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Un mythe à la peau dure : pourquoi la défaite française de 1940 n'était pas si "inéluctable" que cela
©Bundesarchiv

Bonnes feuilles

Les idées reçues sur la Seconde Guerre mondiale abondent. Mais desservant la cause de la connaissance, elles montrent surtout que la propagande de l’Axe comme celle des Alliés a durablement imprimé sa marque. Ce volume vise donc à rétablir quelques vérités. Extrait de "Les mythes de la Seconde Guerre mondiale", sous la direction de Jean Lopez et Olivier Wieviorka, aux éditions Tempus Perrin (1/2).

Olivier Wieviorka

Olivier Wieviorka

Historien, professeur à l’Ecole normale supérieure de Cachan, Olivier Wieviorka est un spécialiste reconnu de la Résistance et de la Seconde Guerre mondiale, auxquelles il a consacré plusieurs livres, dont une Histoire du Débarquement en Normandie qui fait autorité et une Histoire de la résistanceacclamée par la critique, primée par l’Académie française et plébiscitée par le public. Il a également codirigé, avec Jean Lopez, le second volume des Mythes de la Seconde Guerre mondiale.

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Jean Lopez

Jean Lopez

Jean Lopez, directeur de la rédaction de Guerres et Histoire, s’est signalé par une série d’ouvrages revisitant le front germano-soviétique dont, avec Lasha Otkhmezuri, une biographie de Joukov unanimement saluée. Il a en outre codirigé, avec Olivier Wieviorka, le second volume des Mythes de la Seconde Guerre mondiale.

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Par Maurice Vaisse

Il serait fastidieux d’énumérer ce que l’on a écrit pour expliquer en quoi la défaite était inéluctable . Toute une historiographie a en effet tendu, depuis 1940, à expliquer la défaite par l’évolution historique de la France dans l’entre-deux-guerres. Et l’analyse remarquable de Ladislas Mysyrowicz, Autopsie d’une défaite, est sous-titrée « origines de l’effondrement militaire français de 19402 », pour bien signifier que c’est dès 1919 que la France a glissé vers la défaite. La plupart des historiens ont tendance à analyser une suite d’événements à la lumière de leur issue. Ante hoc, ergo propter hoc. Bref, on peut se demander si les historiens de la défaite n’ont pas eu tendance à démontrer qu’avant l’affrontement militaire la France avait accumulé « des batailles perdues dans la diplomatie, la démographie, l’économie, le réarmement : c’était beaucoup de défaites avant que la parole eût été donnée aux armes ». Dans le même temps, Jean-Baptiste Duroselle bâtit son œuvre en insistant sur les causes profondes qui menèrent la France de « la décadence à l’abîme » : « Les Français sont entrés dans la guerre le 3 septembre 1939 et, pour ce peuple pacifique, c’est déjà une défaite morale. La défaite matérielle s’ensuivra, moins de neuf mois après . » Même le témoignage de Marc Bloch, L’Etrange Défaite , qui reste l’ouvrage le plus lucide sur les causes de la débâcle de 1940, n’échappe pas au constat de l’inéluctabilité de la défaite, comme l’explique Etienne Bloch, son fils, qui estime le titre « absurde… Aussi bien dans sa partie témoignage que dans sa partie réflexions, tout concorde à conclure à la prévisibilité de la défaite ». Cet ouvrage est confirmé par les études historiques les plus récentes, même si, comme on va le voir, il doit être réactualisé dans la juste appréciation des causes de la défaite.

Tous les types d’arguments ont été utilisés, mais on peut en dresser une typologie : certains, factuels, sont tout à fait probants ; d’autres sont purement polémiques ; enfin les justifications spécifiquement militaires méritent une discussion. D’abord des arguments de fait : l’inégalité démographique entre la France et l’Allemagne, 41 millions d’habitants contre 60, mais 80 dans les frontières de la grande Allemagne de 1940. Ensuite l’affrontement entre un régime totalitaire, prêt à tout pour vaincre, et un régime démocratique faible, a fortiori celui de la IIIe  République, en pleine crise, avec des gouvernements instables, incapables de mener une politique sur la durée. Enfin, un autre argument est souvent invoqué avec pertinence : la contradiction entre une politique militaire défensive symbolisée par la ligne Maginot et une politique étrangère consistant à vouloir contenir l’Allemagne nazie par des accords avec les Etats d’Europe centrale et orientale. Comment la France aurait-elle pu venir en aide à ces pays, sans force d’intervention extérieure ? Cela paraît évident dans le cas tchèque en 1938 et dans le cas polonais en 1939.

