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Mais de quoi la Fête à Macron est-elle le nom ?
©Yann COATSALIOU / AFP

La fête commence

Une manifestation pour faire "la fête à Macron" est organisée ce samedi 5 mai à Paris, à l'initiative du député François Ruffin. Une initiative qui semble rester plus "politique" que "sociologique" parce que globalement ancrée à gauche.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Christian  Bidegaray

Christian Bidegaray

Christian Bidegaray est politologue. Il enseigne les sciences politiques à l'Ecole de Journalisme à Nice.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le 4 avril dernier, le député de la France Insoumise, François Ruffin, avait appelé à « faire la fête à Macron », une manifestation qui aura lieu ce samedi 5 mai. Alors que l'élection d'Emmanuel Macron avait pu se matérialiser sur des critères plus sociologiques que politiques, ne s'agit-il pas ici d'une opposition qui se cristallise en miroir de ce clivage sociologique ? Au-delà de la France Insoumise, la proposition faite par François Ruffin, cette nouvelle forme d'opposition « festive », est-elle ainsi le résultat de cette bascule d'une opposition politique à une opposition sociologique ?

Christophe Boutin : Bascule ou tradition ? Il est permis de se poser la question, qui nous renvoie aux grands mythes politiques et à ces non-dits qui sont sous-jacents à certains discours. Si l’on regarde notre histoire, on ne peut que constater, d’abord, que la gauche de la gauche a souvent tenté de jouer la carte du « festif » pour mieux imposer sa violence. Sous la Révolution, c’est aux accents des chansons (Le Ça ira ou La Carmagnole bien sûr, mais aussi tant d’autres) que l’on massacre dans les prisons de Septembre. La violence n’est plus un choix douloureux et réfléchi dont le monopole légitime est nécessairement réservé à l’État. Étant festive, elle en devient « naturelle », et le meurtre, qui peut être partagé par tous, acquiert ainsi un côté populaire et bon enfant. En France, « tout finit par des chansons », y compris la vie de ceux qui prétendent s’opposer à la gauche. La droite, elle, a toujours négligé ce caractère festif, elle a le massacre politique triste – Thiers et la Commune en étant l’un des plus sinistres exemples –, ce qui la dessert nécessairement auprès des artistes et saltimbanques.

Si, l’on veut bien retenir ce lien entre fête et violence, on notera que le terme retenu par François Ruffin est révélateur par son ambiguïté volontaire même, car on sait le potentiel de violence que recèle la formule « faire sa fête à quelqu’un ». Bien sûr, il n’y a ici aucun appel au meurtre, et il s’agit au mieux, symboliquement, de « faire sa fête » politiquement au Président, en créant la base d’une contestation accrue, en faisant « converger les luttes » par et dans le festif, et en dépassant le cadre purement politique pour le mêler de sociétal plus que de social. Mais le non-dit reste bien présent.

Et il est un autre élément non dit de la formule, celui qui prétend faire entendre la voix de la « France d’en bas » (nécessairement festive) quand le discours serait monopolisé par la « France des riches » (nécessairement triste). Le festif permet en effet la transgression de l’ordre social dans l’ambiance des saturnales, du carnaval ou de la fête des fous, et l’on retrouve cet égalitarisme cher à Edwy Plenel qui permet de s’adresser au Président de la République comme s’il était le « citoyen Macron ». Enfin, si elle n’a pas grand chose à dire, comme l’enfant frondeur qui crie pour se faire remarquer et avoir l’impression d’exister, cette gauche entend faire le plus bruyamment possible la fête pour gêner ou empêcher le débat politique.Voilà donc pour cette « opposition en miroir », miroir inversé bien sûr, et pour le jeu de rôle auquel elle donne lieu, qui mêle opposition politique et sociologique plus qu’elle ne remplace l’une par l’autre.

Raul Magni Berton : On peut penser que le vote pour Macron est plus facile à prédire si l'on regarde le revenu des gens, que si on prend en compte leur positionnement politique. En fait, cela n'est pas tout a fait exact, mais ont peut dire que l'électorat de Macron est caractérisé par des classes aisés qui ont réussi à occuper le centre de l’échiquier politique, alors que, de l'autre coté, les classes populaires, sont divisées à l'extrême gauche ou à l'extrême droite. Aujourd'hui, donc, il y a plus de désaccord politique parmi les gens qui ont un faible revenu, que parmi les gens aisés, largement réconciliés autour d'un président qui leur convient. 

La manifestation lancée par Ruffin reste malgré tout plus "politique" que "sociologique" parce que globalement ancrée à gauche. L'objectif est bien sur de réconcilier les faibles revenus sous un seul drapeau, mais pour le moment, nous y sommes encore assez loin. Pourtant, c'est bien ce que tous les mouvements de gauche ou de droite essayent de faire. L'aspect "festif" a probablement également cet objectif: rendre l’événement suffisamment accueillant pour que les désaccords politiques passent en second plan et les gens s'y mélangent. 

