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(Mais) à quoi sert Edouard Philippe ?
©Vincent LOISON / AFP / POOL

Mystère et boule de gomme

Issu des rangs de la droite, le Premier ministre est un homme qui semble aujourd'hui seul, libre de tout parti, mais aussi en dehors de tout courant politique.

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy

Bruno Jeudy est rédacteur en chef Politique et Économie chez Paris Match. Spécialiste de la droite, il est notamment le co-auteur du livre Le Coup monté, avec Carole Barjon.

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Le Premier ministre est un homme qui semble seul, libre de tout parti, mais aussi en dehors de tout courant politique. S'il a eu un rôle stratégique en début de mandat, à quoi sert désormais Édouard Philippe ?

Christophe Boutin : Édouard Philippe, simple gadget ? On peut se poser la question, presque une année après son arrivée à Matignon, le 15 mai 2017. Pour la première fois sous la Ve République, un Premier ministre avait soutenu pendant la campagne présidentielle – certes, du bout des lèvres – une autre candidature que celle du Président qui le nommait. Un « coup de com » supérieur encore aux débauchages opérés par Nicolas Sarkozy nommant par exemple aux Affaires Étrangères un Bernard Kouchner certes porté par les médias mais, dans la réalité, totalement démonétisé par ses compromissions au Kosovo.

Attirer Édouard Philippe, c’était avoir une des figures montante des Républicains, maire d’une ville emblématique, Le Havre, reconquise par la droite après des années de direction communiste, et proche d’un Alain Juppé qui représentait jusqu’à la caricature la macro-compatibilité ; et tout cela sans pour autant avoir l’inconvénient de prendre une figure du passé à l’ego démesuré. Et de fait, avec cette arrivée d’Édouard Philippe à un poste majeur, les Républicains, entre les ralliés au macronisme, les « constructifs » qui ne lui sont pas hostiles et les vieux sages dissidents, ont effectivement été sous le choc… et ne s’en sont toujours pas remis.

Par ailleurs, en dehors de l’aspect tactique ponctuel de diviser Les Républicains, il ne faut pas sous-estimer la volonté d’Emmanuel Macron de se placer au centre de l’échiquier politique en s’étendant le plus largement possible sur sa gauche, bien sûr, après la destruction du Parti Socialiste, mais aussi sur sa droite, en ramenant à lui une partie des libéraux.

Or ce n’était finalement pas difficile à réaliser si l’on se souvient ce que sont ces libéraux-là. À la suite du « mouvement sinistrogyre », théorisé par Albert Thibaudet au début des années trente, ces libéraux, anciennement à gauche, ou au moins de centre gauche, avaient été chassés vers la droite de l’échiquier politique par l’apparition, à gauche, de nouveaux mouvements toujours plus radicaux. Or cette radicalisation continue de la gauche semble avoir cessé, et la conversion des socialistes à la société de marché, François Mitterrand regnante, a changé la donne. L’union se fait dès lors naturellement entre les partisans du libéralisme des mœurs, du libéralisme sociétal, et ceux du libéralisme économique « à l’anglo-saxonne », tous réunis dans un même culte de l’individu-roi.

On l’aura compris, au-delà de la tactique, au-delà des avantages qu’il peut effectivement y avoir, pour les uns à fragiliser la droite en offrant des alliances, pour les autres à bénéficier des postes, on trouve une réalité simple : bien peu de choses les séparent idéologiquement, et il n’est pas jusqu’au culte de la technocratie qui les rassemble. C’est sur ce socle que Macron compte pour durer politiquement, et Édouard Philippe continue de représenter un partenaire utile en 2018.

Car l’image d’homme seul, en dehors des partis, en dehors des courants politiques – une image qui n’est pas sans rappeler celle d’Emmanuel Macron – est un plus de  nos jours, quand le mot d’ordre politique, comme l’a merveilleusement compris le Président, est le pragmatisme. Les Français sont las des querelles idéologiques – ce qui ne veut pourtant pas dire, contrairement à ce que l’on pourrait croire, qu’elles sont dépassées – et des jeux d’appareils, comme en 1958, soixante ans après, et rien ne les fâche autant que des postes attribués par de savantes répartitions entre alliés ou entre courants – bref les « magouilles politiciennes ». Cette alliance de deux « pragmatiques » qui semblent ainsi « au-dessus de la mêlée » a donc toujours sa cohérence.

