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Pourquoi l'idée d'un Etat affaibli est caricaturale et permet au populisme de prospérer
©LUDOVIC MARIN / AFP

Cassandre

Dans son livre "Où va l'Etat ?" (éditions du Seuil), Pierre Birnbaum rejette l'idée, dans l'air du temps, que l'Etat est en train de s'affaiblir. Au contraire, il évolue en s'adaptant aux technologies de gestion issues du secteur privé.

Pierre Birnbaum

Pierre Birnbaum

Pierre Birnbaum, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est l’auteur de nombreux ouvrages.

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Atlantico : Dans votre livre "Où va l’Etat", vous remettez en cause l’idée répandue selon laquelle l’Etat s’affaiblit depuis des années. Pourquoi ce constat ?

Pierre Birnbaum : Le constat de la résistance de l’Etat à laquelle j’essaye d’aboutir part de la fabrication d’un matériel empirique qui permet de contester cette thèse trop rapidement acceptée et qui correspond trop à l’air du temps. Il permet de limiter les emballements, les idéologies populistes qui se développent en France comme partout dans le monde. Ces idéologies ont pour but d’ancrer, et de prospérer sur, cette vision démoniaque d’un Etat disparu qui serait détenu soit par une caste, une oligarchie, le capitalisme international ou même par les juifs qui se cachent derrière Macron, comme cela s’est vu dans des caricatures. Ces idéologies veulent délégitimer l’Etat au nom d’un peuple « innocent ».

C’est là une vision caricaturale du politique qui ne correspond que très peu à la réalité.

Dans cette même perspective, aboutir à la conclusion d’une résistance relative de l’Etat permet de rejeter aussi la vision ethnique de l’Etat. C’est un autre type de populisme c’est-à-dire un pouvoir politique qui ne serait plus au service de l’Etat mais d’une culture particulière, de Français « autochtones » ou « de souche » au lieu de ceux qui ne le sont pas.

L’élection d’Emmanuel Macron consacre-t-elle d’une certaine manière une « HECisation » de la vie politique ?

On peut voir l’élection d’Emmanuel Macron sous un double aspect. Comme il est passé par le privé, on peut y voir un envahissement de ce dernier qui prendrait en main l’Etat ; mais on peut aussi rejeter cette vision à partir d’une sociologie des rôles qui me paraît indispensable.

Lorsque Pompidou, qui était fonctionnaire de l’enseignement secondaire, est devenu chef d’Etat après être passé par Rothschild, comment a-t-il exercé sa présidence ? Etait-ce en serviteur de Rothschild, ou en serviteur des lettres ? Lorsqu'Henri Emmanuelli a fait une large partie de sa carrière dans la même banque avant d’accéder à la présidence du PS, voit-on en lui la poupée de la banque servant le PS Français ?

Il est intéressant de séparer les rôles, ne serait-ce qu’intellectuellement, et de ne pas imaginer qu’un rôle l’emporterait automatiquement sur tous les autres. On peut constater qu’une part croissante des hauts fonctionnaires, des énarques par exemple, sont également passés par des écoles de commerce. Dans ce livre, je montre qu’une partie non négligeable des membres du cabinet de Monsieur Macron sont passés soit par HEC, soit par des grandes écoles de commerce françaises ou américaines.

Maintenant est-ce que cela affaiblit l’Etat ? La question est essentielle, mais on ne peut pas y répondre de manière absolue. Les travaux de mes collèges sociologues ou économistes vont tous plutôt dans le sens où ces hauts fonctionnaires restent attachés à l’Etat avant autre chose.

L’Etat prend soin de lui-même. Il apporte des technologies de gestion issue du privé afin d’améliorer le fonctionnement du public. Il est impensable que l’Etat d’aujourd’hui fonctionne comme celui du 17e siècle ou comme sous la troisième République. Il y a forcément une modification de la gestion de cet Etat. La question est : « peut-on réformer l’Etat en apportant des technologies de gestion sans porter atteinte à sa logique » ?  Il faut là, je pense, beaucoup d’autres enquêtes empiriques pour apporter une réponse définitive mais il est nécessaire de limiter les emballements idéologiques.

L’importation du mode de gestion du privé dans la sphère politique pose la question du réenchantement de la politique. Dans un monde de plus en plus en perte de repères, sur fond de déconnexion croissante entre les politiques et les citoyens, la technocratisation des élites n’empêche-t-elle pas ce réenchantement ?

La déconnexion n’est pas neuve. On aurait pu imaginer la même réflexion face à toutes les élites gaullistes ou socialistes de 1981. Mitterrand, lorsqu’il est élu, dit que « pour changer la société il faut changer l’Etat ». Il le dit au nom d’une idéologie, le socialisme qui vient de reconquérir le pouvoir. En réalité, les travaux de sociologie l’ont montré, l’Etat n'a absolument pas changé. La structure étatique est demeurée la même et pourtant des mesures socialistes ont été prises. Il y a une mise en œuvre d’une vision politique mais elle est faite par l’Etat lui-même.

Aujourd’hui, il y a une réelle déconnexion et un réel rejet des politiques. De nos jours, on voit à quel point les parlementaires élus aux dernières élections législatives ne sont pas issus de la politique. La plupart d’entre eux n’ont pas de valeur politique bien définie. Cela présente un réel danger, qui, de manière presque paradoxale, pourrait relancer le populisme.

Les partis politiques dans le contexte que nous connaissons représentent la vraie variable.  C’est moins l’Etat qui est coupable de cette déconnexion que la chute des partis et leur incapacité à mobiliser les citoyens.

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