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Derrière le conflit commercial entre Etats-Unis et Chine, l’éléphant rose allemand dans la pièce de la mondialisation
©PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Guerre commerciale

En période de tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, l'Allemagne tente d'apaiser les discussions afin de se mettre elle-même, et plus largement l'Union européenne, à l'abri d'une potentielle réplique.

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Altantico : Dans un contexte dominé par un affrontement commercial entre la Chine et les Etats Unis, le journal Le Monde révélait la position embarrassée de l'Allemagne qui aurait "les guibolles faiblardes", et tenterait ainsi de concilier ses relations aussi bien avec Pékin qu'avec Washington. Comment comprendre cette attitude de Berlin ? Faut-il voir dans l'embarras allemand une volonté de préserver sa position commerciale, elle aussi largement excédentaire vis à vis du reste du monde ? 

Rémi Bourgeot : L’Allemagne est au cœur des critiques commerciales américaines depuis plusieurs années aux côtés de la Chine. Donald Trump a ciblé l’Allemagne, et son industrie automobile, dans ses déclarations à de nombreuses reprises, avant de se concentrer ces dernières semaines sur la Chine. Sous Barack Obama, l’administration américaine et le monde économique américain soulignaient déjà avec insistance le problème de l’excédent commercial allemand et des distorsions économiques qu’il implique.

Les excédents chinois et allemand vis-à-vis des Etats-Unis ne sont pas du même ordre. A première vue, la Chine reste le problème numéro un en matière commerciale pour l’administration américaine, avec son excédent bilatéral en marchandises de 375 milliards de dollars. Par ailleurs, ce déficit bilatéral considérable (qui équivaut à environ 2% du PIB) s’est développé dans un contexte de sous-évaluation très marquée du taux de change jusque dans les années 2000 et d’une politique de protection du marché intérieur et d’exigences fortes en termes de transferts de technologie au travers de joint-ventures. Ces protections et cette politique très active de transferts de technologie continue aujourd’hui de façon décisive, malgré le début de réorientation vers la demande intérieure et de montée en gamme technologique.

L’excédent bilatéral allemand de 65 milliards de dollars est certes moins élevé, mais relève d’une dynamique également problématique, car il se concentre en particulier sur des produits plus sophistiqués. On ne peut évidemment pas reprendre dans le cas de la relation germano-américaine la rengaine selon laquelle le déséquilibre ne toucherait au fond que des emplois peu qualifiés voués à disparaître… Naturellement les origines de ce déséquilibre sont moins criantes que dans le cas chinois. La compression salariale pratiquée dans le cadre de l’euro n’entre pas dans la définition de la manipulation monétaire stricto sensu. Mais le fait que le phénomène de réorientation à tous prix vers les exportations ait été étendu à l’ensemble de la zone euro rend le problème d’autant plus vif pour l’économie mondiale.

Par ailleurs, quand les investissements chinois aux Etats-Unis visent directement des transferts de technologie, de façon différente l’industrie allemande développe outre-Atlantique d’importants sites de production, en particulier dans l’industrie automobile. Les menaces de mesures contre les marques allemandes de la part de Trump ne prennent pas en compte cette réalité. Pour autant on ne peut nier l’importance de la localisation géographique de la conception et son impact sur la dynamique industrielle américaine. On ne peut comparer la dynamique industrielle liée au couplage entre conception et production d’un côté et le simple rôle d’assemblage de l’autre.

Donald Trump se concentre sur la Chine dans un contexte national assez hostile qui limite sa capacité à généraliser son approche ; ce qui laisse un répit à l’Allemagne, d’autant plus dans le contexte de crise politique latente à Berlin.

Par ailleurs, les autorités allemandes ont tendance à adresser des critiques à la Chine qui, en temps normal, ne sont guère éloignées de celles de Donald Trump, en particulier sur les transferts de technologie, le dumping (notamment dans l’acier) et le manque d’accès au marché domestique. L’Allemagne se montre plus préoccupée par cette question que la France notamment. La Chine représentait le grand pari des autorités allemandes dans le sillage de la crise mondiale, et les choses ne sont pas passées comme prévu. Le rachat par des groupes chinois d’entreprises technologiques allemandes a été vécu comme une sorte d’électrochoc ces dernières années.

