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Quand le rêve américain est mort
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Bonne feuilles

L'année 1968, la pire de toute l'histoire américaine ? Les sixties ont marqué la société américaine et développé un imaginaire qui s'est transmis jusqu'à nous. Avec l'élection inattendue de Donald Trump, l'Amérique est retournée dans son passé, avec ce constat terrible : en souhaitant ramener son pays en arrière - persuadé qu'il y était plus heureux -, son nouveau Président s'attaque à la déconstruction, brique par brique, des éléments du progrès déposés par les enfants de 1968. Extrait de "1968 : quand l'Amérique gronde" de Jean-Eric Branaa, publié chez Privat. (2/2)

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Sans nul doute, George Wallace serait fier du travail accompli par Donald Trump, même s’il y a des différences : Wallace est un suprémaciste néo-confédéré blanc, alors que Trump est totalement inclassable : c’est un homme d’affaires qui s’est perdu dans le monde politique, sans être un politicien lui-même. Il attire les ethno-nationalistes mais semble plus naviguer à l’intuition plutôt que mû par une pensée politique déterminée et structurée. Trump pense pouvoir gouverner comme on dirige une multinationale. Il veut continuer à faire ce qu’il a fait toute sa vie : être le P-DG.

Wallace recueille seulement 13,5 % du vote populaire en 1968 et ne réussit vraiment bien que dans le Sud profond ; Trump s’impose comme le meilleur candidat républicain. Tous les deux partagent cette capacité surnaturelle à mobiliser les électeurs. Leur mobilisation se fait sur le rejet, la haine, les ressentiments brûlants, le désenchantement des électeurs blancs, convaincus que leur pays leur a été volé et qu’ils doivent le reprendre — par tous les moyens.

La force de Donald Trump est aussi, en grande partie, dans l’art de jouer sur plusieurs messages qui convergent tous vers ce même but d’unir les électeurs dans une colère commune. Le choix de s’attaquer au mythe du Rêve américain se révèle gagnant. Comme en 1968, ce rêve est attaqué de toutes parts lorsqu’il fait campagne et les laissés-pour-compte de la mondialisation sont les premiers à entendre un message qui consiste à vouloir les remettre au centre du jeu et à détourner le flot des dépenses — injustement dilapidées à l’étranger et pour des buts extérieurs aux intérêts immédiats des États-Unis — pour les rediriger vers la recherche de leur bien- être, de leurs emplois et ceux de leurs enfants. Il évoque, nous dit Lauric Henneton, la mort de ce Rêve américain « pour illustrer de façon brutale, voire racoleuse, la combinaison de facteurs économiques comme la stagnation sinon le reflux des revenus des classes moyennes, la difficulté grandissante à devenir propriétaire et l’endettement croissant, notamment des étudiants, qui rend les études de moins en moins abordables, ce qui a un rôle direct dans les perspectives d’ascension sociale. » La peur de ne plus pouvoir progresser et de se retrouver bloqué dans une stagnation dont on ne peut plus sortir génère une angoisse chez l’électeur de 2016 que l’on peut très certainement comparer à celle de l’électeur de 1968. La fin d’une ère de domination américaine au cours des années 1960 surprend une population qui était entrée dans une routine bien confortable. La crise de 2007-2008 rouvre ces mêmes vieilles blessures et entraîne des demandes de protection toujours plus fortes. Dans les deux cas, cela se fait au détriment des populations plus fragiles, des minorités, des exclus. La population blanche se recroqueville sur elle-même et se sent agressée par la demande sociale de ces groupes, demande qui est désormais en compétition avec eux.

Les années 1960 sont consacrées au changement des normes, aux valeurs égalitaires, au respect de l’individualité, à l’égalité de tous et les militants qui s’engagent se battent pour que personne ne reste exclu. Beaucoup de démocrates adhèrent à cette ambition, mais les républicains, et d’autres, développent une opinion différente. Pour ceux-là, l’Amérique d’aujourd’hui est minée par l’accent mis sur la diversité, par les élites qui veulent imposer une culture politique- ment correcte aux Américains traditionnels. Ils pensent alors que les militants de Black Lives Matter ne les respectent pas, que le plaidoyer gay mine leur idée de la famille et leur foi, que les immigrés sont des intrus, et que les musulmans représentent une menace existentielle.

Or notre époque, comme l’a été 1968 auparavant, est celle d’un changement profond. La société américaine atteint un palier nouveau, avec la baisse d’influence des Blancs, qui ne seront plus exclusivement majoritaires dans les toutes prochaines années, c’est-à- dire avant 2050. Cette situation fait naître le spectre du déclin et l’angoisse de ne plus trouver sa juste place. Le Rêve américain doit donc être réévalué et cette population qui se sent déclassée et s’es- time volée de son rêve entend se le réapproprier, fût-ce au prix de l’exclusion des autres groupes. L’élection de Donald Trump signifie aussi un coup d’arrêt net à l’engagement des États-Unis dans un processus mondial pour tenter de freiner les effets de la surconsommation des produits de notre planète ainsi que d’un usage trop intensif des énergies fossiles. En quittant l’accord de Paris le 1er juin 2017, le gouvernement américain tourne le dos à cet héritage qui a été transmis par les premiers militants écolos de 1968. En réalité, c’est toute l’année 1968 que Donald Trump cherche à gommer, mais aussi toute la période des années 1960, qui fait naitre le progressisme, tout autant que les cinquante années qui suivent, qui boule- versent un ordre établi qui correspond aux valeurs d’une Amérique qu’il cherche à faire revivre. Il s’est donc attaqué d’abord à la déconstruction de l’œuvre de Barack Obama et, une fois celle-ci achevée, retire maintenant brique par brique, avec régularité et détermination, les éléments du progrès déposés par les enfants de 1968.

Les sixties ont certes marqué l’histoire américaine et développé un imaginaire qui s’est transmis jusqu’à nous. En 1994, Bill Clinton déclarait que « si vous regardez derrière vous, vers les années 1960 et pensez qu’il y a plus de bon que de mauvais, vous êtes sans doute un démocrate. » Effectivement, les uns, comme Bill Clinton, en ont été les enfants comblés. Ils ont cultivé le souvenir de leur jeunesse, faite de marijuana de musique et d’un rejet de cette guerre au Viêtnam. Mais d’autres rejettent furieusement ces années et les accusent de tous les maux, préfèrent rappeler les violences raciales et urbaines, le manque de respect des jeunes, la déchéance morale. Dans leur bouche, le terme « libéral », qui dans son sens américain signifie la gauche, est devenu une insulte grave. Ceux-là sont revenus sur le devant de la scène et ont ramené aussi au premier plan les thèmes qui sont traditionnellement les leurs : la famille, la religion, le mariage, la lutte des classes et l’armée. La traduction d’une nouvelle popularité pour ces thématiques se traduit par le succès de séries télévisées comme Roseanne, qui décrit le quotidien d’une famille du Midwest et fait des cartons d’audience, en particulier dans les états ayant voté pour Donald Trump. Le 45e président s’est rangé du côté de cette population, de ceux qu’on appelle désormais communément « sa base » et lui promet deux perspectives : la prospérité, à travers ses mesures en faveur de l’économie et de l’emploi, et la paix, par un désengagement des terrains d’action à l’étranger. On découvre aussi petit à petit qu’il s’est aussi donné une mission : ramener son pays en arrière, parce qu’il est persuadé qu’il y était plus heureux. Sa présidence est donc un retour vers le passé, en 1968, ou même bien avant.

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