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Mesdames, portez des talons, ça rehausse la fesse !
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Les standards de la féminité

Maryse Vaillant dénonce ce que la société d’aujourd’hui inflige aux femmes et ce à quoi elles semblent consentir. Après 50 ans de lutte fructueuse, un retour en arrière consternant semble se dessiner. "Sexy soit-elle" est le livre d’une psychanalyste atterrée devant cette société qu'elle juge régressive (Extraits 1/2).

Maryse Vaillant

Maryse Vaillant

Psychologue clinicienne longtemps chargée de mission à la Protection Judiciaire de la Jeunesse, Maryse Vaillant a d'abord été éducatrice, puis formatrice et chargée de cours à Paris VII avant de se consacrer à l'écriture. 

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Mélody, amie de Florence, a 32 ans. Elle a deux enfants assez jeunes. Son souci majeur, ce sont les kilos qui lui sont restés de sa dernière grossesse. Malgré un régime draconien qu’elle a suivi scrupuleusement, elle déplore que sa silhouette ait perdu la sveltesse de ses 25 ans.

Diplômée en sociologie et en histoire de l’art, Mélody est pigiste pour une émission de télévision, et, bien qu’elle ne passe jamais à l’image, elle doit toujours être fraîche et pimpante. Comme elle voit arriver sans cesse de nouvelles recrues, toutes très jeunes et très glamour, et qu’elle n’a aucune garantie de conserver son emploi, elle craint beaucoup la concurrence.

Aussi s’efforce-t-elle de ne jamais se présenter au travail dans une tenue qu’on pourrait juger négligée. Les baskets restent à la maison, les jeans sont couture, les sacs hors de prix. Sans trop savoir pourquoi, elle veille même à ce que sa lingerie soit sexy. Elle le répète : il est essentiel de rester dans le coup et d’être à son avantage en toute circonstance. Lorsqu’on est déjà maman, ne cesse-t-elle de dire à ses amies, on ne peut prendre le risque de se laisser aller.

Pour avoir entendu un jour les réflexions désobligeantes d’un présentateur au sujet d’une collègue qui était arrivée sur le plateau avec des chaussures plates, elle sait que l’uniforme de la jeune femme moderne et compétente doit comporter un joli décolleté, une jupe au-dessus du genou ou des jeans bien moulants, et surtout des talons hauts. Plus que son CV et ses diplômes, plus que les stages qu’elle accumule depuis six ans qu’elle travaille, elle sait que son look fera la différence.

Le talon haut rehausse la fesse et cambre la silhouette, il fait la cheville fine et galbe le mollet, a-t-elle lu quelque part. Ainsi, il rend la jeune femme bien plus sexy pour l’œil exercé – voire fatigué – de l’homme qui la regarde. Surtout si c’est un chef, surtout s’il peut la faire renvoyer.

Mélody soupire : les temps sont durs, et il est difficile d’obtenir et de conserver un job. Pour autant, elle ne trouve pas que l’ambiance soit particulièrement sexiste dans la boîte de production où elle travaille.

C’est la même chose ailleurs. Voire bien pire. Elle entend souvent les femmes fortes se faire traiter de cageots et les disgracieuses de thons sans que personne réagisse. Elle-même ne dit rien. À Florence, qui critique les discours sexistes, elle rétorque toujours que, en tant que fonctionnaire, celle-ci ne saurait porter un jugement sur les femmes qui risquent le renvoi ou le non-renouvellement de leur contrat.

Elle sait que certaines de ses amies assistent à des cours de féminité où on leur apprend comment s’habiller et se comporter pour mettre en valeur leur poitrine, leur taille et leurs hanches, comment marcher avec des talons hauts et conserver un port de reine en toute circonstance. Elle n’ignore pas que les guides de maintien des années 1950 prodiguaient des conseils analogues aux jeunes femmes en âge de convoler. Aujourd’hui, les standards de la féminité contrainte ont gagné du terrain, s’imposant aussi bien à la demoiselle en quête d’un mari qu’à celle qui cherche du travail, sans oublier celles qui craignent perdre l’un ou l’autre (le mari ou le travail).

Lorsqu’elle regarde des photos de sa mère jeune, elle est surprise par les outrances vestimentaires des années 1970 et 1980 et le laisser-aller dont les filles faisaient preuve. Jeans déformés, pieds nus, chemises masculines, cheveux libres, aisselles touffues, robes informes – c’est tout juste si elles étaient propres. Pour elle, ce style désuet, fleuri et débraillé est la marque d’une époque, d’un moment de folie. Il lui parle moins de liberté et de libre-arbitre que d’une mode ringarde, aussi vieillotte à ses yeux que les dentelles ou les chapeaux des grands-mères.

Un jour, peut-être, les robes longues et les châles à franges seront de nouveau en vogue, mais jamais, elle en est certaine, les femmes n’accepteront de laisser pousser leur duvet, leurs touffes pubiennes ni les poils de leurs aisselles. Elle en frissonne de dégoût. Une telle animalité n’a vraiment rien de féminin. Pour elle, la féminité est ce qui développe le charme et la séduction des femmes. C’est un combat, une ascèse, un effort constant, l’édification d’une sorte d’œuvre glamour et sexy, à l’image des chanteuses et des mannequins que l’on voit en photo dans les magazines et qui vantent l’éternel féminin.

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Extrait de Sexy soit-elleÉditions Les Liens qui libèrent (2 mai 2012)

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