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Plus que la malveillance, le grand risque des sondages est l’amateurisme
©Benjamin CREMEL / AFP

Bonnes feuilles

Brexit, Trump, Fillon, 21 avril 2002, européennes ou municipales, notoriété et confiance… Tout faux ? Tout vrai ? Pourquoi les sondages ont-ils mauvaise presse ? Parce que nous ignorons tout d’eux. D’où ils proviennent, comment on les produit, quels outils ils impliquent, pourquoi il faut savoir les déchiffrer. Extrait de "La prophétie électorale. les sondages et le vote" de Frédéric Micheau, les éditions du Cerf. (2/2)

Frédéric Micheau

Frédéric Micheau

Directeur général adjoint d'OpinionWay et enseignant à Sciences Po, Frédéric Micheau est spécialiste des études d'opinion. Il est l'auteur, au Cerf, de La Prophétie électorale.

 

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L’analyse des divers moyens de manipulation des électeurs par les intentions de vote débouche sur un constat d’échec généralisé. Quelle que soit la forme adoptée, toute tentative paraît vouée à s’effondrer sur elle-même. L’intoxication est déjouée par le pluralisme des médias. La censure se heurte aux réflexes d’indépendance des journalistes. Les fuites sont dénoncées par la commission des sondages. Les rumeurs se fracassent sur le mur des démentis.

Le manque d’efficacité de ces techniques plongerait nécessairement dans la perplexité celui qui s’interrogerait sur la meilleure stratégie de manipulation. Tout apprenti manipulateur se trouverait confronté à un épuisant casse-tête : quels résultats faut-il altérer pour amener l’électorat à adopter le comportement attendu ? L’ignorance des effets des sondages rend difficiles, voire inopérantes, les opérations d’influence électorale fondées sur la publication des intentions de vote 30.

Admettons que ce falsificateur parvienne à concevoir une imposture et à diffuser des chiffres frelatés. Comment échapper au contrôle de la commission des sondages ? Comment également justifier des résultats divergents par rapport aux autres instituts ? Théoriquement, une supercherie aux ficelles trop grossières pourrait même être contreproductive, en induisant chez l’électeur une modification de son vote. C’est « l’effet de libre arbitre » (free-will effect) qui désigne le fait que « certains électeurs seraient motivés à voter de manière à démentir les prédictions effectuées par les sondages, afin de stigmatiser les insuffisances (voire l’arrogance) des sondeurs et d’affirmer leur propre autonomie ou la souveraineté du corps électoral 31. » Il s’agirait d’infliger une défaite à des instituts qui chercheraient à dicter son vote au peuple. Le risque de manipulation des intentions de vote à des fins électorales est peu élevé. En 1988, la commission des sondages confirmait qu’elle « n’a pu à ce jour établir l’existence des ‘‘manipulations politiques’’ souvent reprochées aux instituts. Dans un contexte de multiplication des sondages, et de concurrence entre plusieurs organismes, la manipulation est diffi- cile et d’une efficacité limitée. Par contre, il est arrivé fréquemment que la Commission ait révélé – publiquement ou non – des négligences ou des imperfections techniques ». Plus que la manipulation, c’est donc l’erreur par incompétence qu’il faut redouter.

Si l’amateurisme est le fléau principal qui menace les intentions de vote, pourquoi le spectre de la manipulation est-il continuellement agité ? Ce discours rituel est lié au fait que, comme tous les acteurs de la sphère politique qui s’interposent dans la relation entre l’électeur et les candidats, les instituts font l’objet d’une méfiance instinctive. Leur activité est perçue comme porteuse d’un risque de perturbation de la régularité du processus électoral ou, pire, de confiscation du choix des citoyens. Cette dépossession du pouvoir du peuple constitue une angoisse qui se loge au plus profond de l’esprit démocratique. C’est pourquoi l’évocation régulière d’une manipulation des sondages doit être entendue à la fois comme un geste de précaution pour se prémunir contre son apparition et comme une façon d’exorciser l’inquiétude qu’elle suscite. Tant que les sondages continueront à inspirer cette crainte démocratique, les propos prophylactiques contre les manipulations des intentions de vote se perpétueront, ce qui invite à renforcer les dispositifs destinés à assurer la protection des citoyens.

Extrait de "La prophétie électorale. les sondages et le vote" de Frédéric Micheau, les éditions du Cerf

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