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Pourquoi la décision de Trump sur le nucléaire iranien ne doit surtout pas nous détourner des États-Unis
©SAUL LOEB / AFP

Prendre de la hauteur

Donald Trump a annoncé que son pays sortait de l’accord iranien et qu’il s’apprêtait à rétablir d’importantes sanctions politiques, diplomatiques et économiques contre Téhéran. Malgré le scandale ambiant et de nombreux commentaires, il faut bien convenir que cette décision n’est pas totalement irraisonnée...

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier

Jean-Sylvestre Mongrenier est docteur en géopolitique, professeur agrégé d'Histoire-Géographie, et chercheur à l'Institut français de Géopolitique (Université Paris VIII Vincennes-Saint-Denis).

Il est membre de l'Institut Thomas More.

Jean-Sylvestre Mongrenier a co-écrit, avec Françoise Thom, Géopolitique de la Russie (Puf, 2016). 

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Au terme de plusieurs mois d’expectative, Donald Trump a pris la décision la plus conforme à ses déclarations passées. Le 8 mai dernier, le Président des Etats-Unis a annoncé que son pays sortait de l’accord iranien et qu’il s’apprêtait à rétablir d’importantes sanctions politiques, diplomatiques et économiques contre Téhéran. Malgré le scandale ambiant et de nombreux commentaires, il faut bien convenir que cette décision n’est pas totalement irraisonnée. Aussi et surtout, l’expansionnisme irano-chiite au Moyen-Orient, dont Trump n’est en rien responsable, révèle une certaine impolitique européenne, pour ne pas parler de déni de réalité.

Un mauvais accord

D’aucuns voudraient faire croire que Trump a fondé sa décision en mentant et arguant de fausses informations. Nenni. Il n’a pas été fait mention d’une quelconque transgression des stipulations de l’accord du 14 juillet ou de l’existence avérée d’un programme clandestin. Simplement, cet accord s’est révélé mauvais, car déséquilibré, et sans les contreparties attendues sur le plan de la politique étrangère du régime iranien. Malheureusement, la chose était prévisible.

Au mépris des résolutions des Nations unies votées depuis 2002, année marquant le début de cette crise rampante, l’Iran a conservé son infrastructure nucléaire et s’est vu reconnaître un improbable « droit à l’enrichissement » (de l’uranium). Il est vrai que l’AIEA (Agence internationale de l’énergie atomique) atteste du respect des limitations stipulées par l’accord, mais le système d’inspection, tel qu’il a été négocié, ne couvre pas la totalité des lieux suspects (des bases militaires et des centres de recherche y échappent). Aussi et surtout, une bonne partie des dispositions prises est appelée à disparaître dès 2025.

Par ailleurs, Téhéran ne respecte pas la résolution 2231 du 20 juillet 2015 qui exige une autolimitation de l’Iran en matière de missiles balistiques. Après avoir acquis et maîtrisé la technologie des Scud B et C fournis par la Corée du Nord, les Pasdarans (les gardiens de la Révolution) ont mis au point des missiles d’une portée de 2.000 kilomètres, qui couvrent les bases occidentales au Moyen-Orient, Israël et les régimes arabes sunnites. A l’automne dernier, Téhéran a testé un engin capable d’emporter plusieurs ogives. Serait-ce donc là un nouveau droit universel et imprescriptible ?

Enfin, le grand retournement géopolitique anticipé par l’Administration Obama – un nouvel Iran en voie de libéralisation qui renoncerait à sa politique agressive – n’a pas eu lieu. Alors même que l’accord de juillet 2015 se négociait, Ghassem Soleimani, chef de la force Al Qods (le fer de lance des Pasdarans), préparait à Moscou une intervention combinée afin de sauver le régime de Bachar Al-Assad. Décidément, il y a un fossé entre la manière dont l’accord a été « vendu » à l’opinion et la réalité géopolitique.

L’engagement iranien en Syrie s’inscrit dans un vaste projet de domination du Moyen-Orient, du golfe Arabo-Persique à la Méditerranée. Depuis, la guerre en Syrie s’est transformée en un affrontement régional tandis que Téhéran se vante de contrôler quatre capitales arabes (Bagdad, Damas, Beyrouth et Sanaa). Les forces iraniennes s’enracinent sur les frontières nord d’Israël et cherchent à se projeter en Méditerranée orientale. En lieu et place de la démocratie islamique de marché, apaisée et insérée dans la mondialisation, un front russo-chiite traverse le Moyen-Orient. Un commun dénominateur : l’opposition à l’Occident.

La méthode européenne a échoué

Indubitablement, la voie proposée par Paris, Londres et Berlin - présentée plus haut - afin de remédier aux graves lacunes, eût été préférable à la tabula rasa pratiquée par Trump. Rappelons-en les termes : le maintien de l’accord existant et la négociation de l’après-2025, une pression résolue sur le régime iranien pour qu’il accepte de renoncer à sa « frénésie » balistique (le deuxième pilier), une négociation sur l’avenir de la Syrie dans un cadre d’ensemble visant à ouvrir une transition politique et à interdire l’ingérence de puissances extérieures (le troisième pilier).

Encore eût-il fallu que le régime irano-chiite saisisse la main tendue. En pointe sur cette question, Emmanuel Macron a dépêché son ministre des Affaires étrangères à Téhéran et envisagé une visite officielle en Iran, la première d’un président français depuis la révolution chiite de février 1979, point de départ de la vague islamiste qui, depuis, balaye en tous sens le Moyen-Orient.

