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Ces mécanismes qui nous aveuglent sur nos propres privilèges et aggravent nos crises politiques
©JEAN-PIERRE CLATOT / AFP

Aptitude

Selon un article paru dans la Harvard Business Review, nos comportements seraient biaisés par notre incapacité à reconnaître les avantages qui ont pu conduire à nos réussites. Milieu social, couleur de peau, sexe, âge etc... les avantages liés à ce que nous sommes semblent ainsi être évacués pour ne voir une position n'être que le résultat de nos efforts.

Xavier  Camby

Xavier Camby

Xavier Camby est l’auteur de 48 clés pour un management durable - Bien-être et performance, publié aux éditions Yves Briend Ed. Il dirige à Genève la société Essentiel Management qui intervient en Belgique, en France, au Québec et en Suisse. Il anime également le site Essentiel Management .

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Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Selon un article paru dans la Harvard Business Review, nos comportements seraient biaisés par notre incapacité à reconnaître les avantages qui ont pu conduire à nos réussites. Milieu social, couleur de peau, sexe, âge etc... les avantages liés à ce que nous sommes semblent ainsi être évacués pour ne voir une position n'être que le résultat de nos efforts. Une situation qui serait ici révélée en l'espèce pour les cas des "puissants", des cadres ou des dirigeants. Comment expliquer de tels biais ? 

Pascal Neveu : Les résultats de l’étude menée amènent forcément des réactions très clivantes qui, à mon sens, peuvent cristalliser des « guerres identitaires ». Je me permets également de préciser que certains passages de l’étude me semblent assez caricaturaux face à mon observation clinique.
D’un côté nous avons celles et ceux niant qu’être blanc, homme, hétérosexuel, issu d’un milieu dit « favorisé » faciliterait une meilleure carrière, une meilleure situation professionnelle, via l’accès aux meilleures écoles, sans forcément un véritable mérite.
D’un autre côté les déçus de l’absence de toute reconnaissance d’efforts pour parvenir à un poste équivalent, lorsque nous n’appartenons pas à la catégorie WASP (White Anglo Saxon Protestant).
Et celles et ceux qui défendent l’idée juste que la reconnaissance passe par l’acceptation qu’il existe des préjugés sociaux, des avantages sociaux dans la construction d’un système humain où la discrimination reste une réalité. Le regard porté sur une femme, un musulman, un homosexuel sera hélas différent. Toutes les études émanant d’instituts neutres et non partisans le démontrent. Des portes leur resteront fermées.
Mais ne cédons pas à la passion et à la tension entre humains que nous sommes. Car toutes ces réflexions ont un mérite à la fois social et psychologique. Celui d’évoquer la réalité sociale des discriminations, de l’existence de minorités, voire d’un repli communautaire, et l’impact psychologique quant à se minimiser et s’interdire l’accès à des réussites et des postes. Lors d’une émission évoquant les modèles d’inspiration de notre époque, les noms de Barack Obama, Oprah Winfrey et Teddy Riner se situaient en peloton de tête. Tous les 3 issus de milieux très modestes… sont devenus… pour le premier le Président de la plus grande puissance mondiale, la seconde une présentatrice vedette de télévision, milliardaire, et le troisième un champion olympique symbolique de la France. Qui aurait cru à de tels parcours, forts symboles pour des minorités qui, en les voyant, peuvent s’identifier en des modèles qui leur permettent de repenser leur vie en la rêvant et en advenant ?
Tout cela sans oublier que je n’ai jamais connu la moindre personne à haut niveau, reconnue, qui n’a pas été méritante de gros efforts de travail, de sacrifices et de mises à l’épreuve. Quelque soit son origine sociale. 
Alors quid des filles et fils à papa ? Car finalement l’étude flirte également avec ce qualificatif. Inutile de nier leur existence. Inutile non plus de nier leurs mises à l’épreuve. Car en France être la fille ou le fils de…, être coopté… ne garantit rien.
J’ai entendu plusieurs d’entre eux, au sein de mon activité, pleinement ancrés dans la réalité de leurs compétences, de leurs limites, ne s’inventant pas des mérites ou d’efforts, parfois honteux, certes d’autres aucunement, correspondant à une description de l’étude, mais dont je peux assurer que des épreuves de vie leur étaient réservées et que rien n’était acquis…
Xavier Camby : C'est une façon un peu complexe et détournée d'approcher un réalité aussi vieille que notre l'humanité et très très simple, autant qu'hélas cruelle. Même si les neurosciences ne cessent d'établir et de prouver que nous tous, humains, nous sommes grégaires, sociaux, égalitaires et aspirant tous à une authentique solidarité, beaucoup d'entre nous s'enferment dans des logiques de castes, de tribus, exclusives et discriminantes. Je viens de telle école, je proviens de cette culture, je fais du Polo à Rio, du golf à Cape Town, ma voiture est exceptionnelle, je participe des meilleurs clubs monégasques, hong-kongiens ou floridiens, je porte sans mérite une particule, j'ai perdu mon temps dans des formations sectaires, prohibitives autant que violemment et inhumainement sélectives...
Nous restons trop souvent, à l'envers de notre humanité réelle, dans la dé-création humaine, au motif lugubre d'une étroite, toxique, létale et ultra-médiocre logique d'exclusion. 
Je me retrouve alors, plein de vanité, faire bien fièrement valoir, plein d'une hypocrite, malsaine et fausse discrétion, des avantages qui n'en sont pas, en toutes occasions, par trompeuses allitérations, lors de dîners élitistes ou de rencontres fermées, où la seule pâture de chaque convive est celle de la médisance et de l'égotisme. Sans pour autant savoir gérer cette diffuse mais certaine perception d'une réelle et pathétique imposture humaine !

