Très forte hausse du nombre de migrants en direction de la Grèce : vers un nouvel été de crise ? <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
Très forte hausse du nombre de migrants en direction de la Grèce : vers un nouvel été de crise ?
©Anthi PAZIANOU / AFP

L'été sera chaud

D'après des informations données par le Guardian, les flux migratoires entre Turquie et Grèce, notamment des kurdes en provenance d'Afrin, seraient à nouveau en progression, après le passage de 2900 personnes au mois d'avril, soit l'équivalent du flux total depuis le début de l'année.

Jacques Barou

Jacques Barou

Jacques Barou est docteur en anthropologie et chargé de recherche au CNRS. Il enseigne les politiques d’immigration et d’intégration en Europe à l'université de Grenoble. Son dernier ouvrage s'intitule La Planète des migrants : Circulations migratoires et constitution de diasporas à l’aube du XXIe siècle (éditions PUG).

 

 

Voir la bio »

Atlantico : La situation ferait craindre à Athènes une situation d'urgence pour l'été qui s'annonce. Comment évaluer les risques d'une nouvelle crise migratoire pour cet été 2018 ? 

Jacques Barou : Depuis la négociation menée en 2015 avec la Turquie à la suite de l'arrivée dans l'UE de près d'un million de personnes entrées par la Grèce, les flux avaient diminué de façon spectaculaire, ce qui signifie que le gouvernement turc avait les moyens et la volonté d'empêcher les candidats à l'émigration vers l'U.E de franchir la frontière. Si les flux reprennent depuis quelques mois, c'est que le gouvernement turc ne veut plus remplir le rôle de rétention. S'il s'agit des Kurdes chassés d'Affrin, il va de soi que le gouvernement turc a intérêt à les voir partir plutôt que de s'installer sur son territoire avec les risques qu'ils rejoignent les mouvements pro-kurdes de Turquie. Cette incitation au départ visant les Kurdes de Syrie touchera-t-elle d'autres zones que celle d'Affrin ? Cela dépendra de la suite des actions militaires de l'armée turque dans le Kurdistan syrien. Devant l'hostilité des puissances occidentales et du régime syrien provoquée par cette intervention il est possible que l'opération s'arrête au moins momentanément, ce qui limiterait les départs de Kurdes vers l'Europe. Mais il est possible aussi que le gouvernement turc joue la carte de la menace de nouvelles vagues migratoires pour obtenir de nouvelles aides financières de l'UE, la situation économique du pays étant actuellement très mauvaise et promettant de se dégrader davantage dans l'avenir, ce qui remettrait en cause la réélection de l'AKP. Le risque d'une nouvelle augmentation des flux dans les mois à venir existe incontestablement. Mais cela reste conditionné par la situation internationale et l'évolution de la situation en Syrie et en Turquie.

De l'élection anticipée en Turquie et à son impact sur le fragile accord passé entre Ankara et l'Union européenne, à l'annonce par Damas de la mise en place de la "loi numéro 10" visant à exproprier les réfugiés, et interdisant ainsi toute possibilité de retour, comment aborder le contexte de cet été 2018 ? Quels sont ces éléments qui pourraient avoir une importance sur les flux migratoires au cours de cet été ? 

Si le régime turc veut des élections anticipées c'est parce que s'il attend la date prévue, la situation économique sera tellement mauvaise que l'AKP aura toutes les chances de perdre les élections. Il peut jouer sur la menace d'une nouvelle vague migratoire vers l'UE avec laquelle ses relations sont très mauvaises mais, si la situation économique du pays se dégrade encore il est aussi dépendant des aides financières de l'UE. La loi votée en Syrie pour exproprier les réfugiés et empêcher leur retour ne déclenchera pas beaucoup de nouveaux départs mais empêchera les retours dans le pays compromettant toute possibilité de réconciliation nationale. Toutefois, un certain nombre de grandes puissances impliquées de près ou de loin dans la crise syrienne ont intérêt à empêcher ces expropriations. La plupart des expropriés potentiels sont des sunnites et le régime a depuis longtemps le projet de les remplacer par des chiites, ce qui renforcerait aussi l'alliance avec l'Iran. Cette perspective inquiète Israël, l'Arabie saoudite et ses alliés dans le golfe et par ricochet inquiètera les Américains, très hostiles à l'Iran. Là aussi l'avenir des Syriens ayant quitté le pays est très lié aux enjeux politiques existant au Proche-Orient. On peut faire l'hypothèse qu'à court terme très peu ne rentreront au pays même si la paix revenait.

Comment évaluer le niveau de préparation et de conscience de la situation de la part des autorités européennes ? Comment celles-ci pourraient-elles anticiper la situation ? 

Les autorités européennes sont conscientes des risques de nouvelles arrivées massives mais cela ne les amène pas pour autant à mettre en place une politique cohérente. La tendance est de laisser les pays de premier accueil seuls face aux vagues d'arrivée en ne leur apportant qu'un soutien financier. Les actions à mener sont de deux ordres. Sur le plan diplomatique d'abord, il faut que l'UE fasse pression sur la Turquie et la Syrie voire sur la Russie qui a tendance à utiliser les "crises migratoires" pour faire monter les tensions entre les membres de l'U.E et faire monter en puissance les partis populistes anti-européens. L'affaiblissement de l'UE est depuis longtemps un but de la politique russe. Parallèlement à l'action diplomatique, il faut aussi prévoir de nouveaux flux d'arrivées en négociant, voir en imposant une meilleure répartition des structures d'accueil entre les membres de l'UE. Les pays les plus riches de l'U.E qui ont absorbé l'essentiel des flux en 2015 ont des moyens de pression sur les pays les plus réticents à jouer un rôle d'accueil. Mais la situation actuelle n'est pas favorable à la mise en place d'une politique cohérente et équilibrée. Le Brexit, la fragilité de la coalition au pouvoir en Allemagne, le renforcement du populisme en Pologne et en Hongrie sont des obstacles à une politique communautaire vis-à-vis des arrivées massives de migrants. C'est au niveau diplomatique que l’UE a intérêt à faire porter son effort.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !