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PMA, GPA : cette pression idéologique qui pousse les Français à se “convertir” sans nécessairement adhérer profondément à la vision de la société qu’on leur propose
©Reuters

Idéologie

Selon un sondage récent effectué par l’institut BVA pour le Nouvel Observateur concernant la PMA (Procréation Médicalement Assistée) et la GPA (Gestation Pour Autrui) et d’une façon générale sur les nouvelles parentalités, il apparaît que le jugement des Français sur ces sujets a évolué de façon significative depuis le débat sur le mariage pour tous en 2013.

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely

Bertrand Vergely est philosophe et théologien.

Il est l'auteur de plusieurs livres dont La Mort interdite (J.-C. Lattès, 2001) ou Une vie pour se mettre au monde (Carnet Nord, 2010), La tentation de l'Homme-Dieu (Le Passeur Editeur, 2015).

 

 

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Atlantico : Il ressort de ce sondage que les Français sont désormais favorables à 58% à la PMA en ce qui concerne les couples de femmes et à 55% à la GPA en ce qui concerne les couples d’hommes. Que révèle ce sondage ? Comment la société a-t-elle pu changer ainsi ? Les convenances personnelles et les désirs individuels expliquent-ils ce changement de l’opinion ? 

Bertrand Vergely : La société a-t-elle changé ? N’est-ce pas plutôt la façon de lui présenter les questions concernant la PMA et la GPA qui s’est affinée ? Une chose me frappe quand je lis la façon dont ces questions ont été posées dans ce sondage : l’utilisation de la formule « bonnes conditions ». Posez comme questions aux Français « Pensez-vous qu’un enfant peut être élevé dans de bonnes conditions par un couple homosexuel ? ». Il est certain que vous allez obtenir des réponses favorables avec des taux variant entre 55% et 58 %. Pour deux raisons. 

     La première est de l’ordre de l’intimidation. Quand on pose comme question : « Pensez-vous que les couples homosexuels peuvent élever un enfant ? » qui va oser dire « Non. Je ne le pense pas ». Peu de monde. Parce qu’il est intimidant de dire non et ainsi de passer pour intolérant, discriminatoire, homophobe. Il n’est pas sûr que les Français soient pour les nouvelles parentalités. La GPA quand elle prend l’allure d’une tractation commerciale passe mal. Pas de père, pas de père pour un enfant, cela passe mal également. Mais les Français n’aiment pas passer pour intolérants. Surtout dans l’ambiance actuelle où les medias diffusent matin, midi et soir des appels à la tolérance. Dans ce contexte, demandez aux Français si ils ont un apriori cotre les couples homosexuels en matière d’éducation des enfants. Vous aurez comme réponse : « Non. Je ne vois pas pourquoi j’interdirai a priori aux homosexuels la possibilité d’élever un enfant ». Notez la malignité avec laquelle la question est posée. Quand il est question des nouvelles parentalités, on n’interroge pas les Français sur la façon de faire un enfant, ici sans père, là sans mère, mais de l’élever. L’accent mis sur l’éducation occulte la conception. Du coup, l’éducation permet de faire avaler la nouvelle conception des enfants sans père et sans père. 

     Deuxième raison qui explique les scores du sondage effectué par BVA : la manipulation. Quand Michel Foucault et les sciences humaines veulent critiquer la morale, comment s’y prennent-ils ? Ils ne critiquent pas la morale. Ils critiquent l’ordre moral, la morale étant les principes fondamentaux qui permettent à l’existence humaine de se conserver et de prospérer et l’ordre moral la façon dont les hommes vivent les règles sociales. Ramenons la morale à une affaire de règles sociales et de modes de comportements, d’habitus, comme le dit Pierre Bourdieu. Il n’est pas difficile de faire passer une critique de « la » morale.  Ici, il en va de même. Quand il est question de faire avaler la PMA et la GPA, comment s’y prend-t-on ? On ne parle pas de la conception de l’enfant, mais de son éducation. Qui plus est on interroge les Français sur « les bonnes conditions ». Dans ces conditions, comment être contre les nouvelles parentalités ? Si les nouvelles parentalités portent sur, non pas la conception de l’enfant mais sur les conditions de son éducation, on ne voit pas pourquoi les couples homosexuels ne pourraient pas former de nouvelles familles. S’ils ont décidé d’élever un enfant, ce geste est bien mieux que le fait de l’abandonner. Par ailleurs, si les conditions sont bonnes, on ne voit pas pourquoi on priverait un enfant de bonnes conditions. 

