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Faut-il se féliciter de l’alliance-fusion entre Renault et Nissan ?
©STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Nouvelle naissance

Après une alliance qui dure depuis deux décennies, Renault et Nissan seraient actuellement en cours de négociations, en envisageant une éventuelle fusion.

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou

Jean-Pierre Corniou est directeur général adjoint du cabinet de conseil Sia Partners. Il est l'auteur de "Liberté, égalité, mobilié" aux éditions Marie B et "1,2 milliards d’automobiles, 7 milliards de terriens, la cohabitation est-elle possible ?" (2012).

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Après une alliance qui dure depuis deux décennies, Renault et Nissan seraient actuellement en cours de négociations, en envisageant une éventuelle fusion, en vue de la création d'un ensemble qui pourrait être dirigé par Carlos Goshn. Quel serait l'impact d'une telle fusion, pour les deux entreprises et leurs salariés ? 

Il est inévitable que la structure organisationnelle de l’Alliance évolue 19 ans après sa création. Carlos Ghosn, après Louis Schweitzer qui en fut l’instigateur et l’architecte, en est le second dirigeant. Lui-même travaille à sa succession et le conseil d’administration de Renault de février 2018 en lui renouvelant son mandat pour quatre ans lui a donné expressément comme mission de préparer l’avenir. C’est un dossier complexe sur fond de mutation accélérée de l’industrie automobile mondiale.

Devenu CEO de Nissan en juin 2001, puis de Renault en mai 2005, Carlos Ghosn est à l’épicentre de ce qui n’est plus, de fait, une Alliance mais plutôt une « union personnelle » selon la formule constitutionnelle, le président de Renault ne pouvait ignorer ce que pensait le président de Nissan. Mais la situation a évolué. Carlos Ghosn vient de renforcer en février 2017  la gouvernance de Renault avec un nouveau N°2, Thierry Bolloré.  Chez Nissan, c’est Hiroto Siakawa qui a été nommé CEO, Ghosn restant toutefois chairman. Ghosn est également

Chairman de Mitsubishi Motors depuis octobre 2016, mais a abandonné cette fonction chez le russe AvtoVaz en juin 2016. Cette activité forte dans chacun des composants de l’Alliance, qui lui vaut de faire 250000 km par en avion, confère à Carlos Ghosn un rôle majeur pour le futur.

Pour comprendre les perspectives, il faut remonter  aux sources de l’Alliance. Cette histoire de presque vingt ans de relations à deux, puis maintenant à trois avec l’entrée de Mitsubishi, dont Nissan a acheté en 34% des parts, est une page exceptionnelle de l’histoire automobile. C’est un secteur qui a toujours eu beaucoup de difficultés à construire de méga-alliances d’autant plus que la relation singulière entre Renault et Nissan s’est développée dans un contexte fortement dissymétrique à l’origine et qui ne cesse de se déformer. .

Il faut se souvenir des origines. Renault a été l'artisan du renouveau de Nissan au moment où l'entreprise était dans une crise profonde : gamme vieillissante, appareil industriel inapproprié, relations endogames avec les fournisseurs. Déficitaire pendant toute la décennie quatre-vingt-dix, sauf en 1996, surendettée, au bord de la faillite, Nissan était en quête d’alliances pour survivre. Après l’échec des négociations avec Daimler, c’est Louis Schweitzer qui réussit à prendre 44% des actions du constructeur en 1999. Cette opération était risquée mais représentait une opportunité essentielle pour Renault de prendre place sur le marché mondial après l’échec de la fusion avec Volvo. Mais les cultures de deux constructeurs étaient fort dissemblables, Tokyo est très loin de Billancourt, et Louis Schweitzer et son homologue de Nissan on l’habileté construisent à partir de mars 1999 un modèle original de relations fondé sur une alliance plutôt que sur une prise de contrôle.  L'équipe de management de Renault déléguée sur place, sous la direction de Carlos Ghosn, le support technique de toute l'entreprise, et le marché bondissant du début des années 2000, notamment avec le développement spectaculaire d'Infini aux Etats-Unis, ont permis un redressement exceptionnel à travers l’ambitieux et drastique Nissan Revival Plan.  Solide en Europe et Amérique latine, Renault était beaucoup moins international que Nissan, firme dont la croissance s’est faite, dès l’origine, sur le marché mondial. Si Renault a investi ses hommes et ses ressources  ( 6,4 milliards €) dans Nissan, l’entreprise a été payé en retour par 17 milliards de dividendes. C’est donc un excellent investissement pour Renault.

Mais l’évolution relative des deux entreprises crée en permanence une dissymétrie économique qui a de conséquences sur l’organisation et le management.

En 1999, Nissan produisait comme Renault 2,4 millions de véhicules. Nissan a cru rapidement pour atteindre une production de 5,3 millions de véhicules en 2014 dépassée en 2017 avec 5,7 millions, dont 1,1 million au Japon, 930000 aux Etats-Unis et 1,5 million en Chine. Nissan pèse deux fois plus que Renault en termes de chiffre d'affaires, notamment parce que le mix produit est nettement plus haut de gamme, grâce notamment à Infiniti, et que Nissan est présent en Chine et aux Etats-Unis. Nissan a vendu en 2017 2,1 millions de voiture en Amérique du Nord.

Enfin la capitalisation boursière actuelle de Renault est de 27,5 milliards d’euros contre 36 milliards pour Nissan.