Quels sont les comportements induits par cet aveuglement vis à vis de nos propres "privilèges" ? De la perception des inégalités à la mise en avant de ses faiblesses, en passant par la question du mérite, quels sont ces biais auxquels sont confrontées ces personnes ? 

Pascal Neveu : Je reste convaincu que cet aveuglement reste le cas d’une minorité, comme j’ai pu effectivement entendre, à l’inverse, des phrases comme « Je n’ai pas à me présenter, mon nom suffit, nous avons fait la France !... Et j’ai du encore davantage qu’autrui prouver que je devais rester digne de mon nom et parents… »
Je ne nie nullement une certaine dose d’aveuglement, mais il me semble que cette étude reste un sujet qui rappelle la lutte des classes, réelle il y a encore peu, mais qui ne grandit pas l’homme et ce qu’il peut réaliser dans une œuvre de concorde universelle.
En France le terme « fin de race » reste un héritage révolutionnaire. Aussi, cette étude ne peut avoir de prise en notre pays. Car les « héritiers », les « privilégiés » se « cachent ».
Pierre Bourdieu avait excellemment défini ce qu’est l’Habitus, cette inégalité sociale qui détermine le champ social, la classe sociale en laquelle nous serions dévolus et résignés à vivre et prospérer, sans possibilité de s’en échapper. La progression ou diminution sociale seraient donc « interdites » suite à un déchirement quant à trahir le milieu d’origine pour en atteindre un autre « majeur » ou « mineur ».
Mais avec des exigences terribles qui dépassent la vision anglo-saxonne. En France il faut mériter et suivre un parcours, non pas acheter un poste. Et chacun a sa chance et peut réussir. Le projet du Président de la république, Emmanuel Macron, n’est pas nouveau et ne démérite pas.
Preuve en est le tollé suite à la décision de Richard Descoings, ancien Directeur de la prestigieuse Sciences Po (IEP Paris) d’ouvrir l’école à des boursiers au début des années 2000… jusqu’à demander des frais de scolarité 4 fois supérieurs aux étudiants issus de milieux favorisés, et la gratuité à des étudiants méritants issus de « banlieues » (les termes sont choisis).
Il existerait donc un habitus ethnique, un déterminisme social nous enfermant dans des cases de vie et des systèmes de pensées méritantes ou déméritantes.
Le mérite, même s’il était le salaire au sens étymologique, reste ce dont on peut rester digne et qui nous permet d’être considéré. Car quel regard reste le plus juste envers nous ? L’autre… qui nous dit ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas. N’oublions jamais que « J’ai été pensé, dit et nommé avant que d’être ! »
Xavier Camby : Il est très essentiel pour chacun de nous d'être intègre. Un. Unifié. Vrai. Honnête et sans plis. Simple et sans fard devant tous et chacun. C'est à dire d'être fier de nos petites victoires, de nos vrais mérites, de nos courages, comme de nos limites et nos faiblesses. On a pu jadis appeler cela l'honneur, il y a des siècles. Bien souvent hélas, une arrogance égocentrée, cynique et passablement insupportable, à l'opposée du beau, du simple et du vrai, génère chez nous un syndrome d'imposture -aussi inconscient que conséquent. Des dysfonctionnements interpersonnels en sont la conséquence la plus fréquemment observable. Leurs dommages, dramatiques, proviennent le plus fréquemment de ce décalage entre la perception réelle de notre simple et imparfaite humanité (notre lot commun) et ce que nous voulons imposer aux autres comme image de perfection, fondée sur des inepties. Cette attitude intérieure faussée génère une profonde insatisfaction de soi, née de cette pathétique et inconsciente imposture. Alexandre Dumas (le fils) en résume dans une formule aussi lapidaire que pertinente l'état du misérable enfermé dans cette in-humilité, bardée de diplômes et de privilèges (inconsciemment inacceptables) : L'homme qui a honte de lui-même est impitoyable avec les autres...