Christian  Bidegaray : Je ne suis pas très à l’aise avec votre distinction entre critères sociologiques et critères politiques, dans la mesure où ces deux éléments sont mêlés. On a fait remarquer que l’électorat de Macron était celui de l’ouverture au monde et des gagnants de la mondialisation (France des métropoles), alors que ses adversaires, notamment au FN, étaient ceux de la France des oubliés et des vaincus de la mondialisation (France périphérique). De fait les CSP + sont nombreuses dans l’électorat macronien, quand le vote ouvrier se retrouve davantage au FN ou chez les Insoumis. En ce sens on peut voir en effet des clivages sociologiques, mais dont la portée politique est évidente. François Ruffin et la France insoumise, jouent de ce critère et développent l’idée d’un Macron président des riches (et François Hollande a surenchéri en disant qu’Emmanuel Macron est « le président des très riches »). De fait on voit aujourd’hui les Insoumis, Benoît Hamon, le Parti communiste et ce qui reste du parti socialiste développer cet argument, dans une sorte de réactivation de la lutte des classes. Mais pour l’instant entre les infirmières, les cheminots, les pilotes d’Air France ou les étudiants hostiles à la sélection à l’entrée de l’université, il n’y a guère d’unité (pas de convergence des luttes) sinon une agrégation de mécontentements, mais les buts de chacun de ces mouvements sont fort différents. C’est parce qu’il en a conscience que Ruffin propose une « fête à Macron » en espérant que de l’addition de ces colères pourra naître une unité que jusqu’ici ni la CGT, ni JL Mélenchon ne sont parvenus à créer. Après les débordements des black blocks du 1er mai, Ruffin et les siens ont intérêt en effet à faire une manifestation festive, pour ne pas se mettre l’opinion à dos. C’est d’un certain côté une réactivation des « festivités » de mai 68, (« sous les pavés la plage », « laissez la peur du rouge aux bêtes à cornes ! » etc). Mais l’humeur aujourd’hui n’est plus festive, et si en 68 la France connaissait le plein emploi, tel n’est hélas plus le cas.

En quoi ce type de mouvement peut-il être rapproché de ce que l'on peut voir dans des pays comme l'Italie avec le M5S ou en Espagne avec Podemos, ou encore d'autres mouvements qui ont pu surgir à l'écart des cadres politiques établis ?

Christophe Boutin : Trois éléments convergent dans nos sociétés. Le premier est la lassitude que l’on constate un peu partout en Europe devant la partitocratie qui a structuré nos démocraties, à la fois parce que les partis fonctionnent comme des oligarchies et opèrent une captation du pouvoir – on relira sur le sujet les thèses de Michels, d’Ostrogorski ou le lumineux texte de Simone Weil Note sur la suppression générale des partis politiques –, mais aussi parce qu’ils ont échoué en conduisant à un bouleversement majeur de nos sociétés qui va à rebours des aspirations des populations. Sondages après sondages, leur côte de confiance s’effondre logiquement, et le « dégagisme » est devenu mentalité courante. Le deuxième élément est l’arrivée d’un monde de communication instantanée, de réseaux sociaux, de convergences croisées, tout un système qui permet des mobilisation rapides autour de thématiques ou de personnages qui semblent surgis du néant. Le troisième élément est que nous sommes dans une société du spectacle, de l’entertainment, du festif, du zapping, une société dans laquelle il importe de ne pas ennuyer.

Deux choses sont donc à prendre en compte lorsque l’on compare les mouvements que vous citez : la proximité des discours, bien sûr, mais aussi - et surtout - celle des formes prises par ces mouvements et de leurs stratégies médiatiques. Comme il y a eu un temps en Europe une mode de la campagne électorale « à l’américaine », avec ballons, pluies de confettis ou arrivée du héros par le fond de la salle, il y a aussi une mode du « mouvement spontané »… qui est, dans la réalité, à peu près aussi spontané que le show à l’américaine. Personne ne s’y trompe : en appliquant certaines recettes simples, on obtient plus facilement la nécessaire visibilité médiatique, et ce quel que soit - ou presque - le discours tenu. Une proximité existe néanmoins sur ce point aussi puisque ces partis ou groupes présentent essentiellement un discours de déconstruction, qui soulève d’ailleurs parfois des questions très réelles sur le fonctionnement de nos démocraties.

Ruffin, espère sans doute surfer sur cette vague. Reste à savoir si le sénateur Mélenchon (18 ans et 9 mois de mandat) a autant une image de rupture que celles qu’ont pu donner, en Italie Beppe Grillo, ou en Espagne les intellectuels qui fondèrent Podemos…

Raul Magni Berton : Vous citez justement deux mouvements qui ont réussi à obtenir l'appui des faibles revenus, à partir d'une activité politique intense mais aussi conviviale. M5S a plutôt utilisé la figure d'un comique connu pour fédérer et attirer, alors que Podemos à bénéficié des mouvements sociaux associés à la crise économique. Dans les deux cas, cependant, il n'y a pas de personnes élues et actives au sein d'un parti qui préexiste à ces mouvements. En France la situation est différente. Les Insoumis ont largement une capacité à capter une certain nombre d'activistes qui, dès lors, ne se trouvent pas tout à fait à l'écart des cadres politiques établis. De plus, et de ce fait, la revendication du "ni droite ni gauche" que l'on retrouve chez Podemos et M5S, n'arrive pas à prendre en France.