Tout en redoutant et en se préparant à contrer une éventuelle offensive de Donald Trump, les responsables politiques allemands nourrissent une inquiétude vis-à-vis de la Chine qui est loin d’être aux antipodes de celle qui grandit aux Etats-Unis.

Comment analyser la situation commerciale allemande vis à vis de l'Europe et du reste du monde ? En observant les critères retenus par Donald Trump pour engager son bras de fer avec Pékin, Berlin pourrait-il être une prochaine cible ?

Vis-à-vis de l’Europe, le cœur des déséquilibres s’est creusé sur la base de la politique de compression salariale de Gerhard Schröder et des écarts d’inflation entre pays qui, dans le cadre de la monnaie unique, s’est traduit par une perte nette de compétitivité pour les pays qui avaient alors un taux d’inflation plus élevé, en particulier dans le sud de la zone. La théorie selon laquelle les déséquilibres seraient nés d’une dérive salariale dans les pays périphériques est un mythe reposant sur la confusion entre salaires réels et nominaux. La logique de compression salariale a également été un élément déterminant de l’accentuation du modèle ultra-exportateur allemand. Depuis la crise de l’euro, ce modèle de compression tous azimuts est devenu l’étalon de la bonne gouvernance économique en Europe. Ce qui se traduit par un déséquilibre de plus en plus général de l’économie européenne vers un modèle mercantiliste à bas coût qui fait l’impasse sur le progrès technologique et sur la productivité. Ces déséquilibres sont lourds de conséquences pour l’Europe et pour l’économie mondiale, mais échappent naturellement aux critères traditionnels de la manipulation monétaire par exemple. Les mesures d’achat de titres de dette par la BCE au comprimé le taux de change de l’euro à partir de 2014, mais la grande majorité des observateurs mondiaux, au contraire des responsables allemands, appelaient justement ces mesures de leur vœu pour éviter l’entrée de l’économie européenne dans une longue déflation et encourager une reprise de la demande et du crédit.

Le déséquilibre commercial allemand est massif mais s’imbrique dans un cadre politico-économique complexe et paradoxal, aussi bien sur le plan monétaire que des chaînes de production, avec l’optimisation géographique des sites de production des marques allemandes, que ce soit en Europe centrale ou même dans le sud des Etats-Unis. L’installation de site d’assemblage par les constructeurs automobiles allemands aux Etats-Unis visait également à contrecarrer de possibles mesures douanières.

Dans un tel cas, comment pourrait-on anticiper la réaction européenne, d'une part, et des Européens, d'autre part ? 

Le cas allemand serait encore bien plus compliqué à gérer pour l’administration américaine que le cas chinois. Pour autant on constate une critique de la politique économique allemande aux Etats-Unis qui dépasse largement les clivages politiques et même les courants de pensée au sein des partis. En termes de sociologie de l’élite américaine, il n’est pas rare d’entendre des libertariens très favorables au libre-échange critiquer la politique économique de Berlin, alors que la critique de la Chine a tendance à être jugée moins haut de gamme. Sur la Chine, la situation a été longtemps pensée comme étant entre les mains des grands groupes américains qui profitaient ainsi de coûts salariaux très bas. On constate une prise de conscience progressive qu’au vu de la politique technologique chinoise notamment, ce n’est plus le cas, mais la vision des années 1990 a tendance à perdurer dans des cercles tout de même assez larges. Face à la contestation à la quelle Donald Trump est confronté au niveau domestique, il pourrait s’orienter davantage dans le cas allemand et européen vers des outils qui ne reposeraient pas nécessairement sur des droits de douane.

Face à des attaques contre l’Allemagne, on peut imaginer que l’Union européenne ferait front, en faisant l’impasse sur le problème du déséquilibre économique croissant sur lequel la zone euro en particulier a fondé sa reprise économique. En cas de mesures douanières concrètes des Etats-Unis, une riposte serait naturellement commune à tous les pays de l’UE en vertu de l’union douanière. Le déséquilibre commercial européen étant également lié au déséquilibre politique entre pays européens, pourraient toutefois apparaître derrière le front commun des tensions significatives entre gouvernements européens, dans le contexte de remise en cause du cadre européen actuel dans la plupart des pays.

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