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Une étude australienne montre que les entreprises qui paient le moins d’impôts sont aussi celles qui créent le moins d’emploi : simple biais statistique ou réalité sociale ?
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Selon une étude menée par l’économiste Andrew Leigh, les entreprises australiennes payant un taux de taxe plus faible auraient un moins bon résultat concernant la création d’emplois que celles qui payent un taux plein de 30%.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Selon une étude menée par l’économiste Andrew Leigh, les entreprises australiennes payant un taux de taxe plus faible auraient un moins bon résultat concernant la création d’emplois que celles qui payent un taux plein de 30%. Un tel constat réalisé pour l’économie australienne peut-il être généralisé ? Comment expliquer que des entreprises moins taxées créent moins d’emplois que les autres ? 

Tout d’abord, quelques mots sur l’économie australienne. L’Australie a enregistré, en moyenne, depuis une vingtaine d’années, un taux de croissance de l’ordre de 2-3%. Cette performance a été réalisée grâce essentiellement aux exportations de charbon et de minerai de fer à destination de la Chine. Même si ce chiffre ne représente que 10% du PIB, l’effet multiplicateur est considérable dans la mesure où les salaires et les profits issus de cette activité soutiennent la demande dans les autres secteurs de l'économie. Ainsi, depuis plusieurs décennies, l’Australie a lié, en quelque sorte, son avenir à celui de la Chine. 

De plus, les autorités australiennes ont largement ouvert les portes à l'immigration en jouant notamment sur le charme d’un pays associant un pouvoir d’achat élevé, une population ouverte et accueillante, un style de vie décontracté et un climat agréable tout au long de l'année… Ceci a contribué à soutenir la croissance en fournissant à l’économie la main d’œuvre qualifiée dont elle avait besoin, un peu comme en France à l'époque des « Trente glorieuses ». Cette politique a aussi permis de répondre, à peu de frais, au problème du vieillissement de la population et du financement des retraites qui se pose dans toutes les économies développées.

Ceci étant dit, Leigh constate que les entreprises australiennes bénéficiant d’un taux réduit (27,5% au lieu de 30% pour les entreprises dont le chiffre d’affaires annuel se situe au-dessous de 2 millions de dollars australiens) n’ont pas maintenu ou développé l’emploi. Il sous-entend ainsi que la moindre taxation des entreprises inciterait les chefs d’entreprise à accroître leur demande de travail.

Il serait imprudent de généraliser ce constat car le lien entre taxation des bénéfices et embauche est peu robuste. En effet, la fiscalité des entreprises, notamment en France, constitue traditionnellement un frein à l’économie. Plus celle-ci est élevée, plus elle prive, dans une certaine mesure, les entreprises de fonds pour générer de la richesse, pénalise les investisseurs apporteurs de capitaux et, à terme, punit les employés lorsque les firmes investissent moins ou quittent le pays. 

De surcroît, en matière d’embauches, les entreprises ne prennent pas uniquement en compte la taxation de leurs résultats. Elles tiennent notamment compte aussi de la substitution capital - travail. En effet, le chef d’entreprise doit trouver la meilleure combinaison productive pour réaliser les objectifs financiers qu’il s’est fixé. En d’autres termes, même si la fiscalité lui est favorable, il doit prendre en considération d’autres paramètres tels que les prix relatifs du travail et du capital technique, les tendances du progrès technique…, facteur tout aussi déterminant que la fiscalité, pour embaucher. 

Par ailleurs, il convient de s’intéresser également au secteur d’activité des entreprises concernées et, plus particulièrement à leur coefficient d’intensité capitalistique entendu comme le poids, en pourcentage, du chiffre d’affaires des capitaux longs nécessaires pour être un compétiteur sur le marché. Si celui-ci est fort comme dans les industries lourdes (industrie automobile, chantiers navals…), cela signifierait que l’investissement ne crée pas assez d’emplois.

En fait, il semble que l’Australie soit en perte de vitesse. Ce pays doit sa performance à des choix économiques qui ont eu, à court terme, des retombées positives et qui ont repoussé, à plus tard, les effets négatifs. Or, le point de retournement semblerait approcher. Par exemple, le ralentissement de l’économie chinoise a déjà conduit à un ajustement brutal du prix de nombreuses matières premières comme le minerai de fer dont le cours a chuté de 180 à 70 dollars la tonne. Avec moins de recettes injectées dans l’économie, le multiplicateur de croissance risque de peser de manière négative. C’est pourquoi aussi, les diplômés d’études supérieures rencontrent aujourd’hui des difficultés inhabituelles pour décrocher un emploi.

On voit donc bien qu’il faut replacer la question soulevée par Leigh dans un contexte plus global. 

Quels sont les effets concernant les entreprises étrangères incitées à investir dans un pays par une baisse de leur niveau d'imposition ? Ces pratiques sont-elles efficaces sur le terrain de l'emploi ? 