Toutefois, la remontée de Renault au sein de l’Alliance a été spectaculaire. Partant à la sortie de la crise avec un volume de 2,6 millions de voitures en 2014, Renault a produit en 2017 3,76 millions de véhicules sous ses marques Renault, Dacia et Renault Samsung Motors et Lada. Avec 120000 personnes et 36 sites de fabrication Renault est désormais une entreprise internationale qui intervient sur tous les continents, sauf aux Etats-Unis. Le chiffre d’affaires 2017 a pulvérisé les records de l’entreprise avec 58 milliards € et une rentabilité record avec plus de 14% de marge opérationnelle.

Quelles seraient les conséquences d'une telle fusion sur l'écosystème mondial du secteur automobile ? Une telle fusion est-elle une conséquence d'un secteur en cours de transformation ? 

Pour le grand public, qui ne connait que les marques, cela ne changerait pas grand-chose. L’Alliance occupe sur le papier en volume le premier rang mondial en 2017 mais n’est toujours pas un groupe industriel totalement intégré. Les coopérations industrielles, techniques et en matière d’achats entre Renault et Nissan ont beaucoup progressé au cours des dernières années même si les obstacles culturels et techniques restent sensibles. Mitsubishi est encore à part, avec une gamme proche de celle de Nissan, mais le rapprochement est en cours.

Il est beaucoup plus difficile de coopérer quand les différences culturelles et les distances sont fortes alors que les groupes Volkswagen ou Toyota sont beaucoup plus homogènes. L’automobile est une industrie de volume qui gagne de l’argent en mettant en commun toutes les pièces non visibles – les plateformes – en se différenciant avec les parties visibles. Le style, le service, le prix et l’image de marque sont les facteurs sur lesquels il est plus facile d’agir pour affiner une stratégie de présence sur chacun sur créneaux du marché, art dont Volkswagen est passé maître. L’Alliance ne manque pas d’atouts pour confirmer son premier rang mondial, avec notamment une présence sur le marché des véhicules électriques où elle a été pionnière, la Leaf et Zoe étant parmi les modèles les plus vendus au monde. De plus la complémentarité de la présence industrielle et commerciale de chaque marque sur l’ensemble des marchés est très forte. Renault par exemple a réussi à percer sur le marché indien avec son modèle ultra low cost,  Kwid, et sur tous les marchés émergents avec ses modèles low cost Dacia, alors qu’Infiniti, haut de gamme de Nissan, progresse sur le segment premium. Enfin, la mise en place de quatre plateformes communes, la création d’une banque commune de groupes moto-propulseurs, la multiplication des livraisons croisées, l’installation de véhicules Nissan sur des lignes de montage  Renault sont les signaux clairs que la construction d’un groupe industriel efficient est en marche avec comme objectif dix milliards € de synergies par an en 2022 au lieu de 5 milliards actuellement.

Mais les enjeux futurs sont de telle nature que seule une coopération industrielle poussée permettra à l’Alliance de consolider sa place. En effet la migration, lente, des énergies fossiles vers l’électrique à batteries ou à pile à combustible, comme le développement progressif du marché des voitures autonomes nécessite des montant considérables de recherche développement et d’investissement industriels qui vont absorber au cours des dix prochaines années les moyens financiers et humains de toute l’industrie automobile mondiale et de ses fournisseurs. L’industrie est confrontée à la plus forte mutation de son histoire qui va rabattre les cartes avec notamment l’émergence d’une industrie chinoise qui va acquérir son autonomie et devenir exportatrice.  Face à ses défis, l’Alliance devra se réinventer pour dépasser les réticences internes à devenir un groupe cohérent.

L’Alliance envisage en 2022 un chiffre d’affaires consolidé de 240 milliards € pour 14 millions de véhicules vendus. La taille de cet ensemble rendra, fusion ou pas, la tâche difficile pour ses équipes dirigeantes.

Quel est le rôle de l'Etat français dans les discussions en cours, et quel pourrait être son rôle avenir en cas de fusion ? 

L’organisation capitalistique de l’Alliance est complexe. Renault est propriétaire de 43,40% des parts de Nissan, qui détient 15% de Renault. L’Etat après être monté en juillet 2014 à 19,7% du capital, avec la promesse de revendre ces actions supplémentaires, pour peser, déjà, sur le réaménagement de la gouvernance de l’Alliance en acquérant des droits de vote double. Renault a revendu ses parts en novembre 2017 pour redescendre à 15%.  Il faut aussi mentionner que Daimler possède également 3,1% de Renault et de Nissan. L'Etat actionnaire a toujours souhaité conserver le contrôle de cette Alliance dont, théoriquement, Renault aurait pu être le leader.

Il semble que la raison ait permis de dépasser les enjeux de personne, chacun ayant appris à fluidifier les relations.   Le seul enjeu est bien la constitution robuste d’un constructeur mondial automobile avec une influence capitalistique française. C’est un problème technique de recomposition du capital, qui peut s’envisager en créant un holding de tête actionnaire de plusieurs entités industrielles et commerciales, et de maîtrise de la gouvernance. Le gouvernement ne voudra pas voir les centres de décision d’un constructeur emblématique qui a su, grâce à la vision de Louis Schweizer, se construire une authentique personnalité internationale, échapper totalement à la France après une longue série de reculs industriels dans d’autres secteurs. Il y a une cohérence de voir reconnu durablement le rôle de Renault et de ses équipes dans le redressement de Nissan. Il y aussi une exigence pour conserver une dynamique de l’Alliance de laisser une place importante aux équipes de Nissan dans le management du groupe pour gagner les combats futurs. 

C’est une alchimie complexe que Carlos Ghosn devra maîtriser aux côtés de l’Etat actionnaire, pour faire émerger une structure solide à long terme. Ce ne sera, en aucun cas, tâche facile car même si en près de vingt ans les composants du groupe ont appris à se respecter, il n’en demeure pas moins que les origines nationales des acteurs, et donc les enjeux de leadership industriel, ne peuvent être sous-estimées.

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