Christian  Bidegaray : De fait nous assistons en France, comme en Espagne (Podemos), en Italie (Cinque Stelle) au développement d’un populisme de gauche, mais il est de droite en Allemagne (AFD) en Hongrie (parti Fidesz d’Orban), aux Pays-Bas (partis VVD et PvdA) ou en Pologne (parti Droit et Justice de Kaczynski). Ces mouvements se développent et prospèrent face à l’effondrement ou aux défaites des classes politiques et des partis traditionnels en jouant sur les colères multiples qu’ils agrègent dans leurs discours. Ils ont surtout un rôle protestataire. On pourrait avancer que la France insoumise, exerce aujourd’hui ce que le professeur Georges Lavau appelait naguère la fonction tribunitienne du parti communiste français. De ce point de vue, France insoumise et Front national pratiquent une même contestation du pouvoir en place (même si parfois leurs arguments sont politiquement opposés, (mais ils rivalisent parfois pour se targuer d’être les défenseurs légitimes des travailleurs et des Français en difficulté).

Quels sont les risques à terme présentés par un tel mouvement, qui se caractérise plus par son opposition que par ses propositions ? N'est ce pas finalement une assurance pour Emmanuel Macron de bénéficier d'une opposition fragile ?

Christophe Boutin : La politique ne se résume pas à un affrontement de programmes : elle est, nous venons de le voir, liée à des mythes, et elle est parfois forme autant que fond. Le politique tente de démontrer la vacuité du programme de son adversaire, mais nous savons tous que cela n’a pas empêché les électeurs de porter au pouvoir des individus qui s’y sont révélés peu convaincants, et ce justement parce que leur choix ne se faisait pas que sur un programme. Par ailleurs, on peut se demander si savoir clairement ce que l’on ne veut pas n’est pas parfois au moins aussi important que de avoir ce que l’on veut. Enfin, il est dans le rôle normal du challenger qu’est France Insoumise de critiquer le pouvoir en place, et dans celui d’Emmanuel Macron et de son équipe de défendre leur bilan. Autant d’éléments donc qui relativisent, vous le comprenez, la faible part de propositions reprises par des médias qui, de toute manière, sont plus friands de critiques assassines pour ouvrir leurs journaux.

Est-ce que cette opposition est plus fragile pour cela seulement qu’elle serait plus critique que constructive ? Sans doute pas si l’on veut bien considérer cette approche globale de ce que peut être la politique. Et ne nous leurrons pas, en face, Emmanuel Macron est lui aussi un homme de communication, qui sait parfaitement utiliser en tant que de besoin les mythes de la politique – sa manière de jouer avec l’idée monarchique étant par exemple remarquable. La question est donc plus vaste, mais n’est-ce pas tout l’intérêt de la politique ?

Raul Magni Berton : Par l'opposition il est toujours plus facile de fédérer les gens que par la proposition. Il est donc plus prometteur de commencer par s'opposer. La question est de savoir si cette opposition sera capable de se transformer en alternative unie. C'est en effet toute la question, dans la mesure où, actuellement, les propositions pour protéger les travailleurs plus fragiles vont de la taxation des capitaux à la fermeture des frontières, en passante par la sortie de l'euro. Il n'y a pas encore, un message qui puisse parler à une opposition plus large. 

Christian  Bidegaray : Face à l’effondrement des partis de gouvernement à droite (LR) comme à gauche (PS), le pouvoir central incarné par « En marche » a pour l’instant les coudées assez franches, dans la mesure où une partie de l’opinion (environ 43 %) le soutient ou veut lui laisser le temps de faire ses preuves - ce qui explique sans doute pourquoi le pouvoir ne fléchit pas sur la nécessité de réformer. Il n’ignore pas cependant l’étroitesse de sa base électorale (cf le premier tour de l’élection présidentielle où le candidat Macron n’a réuni que 18,19 % des électeurs inscrits, soit 24 % des suffrages exprimés. Il sait aussi que les résultats positifs (du moins l’espère-t-il) des réformes engagées ne pourront se manifester que dans un an au moins. Nous sommes donc dans une situation ambigüe dans la mesure où pour l’instant les oppositions ne parviennent pas à se structurer efficacement, mais où la base électorale (malgré les succès d’EM aux législatives) reste encore fragile, notamment dans les collectivités territoriales. En toute hypothèse, on peut regretter ou s’inquiéter de voir que faute d’une opposition structurée et constructive, le pouvoir ne trouve en face de lui que les extrêmes, à gauche comme à droite, et les manifestations, voire les débordements de la rue.

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