Sans que l’opinion publique réalise la chose, la manœuvre a bien été tentée. Jean-Yves Le Drian s’est rendu sur place, en mars dernier, mais il a été froidement accueilli, dans une ambiance hostile. Quant à la presse iranienne, dont on imagine aisément le degré de liberté, elle a fait feu sur Emmanuel Macron. Bref, le refus iranien a été clairement signifié. Trump ne pouvait l’ignorer.

Au vrai, pourquoi Téhéran aurait-il accepté la remise en cause de ce qui a été acquis par la négociation ? Le résultat lui est globalement favorable : l'essentiel a été préservé, les sanctions ont été partiellement levées, le pouvoir et l'influence du régime s'étendent au Moyen-Orient et la date-butoir de 2025 est toute proche. En attendant, la volonté de négocier d’abord, de maintenir ensuite cet accord a paralysé les Occidentaux, ces derniers laissant les Pasdarans opérer en Syrie.

Si l’effort européen avait été véritablement déterminé et collectif, avec pour objectif l’ajout de deux piliers à l’accord de 2015 et le renouvellement de ce dernier au-delà de 2025, nul doute que nous allions vers une épreuve de force. A un moment ou un autre, il eût fallu brandir des sanctions, Téhéran y répondant en menaçant de sortir de l’accord nucléaire. Le temps a manqué aux Européens, mais on peut aussi penser que le raccourci pris par Trump leur a épargné le spectacle de leurs divisions et celui d’une improbable politique iranienne tombant en charpies. Les optimistes diront que le nouveau contexte sera peut-être plus propice.

Le décalage avec le réel

Depuis l’annonce de la décision prise par Trump, il est frappant de constater que le débat sur l’attitude à adopter passe très vite sur la sécurité du Moyen-Orient et les intérêts des alliés de l’Occident dans cette région. Trop souvent, la valeur intangible de l’accord de 2015 est réaffirmée, avec force arguments d’autorité. Lorsque les défauts et lacunes du dispositif sont mentionnés, il est immédiatement précisé que l’on ne pouvait pas mieux faire. L’argument est un peu court.

En revanche, la discussion se déplace très vite sur le terrain des perspectives économiques, le marché iranien étant présenté comme mirobolant. Cela en dépit de l’étatisation de l’économie, de la mainmise des Pasdarans sur des pans entiers du pays et de la corruption omniprésente. Il semble aller de soi que la quête de parts de marché devrait l’emporter sur les intérêts de sécurité et l’évaluation de la menace.

Curieusement, le travers est aussi bien observable chez ceux qui font de la souveraineté un hochet et vibrent au fameux « politique d’abord » que dans les milieux où l’on entonne une rengaine du type « nos vies valent mieux que leurs profits ». Il est étonnant de voir autant de contempteurs de la globalisation et de la « marchandisation du monde » se soucier de l’insertion de l’Iran dans les circuits financiers et commerciaux. Miracle de l’anti-américanisme ?

Au regard de la gravité de la situation sur le terrain, ces dissonances cognitives sont inquiétantes. Présentée comme un fantasme par des orientalistes tombés amoureux de leur objet, la guerre entre l’Iran et Israël est déjà amorcée, non pas au moyen de forces intermédiaires, mais directement, de part et d’autre des frontières israélo-syriennes. On ne saurait décemment s’en étonner : l’opposition à Israël et aux Etats-Unis ainsi qu’à l’Occident dans son ensemble constitue l’ADN du régime irano-chiite.

Une telle configuration guerrière confirme les anticipations de ceux qui s’évertuent à cerner les contours des représentations iraniennes et ne se laissent pas prendre au théâtre d’ombres des affrontements internes entre les plus extrémistes (les « conservateurs ») et les moins allants (les « réformateurs »). A qui sait lire et observer, l’intention stratégique du régime est claire et n’a pas varié. Hélas, beaucoup voient le monde non pas tel qu’il est, mais à leur image. Et de s’imaginer tout un pays submergé par des pulsions hédonistes et consuméristes, au point de désarmer le régime.

En guise de conclusion

In fine, il nous faut comprendre que l’Autre n’est pas le Même, mais aussi et surtout que nous sommes engagés dans un interegnum. On peut invoquer à loisir le multilatéralisme et l’ordre international libéral, il n’en reste pas moins que nous ne sommes plus dans l’après-Guerre Froide, à l’époque où l’Occident conduisait avec succès une grande stratégie d’enlargement, i.e. d’extension des frontières de la démocratie de l’Etat de droit et du marché. Le régime irano-chiite n’est jamais que la pointe avancée, au Moyen-Orient, d’un conglomérat de puissances révisionnistes qui entendent mettre à bas la longue hégémonie occidentale.

Dans cet interregnum, il importe de ne pas perdre sa boussole. Certains s’emballent et voudraient s’acoquiner avec n’importe quel pouvoir despotique ou tyrannique sur terre, y compris la Chine populaire, prête à sauter sur Taïwan et à s’approprier les Méditerranées asiatiques, et la Russie, alliée de l’Iran chiite. L’idée serait de contrebalancer les Etats-Unis, voire d’opérer un renversement d’alliance. Bien au contraire, les solidarités transatlantiques doivent être préservées. Et si les puissances européennes veulent peser de manière décisive au sein du club occidental, il leur revient d’investir davantage dans leur appareil diplomatique et militaire.

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