D’autres arguments sont plus polémiques, dans les deux sens d’ailleurs. D’un côté, certains mettent en cause les gouvernements du Front populaire, accusés de n’avoir pas mené une politique de réarmement à la hauteur de ce qui aurait été nécessaire face à l’ennemi, d’avoir même démobilisé l’effort français par l’institution des 40  heures et la nationalisation des usines d’armement. Bref, si la France a été vaincue, c’est parce que le Front populaire n’a pas assez équipé l’armée française par antipatriotisme et conviction idéologique pacifiste. D’un autre côté, on met en cause la trahison des classes possédantes qui auraient, par haine de la gauche et du Front populaire, favorisé la victoire de l’Allemagne nazie, régime vers lequel allaient leurs faveurs. « Les hitlériens n’étaient pas en somme si méchants qu’on affectait de les peindre, on s’épargnerait sans doute plus de souffrances en leur ouvrant toutes grandes les portes qu’en s’opposant par la violence à l’invasion . » Les travaux de la commission d’enquête parlementaire et les procès de l’épuration ont invalidé le rôle des complots d’extrême gauche ou d’extrême droite poussant au défaitisme.

Ces facteurs n’ont donc probablement pas été déterminants, même si, effectivement, on a noté une certaine désorganisation des usines de guerre et une pénurie de certains matériels.

En revanche, les arguments militaires sont à considérer avec attention. Tous les auteurs rejoignent l’analyse de Marc Bloch (et de Charles de Gaulle d’ailleurs) selon laquelle les causes immédiates de la défaite ont été techniques et ont tenu à la carence de la doctrine militaire et aux insuffisances de la préparation et de l’équipement de l’armée. Ces arguments tendent à montrer que la défaite n’était pas inéluctable. Ils concernent le rôle des combattants, les stratégies des deux belligérants et l’infériorité des forces françaises par rapport aux forces allemandes. Ils ont fait l’objet d’une réévaluation à compter de la publication du livre de Karl-Heinz Frieser, qui démontrait avec brio que la guerre éclair était une invention journalistique, ou plutôt que cette stratégie, qui a si bien réussi, n’avait été ni prévue ni conçue comme telle.

Ainsi a-t-on souvent invoqué l’absence de combativité des soldats français qui se seraient effondrés sans combattre, voire qui auraient fui devant l’ennemi. Il a pu y avoir des actes de désespoir de la part des fantassins confrontés à la fois aux blindés et aux stukas allemands, des abandons de poste, comme le souligne Marc Bloch quand il donne des exemples précis de pompiers fuyant l’incendie juchés sur leur motopompe automobile : « Tout pouvait bien périr, là-bas dans l’incendie, pourvu que fût conservé loin des braises de quoi l’éteindre. » Mais on a pu constater par ailleurs que les Français se sont bien battus en Belgique, et pour défendre le territoire, sur l’Oise, l’Aisne, la Somme. On peut citer les combats de La Horgne, où les spahis firent preuve de sang-froid, et de Stonne, dans les Ardennes, la contre-attaque sur Abbeville menée le 28 mai par la 4e  DCR du général de Gaulle, la défense de la Loire par les cadets de Saumur, sans parler de la résistance des équipages de la ligne Maginot. Sur l’ensemble du front, les forces françaises enregistrent environ 65 000 morts en cinq semaines (auparavant d’autres estimations faisaient état de 100 000 pertes).

