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"Les démocraties sont plus faibles que l’Allemagne et ne se battront pas" : et l'attitude d'Hitler atteignit son point de non retour...
©INP / AFP

Bonnes feuilles

Interprète d’Hitler, Paul-Otto Schmidt raconte l’ascension et la chute du IIIe Reich, ainsi que les principales réunions et rencontres au sommet qui émaillèrent son histoire. Excellent observateur, volontiers sarcastique, le mémorialiste abonde en anecdotes et portraits savoureux des principaux contemporains. Extrait de "Sur la scène internationale avec Hitler" de Paul-Otto Schmidt, aux éditions Perrin (1/2).

Paul-Otto Schmidt

Paul-Otto Schmidt

Paul-Otto Schmidt (1899-1970) est un diplomate multilingue devenu l’interprète d’Hitler.

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Les fronts continuaient donc à se préciser. A ce moment, l’Italie s’était définitivement liée à l’Allemagne. Comme à Rome lors de l’entretien avec Goering, je constatai de nouveau chez Ciano, à Berlin, une certaine réserve qui était une sorte de crainte devant son propre courage. Au cours de ses conversations avec Ribbentrop et Hitler, le ministre italien souligna d’une manière frappante l’intérêt qu’avaient les alliés à disposer d’une période de paix s’étendant au moins sur trois ans.

L’été venu, la tension en Europe s’accrut quasi quotidiennement. Presque tous les pays commencèrent plus ou moins ouvertement leurs préparatifs de guerre. L’air et les journaux étaient pleins de discours menaçants, avertisseurs ou provocants. Lorsque les conversations entre Ribbentrop et le secrétaire d’Etat turc se furent terminées sans résultat, à la fin de juillet, je décidai, pris du sombre pressentiment que j’aurais sans doute beaucoup à faire au cours du mois suivant, de prendre quelques jours de vacances à Norderney. Je venais à peine de découvrir, après plusieurs jours de recherches, un logement dans cette station balnéaire surpeuplée que la Wilhelmstrasse s’annonçait déjà au téléphone. « Nous regrettons infiniment, mais il faut que vous interrompiez votre permission, m’annonça une voix amie. L’avion spécial des Affaires étrangères est déjà parti. Veuillez être à l’aérodrome dans deux heures environ. »

Ponctuel comme toujours, le vieil Amyy fit le tour de l’île avant d’atterrir. Le chef de bord, un de mes homonymes, ne savait pas, lui non plus, quelle serait notre première destination. « Je ne le saurai qu’après avoir repris l’air », m’annonça-t-il mystérieusement. Nous nous dirigeâmes juste vers l’angle opposé du Reich, vers Salzbourg. J’étais convoqué pour une visite inattendue de Ciano qui arriva le 11 août. De même que toute sa délégation, il était en proie à une agitation très vive.

« Vous pouvez m’en croire, me déclara l’ambassadeur italien Attolico (à l’Osterreicher Hof de Salzbourg), l’Angleterre et la France sont décidées à aller jusqu’à la guerre si l’Allemagne s’attaque à la Pologne comme elle s’est attaquée à la Tchécoslovaquie. » Je me déclarai immédiatement d’accord. « Vous prêchez un converti. Si votre ministre des Affaires étrangères soutient ce point de vue au cours de sa conversation avec Hitler, vous pouvez être assuré que je traduirai ses paroles avec la plus grande conviction et en y mettant la plus grande force de persuasion possible », lui répondis-je. « Vous allez avoir encore beaucoup à faire ces jours-ci, répliqua Attolico, et il vous faudra traduire à Hitler ce que je viens de vous exposer, car c’est uniquement dans ce dessein que Mussolini lui a envoyé Ciano. »

Nous nous rendîmes d’abord au château Fuschl, une des propriétés de Ribbentrop, situé dans un paysage admirable, au bord du lac du même nom, à quelques kilomètres de Salzbourg. Ciano essaya de s’acquitter de sa mission. Il parla avec une application d’ange, mit en garde, calma, et souligna les faiblesses de l’Italie. Rien n’y fit. Ribbentrop se trouvait dans un état d’excitation presque pathologique, comme un chien de chasse attendant impatiemment d’être découplé par son maître sur le gibier. Il se livra à des attaques exagérées contre l’Angleterre, la France et la Pologne, fit des déclarations ridicules sur la force allemande et se montra absolument intraitable.