Bruno Jeudy : D’abord Edouard Philippe a été essentiel dans le dispositif de l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, non pas pour la campagne présidentielle gagnante à laquelle il n’a pas participé mais pour la campagne des législatives et la mise en place du dispositif politique de gouvernance d’Emmanuel Macron. Il a choisi un Premier ministre issu des rangs de la droite pour faire poursuivre l’explosion du système entamée pendant la campagne présidentielle avec les socialistes. La nomination d’Edouard Philippe à Matignon fut un coup de maître pour mettre en difficulté les Républicains dont on voit bien qu’ils ont encore aujourd’hui du mal à se relever et de la campagne présidentielle perdue et de la Bérézina des législatives même s’ils ont pu sauver une centaine de postes. Edouard Philippe, est l’élément de droite l’équation « en même temps » d’Emmanuel Macron. La première raison d’être d’Edouard Philippe est d’abord celle-là. Avoir Edouard Philippe permet de clouter l’espace central qu’Emmanuel Macron a essayé d’occuper d’une partie des socialistes à une partie des Républicains en englobant le Modem, l’UDI, tout ce grand centre. Il ne laisse ainsi comme espace à ses opposants les extrêmes, avec d’un côté Jean-Luc Mélenchon à l’extrême-gauche avec la France Insoumise et de l’autre côté le Front National de Marine Le Pen. Il espère ainsi ne pas voir remonter les socialistes, et cela semble être le cas aujourd’hui, et repousser les Républicains vers l’extrême-droite.

L'enjeu, au-delà de son rôle de « chef d'orchestre », est bien entendu de maintenir l'espace ouvert lors de la campagne. Combien de temps Emmanuel Macron peut-il garder Édouard Philippe s'il ne lui sert à rien ?

Christophe Boutin : Il y a belle lurette que le Premier ministre n’est plus le « chef d’orchestre » de quoi que ce soit. Certes, selon l’article 21 de la Constitution, il continue de « diriger l’action du Gouvernement », mais qui croit encore, comme le dit l’article 20 C, que c’est ce même Gouvernement qui « détermine et conduit la politique de la Nation » ? Et quel Gouvernement ? Un sondage paru dans le Figaro il y a une quinzaine de jours montrait que les ministres étaient, pour nombre d’entre eux, de parfaits inconnus pour les Français.

C’est donc le Président de la République qui est le véritable « chef d’orchestre ». Ce n’est sans doute pas nouveau – on se souvient du vieux débat entre constitutionnalistes pour savoir si le Président, sous la Ve, est plus « arbitre » que « capitaine » - mais les évolutions institutionnelles majeures que furent le passage au quinquennat et l’inversion de calendrier, plaçant les législatives après les présidentielles, ont clarifié les choses.

Or Édouard Philippe fait plutôt bien le job de brillant second : pas de conflits avec la présidence, un contrôle des ministres plutôt correct au moment des toujours difficiles arbitrages, des rapports plutôt ouverts avec le Parlement. Bien sûr, il faudrait voir, derrière la scène, la réalité du pouvoir : la place des secrétaires-généraux de l’Élysée et du Gouvernement, plus que jamais à la manœuvre, en liens directs avec les conseillers de l’Élysée, d’une part, et, d’autre part, avec les hauts fonctionnaires placés auprès des ministres pour suppléer à leurs notoires incapacités. Il faudrait donc comprendre cette ossature technocratique, qui n’est pas nouvelle, qui est souvent loin d’être inutile, et qui correspond, curieusement, à une certaine attente des Français : celle d’être gouvernés, c’est-à-dire dirigés, par un pouvoir qui sache sortir des débats sans fin pour imposer des choix.

Dans ces conditions, le remplacement d’Édouard Philippe, chef de Gouvernement et uniquement chef de Gouvernement, qui ne sera jamais un rival politique pour l’actuel chef de l’État, non parce qu’il lui doit tout – ce ne serait pas le premier Brutus –, mais parce qu’il n’est rien sans lui, n’est sans doute pas à l’ordre du jour.