     Ce sondage est un chef d’œuvre de manipulation mentale. Quelle est la vraie question, la question qu’il faut poser et que l’on se garde de poser ? il s’agit, non pas de la question du progrès de la civilisation mais d’une rupture dans l’humanité. Deux hommes, deux femmes ne peuvent pas faire d’enfant. Sommes-nous pour faire comme si ils pouvaient en faire ? Sommes-nous pour que désormais un enfant naisse ici sans père, là sans mère et que, s’agissant de son origine il y ait désormais un blanc à la case père et à la case mère ? Sommes-nous pour le fait que, désormais, l’origine de l’être humain soit destituée ? Jusqu’à présent celle-ci possède un visage et un nom. Sommes-nous pour que désormais celle-ci soit sans visage et sans nom ? Si la question de la rupture avait été correctement posée je doute que l’on aurait enregistré des taux de 55% de réponses favorables et plus. 

     Par conséquent, qu’est-ce qui explique le changement d’attitude des Français ? La mutation de la mentalité  en matière de famille ? Le progrès de la tolérance ?  De l’individualisme ? Non. Le progrès de l’habileté des sondeurs et des lobbies qui deviennent tellement rusés qu’ils sont capables de fabriquer avec maestria un renversement spectaculaire de l’opinion. 

Quels sont les enjeux d’éthique et de civilisation des questions soulevées par ce sondage ? 

On parle sans cesse d’éthique. La question n’est pas éthique mais morale et métaphysique. L’éthique renvoie à une façon de vivre liée à des règles pratiques. Utilitariste elle ne réfléchit que sur l’utilité  et les bonnes pratiques. On peut discuter à propos de l’éthique. Avec la morale il en va autrement. Qui dit morale dit principe fondamental. Qui dit principe dit sérieux absolu de l’existence. Quand un crime est commis ce n’est pas une affaire éthique. C’est une affaire morale. Sauf quand on s’appelle Machiavel et qu’on considère que le crime n’est pas un affaire morale et ne doit pas l’être parce qu’il existe des crimes utiles en vertu de la raison d’État. Les partisans de la PMA et de la GPA veulent faire de la famille une affaire d’éthique. Nous avons connu un modèle de famille, disent-ils. Le temps est venu d’en changer pour s’adapter au monde tel qu’il est. Dans ce passage de la morale à l’éthique concernant la famille Ils oublient et ils font oublier une chose : la violence de ce passage, cette violence étant liée à quatre éléments. 

     1) Premier élément : deux hommes, deux femmes ne peuvent pas faire d’enfant. Quand on veut nier cette réalité, il n’y a qu’une seule possibilité : passer en force en décidant que l’impossible est possible. Quand on passe ainsi en force en niant les réalités, cela porte un nom : la transgression. Il y a des lois. Quand on le nie, cela s’appelle une infraction. S’agissant de la vie il y a des lois. La vie passe par un homme et une femme pour faire un enfant. Quand on nie cette réalité, quand on veut la nier, quand on a décidé de la nier, on est dans la transgression. On fait de  la société une société de transgression. 

     2) Deuxième élément : un enfant a besoin d’un père et d’une père. Il a besoin de savoir d’où il vient, qui est son père, qui est sa mère. On ne vient pas de rien. On n’est pas sans origine en venant d’une origine qui n’a ni visage ni nom. Pour devenir père et mère il faut avoir le sens du père et de la mère existant. Plus de père et de mère existant ? Des difficultés sans nom pour devenir à son tour père et mère. Comme le dit Guy Corneau : père manquant, fils manqué. On n’a pas besoin de père et de mère pour élever un enfant, dit-on. Des femmes seules  y parviennent très bien. C’est vrai. Mais c’est un rame et non un exemple.  Quand des femmes élèvent seules un enfant, les pauvres, elles font ce qu’elles peuvent. Et quand un enfant s’adapte au fait de ne pas avoir de père, le pauvre, il fait ce qu’il peut. Il existe un chaos familial et sexuel dans notre monde. Au lieu de supprimer ce chaos on veut en faire un modèle. Cela porte un nom. Cela s’appelle : un mensonge. 