Votre question revient à rechercher dans quelle mesure, l’investissement direct étranger (IDE) est créateur d’emplois dans un pays d’accueil, qui fonde son attractivité sur une fiscalité favorable aux entreprises. 
La réponse est ambivalente. En effet, les effets d’une implantation à l’étranger des entreprises ont été longuement étudiés. Il ressort, de l’ensemble des études menées, des conclusions radicalement divergentes. 
Selon certaines, les activités des multinationales ont généralement, pour le pays d’accueil, des répercussions bénéfiques tant au plan de l’emploi que du transfert de technologie. Pour d’autres, les effets pervers de désarticulation sur l’économie locale sont les plus profonds.
Quant à l’impact de la multinationalisation sur les économies d’origine, les résultats répondent surtout à une inquiétude des syndicats, en termes de risques de pertes d’emplois. Souvent, ceux-ci soutiennent, pour les activités employant une main d’œuvre importante, qu’en investissant à l’étranger, les grandes firmes privent le pays d’origine de ses marchés d’exploitation et créent de nouvelles sources d’importations dues au coût peu élevé de la main d’œuvre étrangère.
Si ces diverses conclusions peuvent illustrer quelques aspects des IDE, il faut bien garder en tête que le niveau des taux d’imposition n’est, à l’évidence, qu’un des nombreux déterminants des flux de capitaux venant s’investir dans un pays. Il faut aussi compter avec les infrastructures, la qualification et la productivité de la main-d’œuvre et les rigidités structurelles. 

Faut-il voir ici un effet de la mondialisation, ou plutôt un effet découlant de la différence existante entre les entreprises reposant sur la demande intérieure d’un pays, ayant tendance à payer un taux plein, et les entreprises dont le chiffre d'affaires repose également, et parfois majoritairement, en dehors des frontières, pouvant entraîner également une plus grande facilité d’opérer une « optimisation fiscale » ? 

La mondialisation de l’économie et la mobilité accrue des capitaux qui en a résulté, ont ouvert la voie à une concurrence fiscale potentiellement délétère entre les pays désireux d’attirer les investisseurs. Ainsi, pour réduire leur pression fiscale, les grandes multinationales n’ont qu’à déplacer leurs capitaux mobiles. 

Si cette pratique n’est pas nuisible en soi, les difficultés rencontrées par l’administration fiscale pour taxer le capital de ces structures peuvent, cependant, non seulement créer des distorsions du commerce et de l’investissement mais aussi aboutir à une redistribution de la pression fiscale, ce qui pénalise plus fortement les facteurs de production moins mobiles (le travail, en particulier) ou qui avantage les multinationales par rapport aux petites entreprises nationales. 

Or, l’évitement fiscal, qui est l’ensemble des pratiques et dispositifs adoptés par les entreprises afin de réduire légalement leur fardeau fiscal, répond, en dépit de sa mauvaise réputation, à une nécessité concurrentielle à l’heure de la mondialisation, où les marchés ne se limitent plus aux consommateurs et aux investisseurs nationaux. Il répond aux exigences de rentabilité des entreprises exprimées par les actionnaires et les créanciers en termes de rémunération en dividendes et en intérêts. De surcroît, il rend, dans une certaine mesure, l’entreprise plus compétitive. En augmentant son revenu disponible, il lui permet d’investir dans de nouvelles technologies et méthodes organisationnelles pouvant améliorer sa structure de coûts par rapport à celle de ses concurrents.

Mais il ne concerne pas l’ensemble des entreprises. Il ne se limite pas non plus aux grandes entreprises. Seules les entreprises les plus mobiles, que ce soit en termes de production ou de vente, en général, celles qui font une grande partie de leur chiffre d’affaires sur des marchés étrangers, peuvent espérer profiter de mécanismes d’évitement fiscal allant au-delà des niches fiscales nationales. A l’opposé, les firmes les moins mobiles, incapables de faire face aux aléas de l’évitement fiscal, doivent supporter l’intégralité du fardeau fiscal. Elles perdent ainsi en compétitivité, ce qui compromet leur capacité à investir et à recruter. Cette situation engendre donc des inégalités. 

Ainsi, en dépit des distorsions qu’elle entraîne pour la croissance économique, la taxation des entreprises influe sur les décisions relatives à l’IDE. Plus les taux d’imposition sont élevés, plus les incitations à pratiquer l’évitement fiscal sont fortes. Cela ne signifie évidemment pas qu’une fiscalité élevée empêchera nécessairement tout investissement dans un pays d’accueil. Outre les facteurs que j’ai déjà cités, d’autres considérations telles que l’ouverture du marché, le coût de la main-d’œuvre et les obstacles réglementaires entrent également en ligne de compte. 

Certains experts considèrent que pour rester aussi compétitive que l’Allemagne ou le Royaume-Uni et de résorber un chômage endémique, la France devrait ramener son fardeau fiscal et sa complexité réglementaire au même niveau que le reste du monde. Une telle harmonisation implique une baisse de plus de 20% de la fiscalité globale pesant sur les entreprises. Tout est une question de choix… 

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