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Faut-il supprimer les business schools ?
©Pixabay

Bonnet d'âne

A l'occasion d'un long article publié par le Guardian, Martin Parker, professeur de l'Université de Bristol, soutient qu'il faudrait "bulldozériser" les écoles de commerce.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Dans un long article publié par le Guardian, le professeur de l'Université de Bristol Martin Parker explique "pourquoi nous devons "bulldozériser" les écoles de commerce", en pointant notamment leur séparatisme et l'application d'un mode de pensée basé sur le capitalisme, l'entreprise, et la gestion managériale comme un mode d'organisation par défaut, tout le reste n'étant que périphérique. Quelles sont les critiques pertinentes ici formulées, en quoi s'appliquent-elles à la France ? 

Edouard Husson : Un universitaire qui a passé sa carrière dans les business schools écrit un article au vitriol contre les institutions académiques qui l’ont nourri! La haine de soi est fréquente chez les académiques! L’article est un mélange de remarques intéressantes et de ressentiment. Surtout il ne propose rien pour remplacer le système qu’il s’est mis à détester. Le problème qu’il soulève n’est pas nouveau. La remise en cause des business schools est permanente. La Harvard Business School a fêté son centenaire au moment de la crise de 2008. On entendait déjà à l’époque tous les arguments de Parker. Les écoles de commerce ont introduit des enseignements d’éthique etc..... Puis la vie académique a repris comme auparavant. Il y a une certaine hypocrisie, à la fois de la part de ceux qui veulent faire des business schools les boucs émissaires d’une crise - ou d’une transformation-  beaucoup plus large, celle de l’i-conomie; et de la part des écoles elles-mêmes qui introduisent un peu de sciences sociales pour montrer qu’elles tirent les leçons de ce qui se passe. Comme si, d’ailleurs, les sciences sociales n’étaient pas actuellement en crise, dépassées par l’évolution du monde. Non, il faut raison garder. Les business schools sont des lieux d’observation intéressants des failles du capitalisme mais aussi de sa capacité d’adaptation: “écoles de commerce” au XIXè siècle, “écoles de management” au XXè siècle, elles sont en train de devenir des écoles de l’innovation. On y fait aujourd’hui une recherche poussée en stratégie, en management, en finance, en marketing mais on s’y intéresse aussi aux sciences cognitives, à l’ingénierie etc....Je connais au contraire peu d’endroits à l’université où l’on traite aussi intensément les enjeux du défi écologique, des relations entre public et privé, de la crise du leadership à l’âge de la troisième révolution industrielle etc....

Quel sont les défis auxquels doivent faire face ces écoles de commerce ? Comment peuvent-elles répondre à de telles critiques, et ainsi mieux former leurs étudiants ? 

Le défi n’est pas là où l’indique Martin Parker. Il est dans la réalité de la troisième révolution industrielle. Aujourd’hui il n’est plus possible de relever les défis de l’innovation technologique et managériale, de la transformation numérique, de l’entrepreneuriat, de la psychologie des classes d’âge arrivant sur le marché du travail sans croiser les approches et les disciplines. On ne peut plus faire seulement du management. La complexité de conception d’un produit demande d’avoir des équipes pluridisciplinaires avec des scientifiques, des ingénieurs, des codeurs, des manageurs, des spécialistes de sciences sociales etc..... Le développement du sur-mesure de masse, le suivi de la clientèle, la conquête de nouveaux publics font autant appel aux spécialistes des data qu’à des diplômés en marketing. Il faut donc, de plus en plus, que les business schools s’insèrent dans un environnement universitaire transdiciplinaire et dans des écosystèmes d’innovation. Elles peuvent d’ailleurs beaucoup apporter aux universités dans lesquelles elles sont situées. Dans le monde de l’industrie 4.0, les universités sont appelées à se situer au coeur de l’économie et les business schools ont de ce point de vue un temps d’avance. Mais leur formation continue risque d’être vite dépassée si elles n’inventent pas des programmes nouveaux dédiés à la transformation numérique, à l’innovation, à l’intelligence artificielle, au design thinking, aux partenariats public/privé. Et cela elles ne peuvent plus le faire seules. C’est le cas le plus connu mais significatif: la Harvard Business School a perdu, aujourd’hui, le monopole de la formation continue, à Harvard; on en trouve dans toutes les écoles de l’université. Martin Parker aurait pu écrire le même article au moment de la finance triomphante, au milieu des années 2000. En revanche, aujourd’hui, si l’on veut lancer un avertissement aux business schools, il faut leur demander si elles répondent au défi de l’i-conomie. Elles ne sont pas seules, d’ailleurs, à être potentiellement dépassées: en France, il y a peu d’écoles d’ingénieurs ou d’universités où l’on forme des Chief Data Scientists, par exemple.

Concernant la France qui a une tradition singulière en la matière, quels sont les enjeux ? Quels sont les défis à relever pour les écoles de commerce françaises ? 

Martin Parker rappelle justement que la plus ancienne école de commerce au monde est française. C’est l’ESCP, qui fêtera son bicentenaire en 2019, et qui est aujourd’hui un des établissements académiques les mieux internationalisés de France avec des campus dans cinq autres pays D’une manière générale, les écoles de commerce sont des joyaux du système d’enseignement supérieur français, bien adaptés jusqu’ici au rythme des transformations du monde. Nos écoles de commerce sont par exemple en pointe en ce qui concerne l’enseignement en ligne. Nos business schools étaient souvent financées principalement par les chambres de commerce il y a trente ou quarante ans, ces dernières ont, dans les quinze dernières années, pour certaines, perdu pied par manque de vision stratégique et pour d’autres au contraire bien négocié le tournant de la transformation du système éducatif. Dans tous les cas, nous avons des écoles qui ont su s’adapter, diversifier les publics et les formations, passer des alliances avec des écoles d’ingénieurs. Sous l’impulsion d’HEC, dans les années 1990, tout le système a compris la nécessité de développer de la recherche de qualité. Aujourd’hui, cependant, le défi va être de prendre le tournant de la transdiciplinarité et d’inventer la formation tout au long de la vie que réclame la troisième révolution industrielle. C’est là que les écoles françaises vont se heurter, au moins dans un premier temps, à des limites. Elles ont fièrement cultivé leur indépendance par rapport au reste du système d’enseignement supérieur; cela leur a réussi à une certaine époque mais devient inadapté dans le monde des NBIC (nanotechs, biotechs, sciences de l’information et sciences cognitives). L’un des ratés de la réforme de l’enseignement supérieur en cours depuis une quinzaine d’années, c’est l’incapacité des grandes universités, jusqu’à maintenant, à intégrer les business schools avoisinantes à leur stratégie. Il y a bien des réussites, comme l’EM Strasbourg ou l’actuel rapprochement, très prometteur, entre l’ESSEC et l’Université de Cergy-Pontoise. Mais il va falloir aller beaucoup plus loin, pour les business schools, pour l’université et pour le pays. C’est un défi majeur des prochaines années.

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