En quoi nos comportements peuvent évoluer par l'acceptation de nos avantages ? Quelles sont les conséquences d'une forme d'acceptation ? Quel est peut en être le résultat sur nos comportements vis à vis des autres ?

Pascal Neveu : L’aveuglement du voyant est la pire des choses. L’aveugle est le seul capable à ne pas juger sur les apparences et donner sa chance à autrui de manière factuelle et pragmatique. S’il y a un « enseignement », c’est celui-ci. L’exercice difficile du miroir… le sien, mais surtout celui que nos vrai(e)s ami(e)s et non courtisan(e)s nous livrent… Cet œil révélateur introspectif qui nous « dira », voire « pèsera » telle une balance de jugement… ce qui a joué entre notre faveur. C’est alors un véritable travail sur la vérité et la sincérité de soi-même, d’une ouverture sur ce vaste monde qui est nous-même… de créativité et de réalisation.
Nous devrions travailler pour nous assurer que tout le monde a l'opportunité de s’accomplir en fonction de ses capacités et de ses efforts, et non de sa couleur de peau, de son sexe, de ses antécédents et de tout ce qu'il ne peut pas contrôler… l’idéal autour duquel il s’est construit, il s’est interdit ou il s’est fantasmé.
Je me permettrai cette citation (biblique) qui me revient alors en mémoire et amène à penser ce sujet. Dans l’Exode (la réflexion psychosociologique est inévitable) il est écrit : « Je suis celui qui suis, Je suis ce que je suis, Je suis » J’invite à penser et décliner ce verbe Être.
 Soyons des êtres de compréhension, pas de dissociation… donc d’union. Lao-Tseu écrivait « Être humain c’est aimer les hommes. Être sage c’est les connaître. »
Xavier Camby : Cette acceptation dont vous parlez si judicieusement s'appelle l'humilité ! C'est le seul moyen de proposer ou d'offrir, à tous et à toutes, ce qui nous distingue, pour leur bénéfice personnel ou pour le bien commun. Si vous avez des aptitudes personnelles supérieures, elles seront acceptées par tous, si vous les mettez au service de tous. C'est une simple révidence humaine, universelle. D'autant plus si vous le faîte au service de ceux qui en ont le plus besoin. Mais si vous arguez de vos privilèges, sans vouloir que les autres bénéficient librement de vos dons spécifiques, alors vous n'êtes qu'un simoniaque, un vulgaire et pitoyable profiteur, un spoliateur, qui prend sans jamais donner...
C'est impressionnant de constater que nos organisations modernes semblent favoriser ceux qui sans beaucoup de mérites, arguent de capacités supérieures. Et c'est encore plus remarquable de voir l'impact et l'aura de ceux qui, sans jamais arguer de pseudo-avantages mais mettant leurs vraies aptitudes au service de tous et chacun, peuvent générer.
Pour conclure : un avantage, s'il sert à dominer, est un piège. S'il sert à servir, alors il créera l'adhésion et l'unanimité ! Au bénéfice éventuel de son porteur !
Si donc j'ai un talent, une aptitude particulière, c'est au service de ceux qui en ont besoin, qu'ils trouveront leur finalité première, éminemment sociale. 
Le saviez-vous ? Hercule n'est divinement fort qu'au service des autres ! Jamais pour essayer d'établir son pouvoir sur les autres ni pour les asservir. C'est le sens propre (étymologique) du charisme : un don spécial des dieux, exclusivement pour le services des autres !

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