Dans la soirée, il y eut encore une manifestation de ce contraste existant entre la gravité de la situation et la frivolité des apparences, contraste qui ne cessa de s’accuser, presque jusqu’à la dernière semaine d’août, dans les rencontres de cette année lourde de destin, grosse de la décision d’être ou de ne pas être. Après avoir parlé de la guerre et de la paix à Fuschl, nous fîmes avec Ciano une excursion à Saint-Wolfgang. Nous dînâmes à l’auberge du Cheval blanc, au milieu d’une fête populaire, parmi les estivants de cette célèbre station qui ne se doutaient de rien, exactement comme après la conclusion de la signature de l’alliance militaire à Milan, quelques semaines plus tôt, nous avions assisté à la Villa d’Este, au bord du lac de Côme, à une fête bruyante et très élégante donnée par les Italiens, et qui était en contraste marqué avec les nuages d’orage qui montaient sur l’Europe.

Le lendemain nous allâmes chez Hitler. L’atmosphère était à la tempête dans le grand salon de conversation du Berghof. Exactement comme Ribbentrop la veille, Hitler était complètement orienté vers la guerre, et sa résolution se manifestait d’une façon autrement vigoureuse que chez son ministre. Celui-ci n’avait, encore une fois, exprimé que la « voix de son maître » ; on s’en aperçut immédiatement à l’identité des arguments employés par Hitler. « Tout cela est la faute des Anglais » fut le leitmotiv. « Les Polonais ont besoin d’une bonne leçon ; les démocraties sont plus faibles que l’Allemagne et ne se battront pas » fut le refrain. La supériorité militaire et technique du Reich constituait la base fondamentale des déclarations du dictateur allemand.

En cette première journée, Ciano attaqua Hitler très vigoureusement. Comme il le dit dans son Journal, il devait avoir reçu des instructions précises du Duce pour montrer à Hitler toute la « folie » d’une entreprise belliqueuse. Plus d’une fois il démontra, avec toute l’insistance dont il était capable, que la guerre contre la Pologne ne pourrait être localisée. Cette fois, les démocraties occidentales participeraient certainement aux hostilités.

L’autre thème qu’il développa, manifestement sur les instructions du Duce, fut la faiblesse et l’impréparation de l’Italie. Il expliqua qu’elle ne pouvait soutenir des hostilités que pendant quelques mois. Son stock de matières premières l’empêchait, à lui seul, de faire davantage. Ses propos ne laissèrent, au reste, rien à désirer en clarté.

Finalement, il déposa un projet de communiqué qui proposait de remettre à des négociations internationales le règlement des questions mettant en danger la paix de l’Europe. Ribbentrop, la veille, avait vigoureusement repoussé ce communiqué et présenté un texte qui se bornait à souligner « l’union impressionnante des deux pays »;

Ciano fut encore reçu le lendemain au Berghof. Ce fut alors que Hitler prononça cette phrase que j’entends encore aujourd’hui : « Je suis persuadé, dur comme fer, que ni l’Angleterre ni la France n’entreront dans un conflit général. » Ce jour-là, Ciano ne suivit plus les instructions de Mussolini pour démontrer à Hitler la folie d’une entreprise guerrière contre la Pologne. Il ne parla plus de l’impossibilité pour l’Italie de participer sérieusement à des hostilités. Il capitula complètement et déclara pour terminer  : « Vous avez eu déjà si souvent raison, alors que nous pensions différemment, que j’estime fort possible que vous voyiez cette fois encore les choses plus justement que nous. » Je fus profondément déçu par ce retournement et Attolico, auquel j’en parlai, se fit beaucoup de soucis avec les autres Italiens sur les conséquences que pouvait avoir cette attitude de Ciano. Bien entendu, dans ces conditions, il ne fut plus du tout question du communiqué de presse. Ciano négligea, de même, de rappeler que, conformément à son traité d’alliance, l’Italie était en droit de discuter avec l’Allemagne de l’attitude à prendre au sujet de la question polonaise.

Le même jour, c’est-à-dire le 13  août, dans l’après-midi, Ciano quitta l’aérodrome de Salzbourg. « Je reviens à Rome rempli d’horreur pour l’Allemagne, pour son Führer, pour ses façons de faire… » écrit-il dans son Journal. Quant à moi, je ne reçus naturellement aucun avion spécial pour me ramener à ma villégiature sur les bords de la mer du Nord. Je rentrai à Norderney le lendemain après-midi, encore heureux que Ribbentrop m’eût laissé poursuivre ma permission.

Extrait de "Sur la scène internationale avec Hitler" de Paul-Otto Schmidt, aux éditions Perrin

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