Bruno Jeudy : La nomination d’Edouard Philippe ne correspond pas à ce qu’on a vécu précédemment sous François Hollande ou Nicolas Sarkozy où le Président nommait un proche ou une famille alliée ou concurrente au poste de Premier ministre. L’objectif d’Emmanuel Macron n’est pas de faire de son Premier ministre le chef de la majorité. Il est le coordinateur, le chef d’orchestre, l’exécuteur en chef de la politique du Président. Et en plus il doit faire exploser les lignes sur le flanc droit du « en même temps ». Sur ces deux points, la première année d’Edouard Philippe a été parfaite. Il s’est acquitté de ce rôle, il n’a aucun état d’âme à appliquer les directives du Président. Il se déploie sur l’espace que lui laisse le Président, leur relation est au zénith… Il ne faiblit pas, ne tremble pas. Il y a eu certes des périodes d’émancipation où on l’a vu un peu plus par exemple sur le dossier NDDL, où il a été efficace. Il a fait preuve d’audace sur les 80 km/h, qui apparemment était une décision personnelle qui par ailleurs lui coûte cher en termes de points dans les sondages. Pour le reste, il exécute. On est revenu à l’épure de la Ve République, c’est-à-dire un Président qui fixe le cap et un Premier ministre qui l’applique sans état d’âme. On n’est plus dans le « lui c’est lui moi c’est moi » de Mitterrand et Fabius, ni dans la guerre froide entre Rocard et Mitterrand, on n’est plus dans la relation de domination inversée entre Villepin et Chirac ou Valls et Hollande, on n’est pas non plus dans les tensions glaciales entre un collaborateur brimé et un président méprisant comme pour Fillon et Sarkozy. On est revenu à quelque chose qui ressemble plus à De Gaulle et Pompidou voire peut-être Mitterrand et Mauroy.

En cas de coup dur comme il en arrive souvent à l’« enfer de Matignon », ne risque-t-il pas d'être très exposé ?

Christophe Boutin : Pour que le Premier ministre soit véritablement exposé, encore faudrait-il qu’il apparaisse comme le principal auteur des choix politiques, or, comme nous venons de le dire, ce n’est pas le cas. Ce n’est pas la politique d’Édouard Philippe que met en œuvre Édouard Philippe, c’est la politique d’Emmanuel Macron, et c’est clairement assumé par les deux hommes - et parfaitement compris par tous les Français.

Si « enfer de Matignon » il y a de nos jours, c’est lorsque le Premier ministre ne peut mettre en œuvre ses propres choix, et se trouve en permanence court-circuité par un Président omniprésent : c’est toute l’histoire du calvaire enduré par François Fillon sous Nicolas Sarkozy. Mais il n’est pas certain que les choix de politiques à mener de Philippe et Macron ne soient pas plus proches que ceux de Sarkozy et Fillon, et – mais il est vrai qu’en bon boxeur il sait encaisser – le Premier ministre actuel n’a pas l’air de trop souffrir.

Ce qui est certain, par contre, c’est que le « fusible » politique est d’autant moins efficace qu’il ne semble n’être qu’un instrument entre les mains d’un autre. Alors, oui, en cas de crise majeure, il restera toujours la possibilité de renvoyer Édouard Philippe, mais pour quoi faire ? Cela ne dédouanera pas Emmanuel Macron de ses responsabilités politiques, il devra nécessairement donner pour consignes au nouveau Premier ministre d’infléchir certains éléments – et, malgré son pragmatisme affiché, cela ne lui sera pas si facile de manger son chapeau, même par chefs de gouvernements interposés –, et, surtout, qui choisir ?

Ceux qui sont exposés sont plus les ministres, pour des raisons d’ailleurs plus symboliques – on les voit défendre au Parlement et dans les médias des textes qui portent leurs noms, et on leur prête, souvent à tort, une autonomie de négociation – que réelles.

Bruno Jeudy : Pour l’instant cela fonctionne parfaitement bien, mais à terme on peut s’interroger sur l’efficacité du dispositif d’Emmanuel Macron. On voit bien que de par sa discrétion, Edouard Philippe peut s’exposer à des situations compliquées, comme on a pu le voir très récemment dans la gestion de la manifestation du 1er mai. Le Premier ministre à un peu tardé à se manifester, et d’une séquence policière plutôt bien gérée, on déplore finalement une gestion de la communication du gouvernement qui n’a pas été à la hauteur.

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