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Loi asile et immigration : là où nous mène la mauvaise conscience française
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Politiquement correct

Le débat parlementaire sur le projet de loi asile et immigration a donné lieu à des passes d’arme tout à fait intéressantes et instructives sur la perception de l’identité française aujourd’hui dans la vie politique.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Donc, le gouvernement commet une loi « pour une immigration maîtrisée, un droit d’asile effectif et une intégration réussie ». Le rapprochement des concepts vaut en lui-même éclairage programmatique.

Jusqu’ici, les gouvernements qui se sont succédé (depuis trente ans, puisque l’immigration fait l’objet d’une loi environ tous les dix-huit mois depuis 1986) n’avaient pas osé confondre dans un même chapeau légistique l’immigration et l’asile. Depuis 1793, la France distingue son devoir sacré de donner asile à des persécutés, et la question économique de l’immigration. D’un côté, la protection contre la tyrannie partout dans le monde, qui avait guidé la Révolution Française. De l’autre, le partage des richesses.

À Emmanuel Macron revient le mérite, ou l’audace, ou la naïveté, d’avoir suggéré fortement l’idée qu’un immigré économique est un exilé qui s’ignore. La demande d’asile est ici considérée comme un moment, une étape, un épisode possible de l’immigration économique. 

Ce faisant, Emmanuel Macron donne une réalité politique à un constat factuel. La fameuse crise des réfugiés qui frappe l’Europe depuis plusieurs années est avant tout une crise des migrations économiques. Autant, lorsque les arrivées se faisaient par la Turquie et la Grèce, il était possible de faire vivre la fiction selon laquelle ces vastes mouvements de population étaient majoritairement dus à la guerre en Syrie. Autant, depuis l’accord passé avec la Turquie pour juguler ces flux, la fake news du réfugié ne tient plus. 

Ceux qui traversent la Méditerranée depuis la Libye ne fuient pas la guerre en Syrie. Ce sont des immigrés économiques venus d’Afrique subsaharienne et encadrés par des réseaux de passeurs mafieux. Leur accorder le droit d’asile relève du détournement de sens et de la mauvaise foi.

Asile et immigration font mauvais ménage

Celle-ci ne décourage pas les idéologues « bienveillants » de tous bords. Progressivement, le politiquement correct consensuel a transformé la figure de l’immigré en figure de réfugié emblématique. Le tour de passe-passe a été parfaitement décrit par le député insoumis Éric Coquerel lors du débat du 16 avril:

Pour autant, ce texte est vraiment extrême parce qu’il est inhumain en durcissant toutes les conditions d’accueil et de séjour des migrants. Et il est inefficace parce qu’il ne dit mot des raisons pour lesquelles des gens partent de chez eux au risque de leur vie : rien sur les causes climatiques, rien sur les causes liées au libre-échange, rien sur les causes de guerre, rien sur les accords du Touquet qui nous font servir de garde-frontière aux Anglais.

Un Africain quitte son pays (et devient « migrant ») pour tout un tas de raisons qui justifient la demande d’asile: à cause du risque climatique, du libre-échange, de la guerre ou des accords du Touquet. Donc, le droit d’asile ne doit pas seulement être accordé à ceux qui fuient leur pays parce que leur sécurité y est menacée pour des raisons politiques. Il doit aussi l’être à toutes les victimes du libre-échange ou du réchauffement climatique. Et bien entendu, depuis la signature des accords du Touquet, tous les humains sont des demandeurs d’asile en puissance, puisqu’ils sont tous victimes de cet accord scélérat.  

Et hop! l’immigré devient forcément un exilé qui a droit à notre commisération principielle.

Ce faisant, les idolâtres de la France Insoumise participent à la mort du droit d’asile, en le réduisant au rang de simple modalité de l’immigration. Dans l’imaginaire collectif, quitter son pays pour défendre sa liberté de pensée n’est ni plus sacré ni plus important que le quitter pour échapper aux désastres climatiques. 