Quid des stratégies ? Ce qui frappe, en effet, est la rapidité de la défaite française, comme si une armée considérée comme la plus forte du monde avait été mise hors de combat dans un duel inégal. On l’a interprété comme la preuve du succès d’une armée ultramoderne sur une armée vieillotte ; on y a vu la victoire de la guerre éclair menée par la Wehrmacht opposée à l’absence de stratégie française. En réalité, l’idée selon laquelle l’armée allemande était ultramoderne et entièrement motorisée est une légende ; à côté d’une armée bien équipée, on trouve chez les Allemands, comme dans l’armée française, des divisions mécanisées ou motorisées et des divisions équipées d’armements anciens et largement hippomobiles.

Par ailleurs, la campagne de 1940 menée par l’armée allemande ne ressemble ni de près ni de loin à une guerre éclair ; c’est une opération qui ressort du domaine militaro-tactique et non stratégico-politique, fondée sur un des ressorts essentiels de l’art de la guerre : la surprise. C’est aussi une campagne d’infanterie qui a failli échouer. En effet, l’idée centrale du plan allemand est celle d’une manœuvre d’enveloppement par la Belgique et d’une attaque surprise en passant par les Ardennes. Bien que mis à l’écart, le général von Manstein, qui a conçu ce plan, réussit à le faire adopter et il peut compter sur le général Guderian qui non seulement lui apporte sa connaissance exceptionnelle des blindés et des techniques de transmission, mais en outre connaît bien le terrain depuis la Grande Guerre.

La France, de son côté, était-elle dépourvue de stratégie ? Là aussi, c’est faux. En réalité, la stratégie française consiste en une phase défensive initiale, parfaitement cohérente avec sa situation démographique. En raison de la proximité de la guerre de 1914-1918 et des pertes énormes, près d’un million et demi de morts, les Français dans leur ensemble, militaires et civils confondus, sont profondément pacifistes. Afin d’éviter que ne se renouvelle l’hémorragie de la Grande Guerre, la France adopte une stratégie de guerre longue, une doctrine défensive, symbolisée par la ligne Maginot. Elle consiste à attendre qu’asphyxiée par le blocus qui lui est imposé l’Allemagne puisse être envahie ou soit contrainte à négocier. Cette stratégie s’appuie sur l’idée que nos frontières de l’est sont protégées  : au nord, par la Belgique, qui a déclaré sa neutralité en 1936 ; sur le Rhin, par la ligne Maginot ; et à la jointure des deux, par un massif montagneux réputé infranchissable. Le maré- chal Pétain comme le général Gamelin sont des partisans inconditionnels de cette guerre défensive. La campagne de 1940 a été prévue comme une guerre longue, semblable à la Première Guerre mondiale, et non du tout comme une guerre courte. Et la ligne Maginot est conçue comme un obstacle sur lequel s’appuyer afin de gagner du temps et de déployer une guerre de manœuvre. Mais l’adversaire allemand ne se comporte pas comme prévu. Il recourt à une puissance de combat irrésistible au moment décisif et au point le moins bien défendu. Lorsqu’on avait fait la remarque de la moindre mise en défense du secteur des Ardennes, le maréchal Pétain avait répondu que les Allemands ne s’aventureraient pas dans ce secteur et que, s’ils le faisaient, on les repincerait à la sortie. Quant au général Gamelin, il pensait à une bataille en Belgique et estimait que l’obstacle des Ardennes et de la Meuse suffirait à dissuader l’armée allemande. D’ailleurs, quand au matin du 10  mai il apprend l’offensive par les Ardennes, il s’en félicite, car il la considère comme vouée à l’échec. Et cependant, la percée de Sedan a bien lieu : elle est réalisée par trois groupes francs qui, par l’intégration d’innovations technologiques comme le char, l’avion et la radio, réussissent à disqualifier tout le dispositif français. Bref, la campagne de 1940, conçue comme devant être une guerre longue, se révèle une guerre courte.

Extrait de "Les mythes de la Seconde Guerre mondiale", sous la direction de Jean Lopez et Olivier Wieviorka

"Les mythes de la Seconde Guerre mondiale"

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