     3) Troisième élément : le respect de la femme. Un couple homosexuel peut décider de faire un enfant. En utilisant le sperme d’un donneur anonyme ici et l’utérus d’une mère porteuse là. Problème cependant :  depuis des décennies le féminisme lutte en expliquant que la femme est autre chose qu’un utérus et qu’il faut que les hommes arrêtent de s’identifier à leur phallus. Pour faire un enfant en dehors du couple homme-femme, constatons-le : on est obligé d’identifier la femme à un utérus et l’homme à un phallus. Cela porte un nom : cela s’appelle une contradiction et, derrière elle, un parjure. 

     4) Quatrième élément : la famille n’est pas un droit. L’enfant non plus. Quand, en 1998, à la tribune de l’Assemblée Nationale, Élisabeth Guigou, alors Garde des Sceaux, défend la PACS, elle explique que le couple se fonde sur une donnée non juridique, la différence des sexes, qui est une donnée fondamentale de la vie et que l’enfant est une promesse au sein de cette donnée fondamentale. En 2012, quand elle décide de soutenir François Hollande, changement radical d’attitude. Elle a évolué, dit-elle, comme la société française et désormais elle est pour le mariage pour tous ainsi que pour les nouvelles parentalités. La différence des sexes cesse d’être une donnée de la vie. L’enfant cesse d’être une promesse. La différence des sexes devient un modèle parmi d’autres. L’enfant devient un droit. Il n’y a pas un droit à l’enfant, mais un droit de l’enfant, avait dit Lionel Jospin. Ce temps est fini. Les pro-mariages pour tous très habilement ont fait du mariage une affaire de droit, de façon à occulter la question de la conception de l’enfant, de son origine et de sa filiation. Cette occultation porte un nom : la manipulation. 

     On se demande quel changement a lieu actuellement avec les projets concernant la famille. On a la réponse en quatre mots : 1) transgression, 2) mensonge, 3) parjure, 4) manipulation. Ceux qui, aujourd’hui, sont les promoteurs d’un homme auto-créé comme le dit Olivier Rey dans son livre Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-créé. (Seuil 2006) ont intérêt à la disparition du couple homme-femme et du couple père-mère. Ce projet s’inscrit dans le désir de ne plus forcément passer par l’homme pour faire un homme. Témoin le robot affectif pour donner de l’affectif. Ce dont on pensait le robot incapable. Témoin la disparition du réel dans le virtuel et de la vérité dans ce qui arrange. 

Il y a des enjeux d’éthique et de civilisation derrière les questions soulevées par la GPA et la PMA. Ils sont occultés. Pourquoi ? Qu’est-ce qui explique cette occultation ? Les convenances personnes et les désirs individuels ? Quelles en sont les racines ? Ces tendances sont-elles appelées à être pérennes ? Sont-elles appelées à changer un jour ? 

Le fond du problème est métaphysique et philosophique. Il s’agit de savoir si la vie est un don venu d’ailleurs ou ce que l’on peut fabriquer. Est-ce l’homme qui fait la vie ou la vie qui fait l’homme ? L’homme est-il homme parce que la vie est humaine ou parce que l’homme est vivant ? Tout est fait aujourd’hui pour faire penser que la vie est ce que l’on fait en éliminant de celle-ci toute origine venue d’ailleurs. De ce point de vue, les convenances personnelles ainsi que les désirs individuels ne sont qu’une conséquence de la dérivation de la vie à partir de l’humain. À la Renaissance ce n’est plus la vie qui intéresse la culture occidentale mais le pouvoir sur la vie. Ce que nous vivons est la concrétisation de ce changement. Michel Foucault a pensé le monde uniquement en termes d’individu, de pouvoir et de biopouvoir. Nous assistons au triomphe de cette pensée afin de pouvoir faire advenir une nouvelle « morale », celle d’un libréro-libertarisme permissif au nom des droits de l’homme. Les grand lobbies économiques sont bien évidemment pour. À fond. Les politiques, les medias et la culture suivent, le tout sur fond de politiquement correct qui veille à ce que l’on pense bien en criant au nazisme dès que l’on met en question la tyrannie de l’individu travestie en liberté de la personne. Ce libéro-libertarisme mondialisé en est à sa troisième phase après Mai 68 il y a cinquante ans et la chute du mur de Berlin il y a trente ans. Cela va-t-il être pérenne ? Il se pourrait que non. Et c’est cela qui rend l’avenir passionnant. 

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