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Emmanuel Macron est-il le (lointain) descendant spirituel d'Alcibiade, cet homme politique athénien au destin tragique ?
©Wikimedia Commons

Bonnes feuilles

Platon observe nos smartphones, croise nos migrants, découvre les attentats terroristes, scrute nos dirigeants politiques. Roger-Pol Droit lui fait rencontrer Teddy Riner, Bob Dylan, Thomas Pesquet, l’emmène au Mémorial de la Shoah, l’incite à visionner House of Cards, à écouter Emmanuel Macron et Donald Trump. Entre autres. Extrait de "Et si Platon revenait..." de Roger-Pol Droit, aux éditions Albin Michel (2/2).

Roger-Pol Droit

Roger-Pol Droit

Ecrivain, philosophe, chercheur au CNRS, enseignant à Sciences-Po, Roger-Pol Droit est l'auteur d'une vingtaine de livres, dont plusieurs traduits dans le monde entier. Il écrit régulièrement dans Le Monde, Le Point et Les Echos. Avec Petites expériences de Philosophie entre amis (Plon, 2012), il retrouve la veine des 101 expériences de philosophie quotidienne, best-seller mondial traduit en 23 langues, l'alliance d'écriture limpide, tantôt poétique tantôt drôle, d'imagination débordante qui a fait son succès. (Voir www.rpdroit.com)

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En découvrant Emmanuel Macron, Platon songe à Alcibiade. Cet aristocrate athénien – qui d’abord séduit Socrate, longtemps le fascine, finalement le déçoit – est crédité, comme le Président français, d’une intelligence exceptionnelle, d’une ambition ardente et précoce, sans oublier une beauté frappante et un patrimoine fi nancier confortable.

Je dissuade Platon d’aller plus loin dans le rapprochement. Les frasques d’Alcibiade, son goût effréné du luxe et du scandale, sa bisexualité affichée ne semblent pas correspondre.

Platon revient malgré tout sur la proximité des deux silhouettes politiques, parce qu’à ses yeux elles ne manquent pas de parenté. Alcibiade, comme Macron, séduit des puissants de tous bords, sans s’embarrasser des clivages politiques. Sa personne compte plus que ses mérites. Sa vitalité l’emporte sur son programme.

Son apparence lui tient lieu de vérité. Socrate le lui dit : « tu te précipites vers la politique avant d’être éduqué 1 ». Autrement dit : tu veux le pouvoir avant même de savoir comment l’exercer, tu fonces déjà, alors que tu ignores encore sur quoi guider tes décisions, vers quel but conduire la Cité, et selon quelles règles.

Ou encore : tu as certes de l’ambition, du courage, de la ténacité, mais en vérité tu n’as pas de politique, parce que tu n’as aucun souci du Bien, nul savoir de ce qui est juste, pas de philosophie proprement dite.

Ce dont manque Alcibiade, irrémédiablement, c’est d’un lest, d’une réflexion qui lui donne à la fois une assise et une régulation. Il est ardent, il séduit, il s’agite, mais il ne pense pas réellement. Il croit penser, ce qui est fort différent. Il se pique de philosophie, mais comme d’une drogue. La réflexion le trouble, l’excite sans le faire avancer ni agir plus lucidement.

C’est bien ce qu’il explique, lui-même, à Socrate dans le Banquet :

C’est au cœur ou à l’âme – peu importe le terme que l’on utilise – que j’ai été frappé et mordu par les discours de la philosophie, lesquels blessent plus sauvagement que la vipère quand ils s’emparent d’une âme jeune qui n’est pas dépourvue de talent, et qu’ils lui font commettre et dire n’importe quelle extravagance.

Alcibiade incarne l’éducation philosophique ratée. Il échappe à tout contrôle, toute mesure, parce qu’il a manqué la voie qui rend meilleur. Atteint par la philosophie, il n’a pas su se régler sur elle. Elle se transforme pour lui en égarement, comme cela arrive quand la pensée est mal engagée. Mais Alcibiade ne veut pas vraiment le reconnaître. Au contraire, il soutient que tous les « mordus » de philosophie délirent. Il va jusqu’à dire que tous ceux qui s’y intéressent, Socrate inclus, sont atteints « du délire et des transports » « produits par la philosophie ».

Dans quelle mesure la suite des événements viendra-t-elle infirmer ou confirmer cette ressemblance entre Alcibiade et Emmanuel Macron ? Nul ne sait. Il faut espérer que le parallélisme n’aille pas jusqu’à son terme. Car le destin d’Alcibiade est tragique. À force d’être ambigu, opportuniste, tacticien imparfait, il finit par jouer contre son camp, par trahir les siens en servant les Perses, et meurt assassiné sans que personne ait vraiment compris ce qu’il avait en tête, qui n’était peut-être rien.

En attendant qu’en d’autres temps, sous d’autres mœurs, parle en France le verdict des faits, une anecdote, attribuée par Plutarque à Alcibiade, devrait retenir l’attention.

Alcibiade avait un chien d’une taille et d’une beauté étonnantes, qu’il avait payé soixante-dix mines. Il lui coupa la queue, laquelle était magnifique. Comme ses amis le blâmaient, et lui rapportaient que tous se répandaient en critiques mordantes à propos de ce chien, Alcibiade éclata de rire : « C’est exactement ce que je souhaite. Je veux que les Athéniens parlent de cela ; ainsi, ils ne diront rien de pire sur moi » .

Dans les termes d’aujourd’hui, voilà qui se nomme fumigène, écran de fumée, dérivatif. Pour éviter de parler de ce qui importe, mais risque de fâcher, on suscite un buzz, qui sert de leurre. Pendant que tout le monde parle de ce sujet sans importance en croyant que c’est un scandale, il est possible de vaquer à ses occupations. Alcibiade a inventé la com’. Il n’en fi nit pas de faire des émules.

Extrait de "Et si Platon revenait..." de Roger Pol-Droit, aux éditions Albin Michel 

"Et si Platon revenait..." de Roger Pol-Droit

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