l’islamisme politique.

Son site internet : https://www.naembestandji.fr/

Il est l’auteur d’un essai remarqué, pour tout comprendre sur le sexisme politique du voile : « Le linceul du féminisme – Caresser l’islamisme dans le sens du voile » (éditions Séramis, novembre 2021).

Voir la bio »

Ce conseil compte 25 membres*, sans doute s’agit-il de personnes compétentes. Néanmoins, sa création pose question. Pourquoi avoir besoin d’une nouvelle instance, alors qu’elles existent déjà au plan régional, départemental et national et que de nombreux spécialistes travaillent sur ces questions depuis longtemps, qu’ils connaissent très bien? 

Parmi les membres nommés, seul Yassine Belattar est une personnalité connue. Or ni son parcours, ni ses compétences, ni son engagement dans des structures  associatives par exemple, ni son expérience de vie dans ces quartiers ne permettent d’expliquer sa présence dans ce conseil présidentiel. On peut donc s’interroger sur le bien-fondé de ce choix, d’autant plus qu’il s’agit d’une personnalité très clivante. Il a une fâcheuse tendance à insulter ses détracteurs sur les réseaux sociaux et véhicule un discours agressif dans les débats. Il se présente plus souvent comme musulman que comme citoyen. Il parle des quartiers populaires surtout à travers le prisme religieux, avec une certaine complaisance vis-à-vis de l’islamisme politique, même s’il n’épouse pas ces idées. Il injecte systématiquement une vision victimaire de ces quartiers et des musulmans. Une victimisation qu'il s'applique aussi à lui-même en attisant des polémiques puis en accusant de racisme tous ses contradicteurs. Comme tous les  tenants de ce discours islamo-indigéniste, Yassine Belattar ramène toujours les débats à sa propre personne : lui apporter la contradiction serait véhiculer des clichés dont il serait victime, limitant tout dialogue de fond avec ses opposants.

Dès lors, pourquoi l’avoir choisi et que signifie sa nomination ? Son amitié avec le Président de la République mise à part, rien ne peut la justifier. Il n'a aucune compétence en la matière, en dehors de ses vociférations pour prendre la défense "des musulmans". Pire encore, au-delà de son attitude agressive et insultante sur les réseaux sociaux qui donne une piètre image de ce qu'il prétend défendre, sa vision de l'islam montre, pour le coup, un vrai soutien pour les intégristes. L'inclure dans ce Conseil est un message dangereux, car à travers lui sera véhiculée une image caricaturale de la banlieue, totalement contre-productive par rapport aux objectifs affichés. Yassine Belattar n’est aucunement un représentant des quartiers en difficulté, seule sa visibilité lui donne ce statut.

Ce choix interroge sur la façon dont l’Elysée aborde ces questions. D’autant plus que le populisme de M. Belattar attise les conflits et sert in fine le Front National, qui engrange systématiquement des voix à chaque vocifération de l'humoriste. En choisissant Yassine Belattar comme membre de ce Conseil, Emmanuel Macron montre qu’il n’a ni discours ni considération pour ces questions. Il n'est qu'un argument de communication.Yassine Belattar déclare que "l'islam politique n'existe pas" et qu'il n'est pas proche des Frères Musulmans. On peut y trouver une logique. Si l'islam politique n'existe pas, alors les Frères Musulmans n'existent pas. En réalité, il adopte la vision de l'islam des Frères Musulmans et n'y voit que l'islam tout court.

Revenons sur un évènement pour nous éclairer. Le 11 mars 2017, "Salut les terriens" (C8) consacra une partie de l’émission à un débat sur l’islamisme : "Islamisme : avons-nous été trop bisounours ?" (1) Cela n’a pas du tout plu à Yassine Belattar qui inclut les islamistes dans l’ensemble des musulmans. Il a alors tweeté : Ardisson n’aime pas les musulmans. Bravo #SLT. Débat sordide, j’ai honte. Faire de l’audience en caressant le FN.