Comment l’élargissement du droit d’asile tue la démocratie

On comprend incidemment quel glissement progressif de sens permet à la France Insoumise de justifier un monde liberticide. En creux, Éric Coquerel ne propose rien d’autre que de mettre sur le même pied la liberté de penser protégée par le droit d’asile et l’amélioration du sort économique individuel. Au fond, entre la lutte contre le libre-échange et celle pour les libertés publiques, il n’y a aucune différence de nature. 

On n’est pas très loin ici de la distinction entre droit formel et droit réel théorisé par le marxisme-léninisme. Ceux qui sont pauvres doivent être protégés de la même façon que ceux qui sont persécutés pour leurs idées. La pauvreté serait aussi liberticide que la répression d’un État totalitaire. 

Cette rengaine n’est pas nouvelle. En revanche, elle est désormais pratiquée avec une telle légèreté qu’elle aboutit à la remise en cause des idées et des catégories politiques héritées de la Révolution Française. De ce point de vue, la France Insoumise incarne probablement à la perfection la mutation post-moderne où les idées libérales héritées de la Révolution sont exposées au musée de l’obsolescence. L’asile n’est plus la proclamation des Lumières en faveur de toutes les libertés. Il est devenu le simple motif qui légitime n’importe quel mouvement de population. 

La France a-t-elle la faculté de maîtriser son immigration?

Le Républicain Larrivé a prononcé un discours assez intéressant, plaidant pour la mise en place de quota d’immigration. Ce système, déjà pratiqué au Canada, aux États-Unis, en Australie, continue à faire tousser en France. On notera avec intérêt qu’il était proposé par François Fillon durant la campagne présidentielle, et qu’il est de longue date assimilé aux pires idées politiques. 

Pourquoi cette reprise d’une technique pratiquée dans tous les pays d’immigration est-elle stigmatisée en France et volontiers présentée comme une émanation du fascisme? On manque ici d’arguments rationnels, et c’est probablement pour des raisons essentielles qu’il n’y en a pas. 

Les adversaires des quota sont aussi majoritairement ceux qui voient désormais dans tout candidat à l’immigration économique un réfugié victime bien malgré lui d’un ordre immoral imposé par l’homme blanc. Le soumettre à des quotas serait donc immoral et contraire à l’émotion légitime que doit susciter sa situation dans l’esprit du bienveillant. 

D’où l’idée incidente qu’une maîtrise de l’immigration est par principe immorale. Elle s’oppose à l’émotion naturelle qu’un « humain » doit ressentir face à la misère humaine. Les frontières sont capitalistes et oppressantes. Le bonheur de l’humanité passe par la création d’un grand tout universaliste.

L’éloge de l’impuissance publique par Gérard Collomb

Gérard Collomb n’est évidemment pas sur cette ligne. Ce n’est pas pour autant qu’il soit persuadé que la France soit encore en capacité de maîtriser sa politique migratoire. La réponse qu’il a apportée aux propos de Guillaume Larrivé a utilement dévoilé le fond de sa conception sur ce sujet sensible:

Le monde s’est globalisé. Nous ne pouvons plus vivre à l’intérieur de nos frontières. Nous devons penser l’avenir avec l’ensemble de nos voisins.

La citation dit tout. La globalisation maintient artificiellement des frontières qui sont au fond des leurres. Les politiques ne se décident plus au niveau d’un seul pays. L’avenir de la France ne se décide plus en France, mais dans des ensembles plus larges. 

Mme la présidente de la commission des affaires étrangères a évoqué les relations de la France et de l’Europe, ainsi que les rapports de l’Europe avec l’Afrique. C’est en ces termes que les questions doivent être posées. Jamais on ne pourra résoudre le problème de l’immigration au niveau national.

La phrase est donc posée clairement. Il ne sert plus à rien de prendre des mesures au niveau national, puisque tout se décide ailleurs. On ne pouvait mieux exprimer la conviction intime d’un gouvernement sur l’impuissance publique française. Il existe bien un gouvernement de la République, mais ses membres sont convaincus qu’ils ne peuvent plus décider de rien. Qu’ils n’ont plus la puissance d’agir. 

Chacun prendra le parti qu’il voudra vis-à-vis de cette étrange déclamation de la part d’un ministre dont le maroquin consiste précisément à garantir la sécurité à l’intérieur des frontières. Mais au moins qu’on ait l’honnêteté de ne pas s’étonner si les citoyens sont, au moment des scrutins, parfaitement convaincus de l’inutilité de leur vote. Dès lors que le ministre de l’Intérieur explique que le problème de l’immigration n’a pas d’issue à son « niveau », on voit mal quel intérêt les Français pourraient encore trouver à se déplacer le dimanche pour glisser un bulletin totalement vain dans l’urne. 

Une loi technique à la suite d’autres lois techniques

Les parlementaires ont régulièrement répété que ce texte s’inscrivait dans la droite suite d’une série de lois consacrées au même sujet et toutes plus inutiles les unes que les autres. Là encore, le député Larrivé a fait mouche:

Entre 1980 et 2016, ce sont vingt-sept lois relatives à l’immigration – je le dis sous le regard de M. le Premier ministre Manuel Valls – qui ont été votées, soit une réforme en moyenne tous les seize mois.

Depuis les années 80, la France baigne dans un questionnement collectif sur l’immigration dont on mesure rétrospectivement qu’il est demeuré jusqu’ici sans réponse partagée satisfaisante. Chaque gouvernement qui arrive apporte sa réponse technique, ponctuelle parfois éruptive, à un problème qui traverse obstinément la société française sans qu’on puisse en prendre notre parti. 

Chaque fois, il s’agit de ménager la chèvre et le chou, d’apporter des demi-réponses, comme si les pouvoirs publics ne savaient au juste où aller, ni comment indéfiniment concilier leur sentiment d’impuissance et l’appel à l’action qui monte dans l’opinion publique. Gérard Collomb a lui-même donné sa version de la même indécision:

Nous vous démontrerons comment, en même temps (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe LR), nous limiterons une immigration massive et, contrairement à ce que vous voulez faire, nous garantirons le droit d’asile qui est pour nous un principe sacré. (Applaudissements sur les bancs du groupe LaREM.)

« En même temps »: en matière d’immigration, la posture ne date pas d’Emmanuel Macron. Elle est consubstantielle au sentiment de culpabilité qui domine le débat public sur ce sujet depuis de nombreuses années.

L’espèce humaine, vérité ultime de l’indécision migratoire

Pour comprendre ce qui taraude la mauvaise conscience française, il faut plonger dans les mélopées de gauche sur l’immigration. Le député de gauche Gabriel Serville, de Guyane, a tenu les propos les plus clairs sur ce sujet:

Nous voulons rappeler ici, après Jean-Paul Lecoq, qu’il n’existe sur terre qu’une seule espèce humaine : les frontières géopolitiques et culturelles, fruits de l’histoire, ne doivent pas faire perdre de vue cette évidence.

On ne peut décoder l’échec des politiques migratoires en France, qui se traduit par un empilement incessant de lois incertaines et toujours insuffisantes à régler les problèmes, sans se référer à l’arrière-fond spéciste qui s’est imposé dans l’opinion publique. Certes, il existe des gouvernements, des États, des pays, mais il existe d’abord et avant tout une espèce humaine, sur laquelle nous avons vocation à prendre des décisions politiques essentielles. 

Ainsi va la société française d’aujourd’hui. Elle considère qu’elle n’existe plus en tant que telle. Quand bien même elle le voudrait, elle n’en aurait plus les moyens. Les décisions se prennent désormais ailleurs que dans les palais de la République. Et elles ne peuvent plus guère concerner le peuple français, qui s’est dissous dans un vaste ensemble appelé l’espèce humaine. À l’égard de celle-ci, il ne faut surtout pas prendre de décision qui risquerait de « diviser ». 

Dans la pratique, il n’est pas sûr que ces attendus, notamment le primat de l’espèce humaine sur la notion, désormais obsolète et passéiste, voire complètement réactionnaire, de peuple français, soit clairement expliquée aux électeurs par les députés qui la défendent.

Cet article a été initialement publié sur le site Décider & Entreprendre

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