Il va encore plus loin sur sa page Facebook en accusant Thierry Ardisson d’être une "chemise brune" (couleur d'uniforme de l'organisation paramilitaire du parti nazi). Face à une telle agressivité, l’animateur de l’émission l’invita à s’exprimer sur le plateau la semaine suivante.

Effectivement présent dans l'émission du 18 mars 2017 (2), Yassine Belattar y déclara qu’il y aurait plus de 7 millions de musulmans en France. Pourquoi pas 12 millions ou même 20 millions ? Soyons fous ! Un chiffre fantaisiste sorti d’on ne sait où, typique des populistes. Il expliqua également, la mine grave, qu’il n'y a pas de modération dans la religion. On est musulman ou on ne l'est pas. Les modérés seront ravis d’apprendre qu'eux-mêmes, les Frères musulmans ou les wahhabites, c’est la même chose. Les intégristes de l'islam politique seraient de simples musulmans incompris. Lutter contre l'intégrisme serait alors une lutte contre tous les musulmans... Donc de "l'islamophobie". CQFD. Tout comme le CCIF et l’ensemble des islamistes, il accuse toute critique de l’intégrisme musulman ou de l’islam comme étant raciste et fasciste, tout en prétendant qu’il n’a aucun problème avec la critique. Et les jihadistes ? Ils ne sont pas musulmans selon lui.

Il posa ensuite une question sous forme de boutade, exprimée aussi par des islamistes :c’est quoi un musulman modéré ? C’est un mec qui fait pas 5 prières par jour, il en fait 2 et demi ? Et bien non. Je sais que ce n’est pas facile à comprendre pour un intégriste qui estime que la modération est une sorte de renoncement à sa pratique religieuse. La modération ne se mesure pas au degré de la pratique du culte mais à son approche. Un musulman modéré considère que la religion ne se porte pas sur la tête avec un voile ou des vêtements masculins souhaitant imiter les bédouins salafis, car l’islam n’est pas une mode et relève de l’intime relation entre Dieu et son fidèle. Un musulman modéré considère que la religion s'exprime pleinement à la maison et à la mosquée. Il considère son pays et ses lois supérieurs à l'Oumma (communauté musulmane supranationale) et aux lois religieuses. Il se sentira autant concerné par les drames tibétains, Nord-Coréens et d’ailleurs que par celui des Palestiniens. Un musulman modéré ne mesurera pas la pudeur d’une femme aux centimètres carrés d’un morceau de tissu sur la tête et en se servant, en plus, de la religion comme prétexte ; la pudeur relève de son langage, de son attitude et concerne garçons et filles de la même façon ; dire "wallah, Haqq Rabbî, la Mecque" toutes les cinq minutes est bien plus impudique que trois mèches de cheveux au vent. Un musulman modéré considère le voile comme un manque de respect envers les femmes, mais aussi un manque de respect envers l’islam et son Prophète car il estime que ce sexisme est contraire à sa religion. Il ne se sent donc pas visé par les lois de 2004 (sur les signes religieux à l’école) et 2010 (sur le voile intégral). Il les considère même comme parfaitement justifiées. Un musulman modéré ne se sent pas insulté par les caricatures d’intégristes ou même du Prophète. Ce serait de l’idolâtrie, ce qui est un pêché en islam. Seul Dieu peut être adoré et vénéré ; tout en sachant que la liberté d’expression est un bien précieux qui ne doit jamais être remis en question au nom du sacré. Enfin, un musulman modéré regrette la "salafisation" de sa religion et en souhaite ardemment une réforme progressiste. Contrairement aux intégristes, il interprète ses textes sacrés dans leur esprit, non pas à la lettre. En résumé, un musulman modéré considère l’idéologie de Yassine Belattar et de ses collègues islamistes comme néfaste pour sa religion, au-delà des problèmes qu’ils causent à la République.

Avec un tel discours et une telle vision de l'islam, l’animateur-humoriste favorise la peur envers cette religion et pénalise un peu plus l'ensemble des musulmans. Comble du cynisme, il demande à ce que les animateurs soient "pédagogues". Il se demande aussicomment les animateurs donnent la parole à des gens qui ont capté, renforcé voire démocratisé une parole qui a des conséquences dans la vie de tous les jours. C'est à dire une parole qui fait le jeu du FN. En parlant de ces "gens", il ne se rend pas compte qu'il parle de lui-même.

Cette façon de voir les choses en inversant les rôles, en accusant toute opposition à l’islamisme d’être un acte nazi contre les musulmans, cette tendance si naturelle à renforcer le Front National en croyant s’en protéger, c’est l’attitude islamiste dans toute sa splendeur.

Sa rhétorique victimaire et culpabilisante ne sort pas de nulle part. Il est un fervent soutien de l'association qui est idéologiquement la branche juridique des Frères Musulmans en France, le CCIF (Collectif Contre l'Islamophobie en France). Il assura même en 2015 l’animation de sa soirée de gala. Soutenir et assurer la promotion d’une association d’extrême droite pour ensuite faire la leçon à autrui sur les risques de la montée du FN, cela doit être son humour. Plus fort encore : même Marwan Muhammad, l'ex directeur du CCIF, n'aurait pas osé qualifier Thierry Ardisson de nazi.

Yassine Bellatar apprécie aussi Tariq Ramadan. Au point d'animer lors de ce gala la mise aux enchères dans la joie et la bonne humeur d'un déjeuner avec le prédicateur, qu'il présenta comme le "George Clooney des musulmans". Comme tout intégriste, Tariq Ramadan est complotiste (il voit des complots j... sionistes partout), homophobe, sexiste, fervent partisan du port du voile et de la non mixité dans certains lieux comme les piscines. Nul ne pouvait ignorer cela lors de cette mise aux enchères, surtout pas Yassine Bellatar. Voilà la personne avec qui l'humoriste proposait de déjeuner moyennant finance pour contribuer au développement d'un collectif islamiste…

Posons-nous la question suivante : si un humoriste "blanc" (pour reprendre le déterminisme des néoracistes) affirmait sa vision intégriste de la religion et le faisait passer pour le véritable catholicisme, s’il se définissait constamment comme chrétien plutôt que de le garder dans son intimité, s’il mettait régulièrement en avant ses convictions religieuses et en faisait un outil politique, s’il ne voyait aucun problème à défendre le sexisme (par le voile ou autre) en arguant Jésus ou les Épîtres aux Corinthiens de Saint-Paul plutôt que l'universalisme, s’il accusait de blasphémateur (équivalent de "islamophobe") ou de raciste toute personne critique envers son idéologie, comment réagirions-nous ? L'Élysée ferait-il appel à un tel personnage pour l'intégrer à un Conseil présidentiel des territoires ruraux ?

Pourtant, cela n’empêche pas certains politiques de faire preuve d’aveuglement, voire de complaisance. Le 29 mars 2017, lors de la campagne pour les élections présidentielles, Yassine Belattar fut invité comme "comédien engagé" à un meeting d’En Marche sur le thème du… populisme. Le mouvement d’Emmanuel Macron invita un populiste (pardon, un "comédien engagé") pour parler de populisme. Il aurait pu inviter une figure plus crédible plutôt qu'un identitaire musulman pro islamiste dont la seule légitimité est sa lumière médiatique par ses activités télévisuelles et d'humoriste. Pourquoi ne pas avoir aussi invité un identitaire d'en face ?

Seuls les liens personnels et politiques que Yassine Belattar a tissés avec LERM expliquent qu'il ait été sollicité pour intégrer le Conseil présidentiel des villes, certainement pas ses compétences et encore moins ses convictions.

Billet publié initialement sur le blog de Naëm Bestandji

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