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Ressources humaines : un DRH raconte les licenciements abusifs réclamés par les entreprises
©BERTRAND GUAY / AFP

Bonnes feuilles

Objectifs inatteignables, injonctions paradoxales, harcèlement moral, évaluations truquées, propagande corporate... Pour la première fois, un DRH dénonce la collusion entre les ressources humaines et les directions d'entreprise visant à dissoudre le lien social, et à instaurer une culture de la peur. Extrait de "DRH, la machine à broyer" de Didier Bille, publié aux éditions du Cherche Midi. (1/2)

Didier Bille

Didier Bille

Directeur des ressources humaines, Didier Bille a travaillé pour plusieurs grands groupes. Il évolue aujourd’hui au sein de structures qui s’attachent à (re)placer le lien social, le respect et la bienveillance au cœur de leurs politiques RH.

DRH la machine à broyer de Didier Bille

 

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« Bonsoir, asseyez-vous, la société a décidé de mettre fin à votre contrat ». Ce fut avec ces mots que j’annonçai à Marie Antoinette (elle était autrichienne) que ses trente années de services chez Tucker, un équipementier automobile, prenaient fin. Le pire restait encore à venir, mais il fallait encore un peu de temps pour conditionner la future licenciée.

Sous le choc,  elle me demanda pourquoi, elle ne voyait pas ce qu’on pouvait lui reprocher, et pour cause … on n’avait rien. Respectant un scénario bien rodé au fil des années, je lui expliquai que c’était une décision de la société, qu’elle était définitive, qu’il serait vain d’entrer dans une discussion sur ses raisons et que l’important était maintenant de penser à la manière dont elle souhaitait que cela se termine. Option 1 : un licenciement, dont le motif, infamant, restait à inventer, suivi probablement d’un procès devant la juridiction prud’homale, avec de nombreux reports que nous provoquerions et, si nous perdions, d’un appel. Bref, au moins quatre années de procédures aux résultats incertains. Option 2 : un licenciement dont le motif pouvait être discuté, (le futur ex salarié est très attaché aux motifs, même inventés, du licenciement) et un accord transactionnel par lequel, en échange d’une somme d’argent versée rapidement, la victime renoncait à son droit de nous poursuivre.

Bien entendu, je lui précisai qu’elle avait le temps d’y réfléchir. Surtout, éviter le blocage en mettant trop de pression. Et puis c’est également judicieux de laisser croire au futur chômeur qu’il a une marge de manœuvre… même si celle-ci revient à choisir entre la peste ou le choléra.

Elle me demanda si sa hiérarchie était au courant, ce que je lui confirmais. Après de nombreuses années d’activité professionnelle, je suis toujours étonné de constater que les salariés puissent penser que les Ressources humaines pourraient prendre des décisions sans l’aval de la hiérarchie et de la direction. Surpris qu’ils n’aient pas encore réalisé, que les ressources humaines ne prenaient aucune décision, qu’elles n’étaient que des exécutantes et, le cas présent, des exécutrices.

Rapidement elle voulut savoir comment cela allait se passer. On y était, tout ce qui avait précédé avait pour but de l’amener exactement à ce point, lui faire abandonner le combat, de préférence avant de l’avoir commencé, la faire entrer dans la logique de l’entreprise et lui faire suivre scrupuleusement les règles que nous allions lui imposer.

C’est à ce moment que je lui annonçai, le plus difficile à accepter, que cela commençait ici et maintenant. Je lui remis une lettre de convocation à un entretien préalable[1] et je la plaçai en mise à pied conservatoire. En clair, elle quittait immédiatement, et définitivement, l’entreprise et ne reviendrait que pour son entretien disciplinaire. Pendant la durée de la procédure elle ne devait plus revenir travailler. Cette procédure se terminerait par son licenciement et pendant celle-ci je demeurerais, bien entendu, à son écoute pour discuter de l’option 2 si elle le souhaitait.

Je l’invitai ensuite à retourner prendre ses affaires et à quitter l’entreprise. Je ne l’accompagnais pas à son bureau, « Je vous fais confiance » lui dis-je seulement. Confiance qu’elle ne commettrait pas d’esclandre, qu’elle ne se laisserait pas aller à des reproches devant ses futurs ex-collègues. Pas besoin de le préciser elle le comprenait. Je n’accompagne pas les salariés chercher leurs affaires par respect pour eux mais aussi par manque de courage. Je ne supporterais pas les regards des autres sur moi me voyant faire ce boulot, mon boulot.

Je téléphonai cependant à son manager pour lui demander de la garder à l’œil et de me prévenir en cas de problèmes. La confiance n’exclut pas le contrôle.

Entre l’entrée dans mon bureau et son départ définitif de l’entreprise, moins de quinze minutes s’étaient écoulées. Marie Antoinette avait 59 ans, 11 mois et 3 semaines. Elle faisait partie de l’entreprise depuis plus de 30 ans. Ayant commencé à travailler en France tardivement elle ne pouvait prétendre à une retraite à taux plein avant 67 ans. Elle n’avait jamais commis de faute, n’avait jamais fait l’objet d’un rappel à l’ordre ou de remarques formelles sur son travail (aujourd’hui on dit performances). Elle avait toujours bénéficié d’augmentations salariales et même de bonus.

Son sort avait été scellé dix mois plus tôt, avant mon arrivée chez cet équipementier automobile. Pour gagner quelques points de compétitivité il avait été décidé de mettre en place un plan, baptisé le plan « moins neuf ». Il se résumait simplement à diminuer les effectifs, sans en informer les partenaires sociaux (Comité d’entreprise, Représentant salariaux et CHSCT), sans procédure pour licenciement économique, sans bruit et au moindre coût possible. Neuf représentait le nombre de salariés du siège qui devait être « traités », comprendre licenciés ou poussés à la démission. Une liste avait été dressée et sur les neuf il en restait deux, dont Marie Antoinette.

Dans un pays dont l’élite ne cesse de nous rappeler la complexité et la rigidité du code du travail qui serait hyper-protecteur des salariés, licencier est pourtant devenu un réflexe pavlovien pour réduire les coûts, résoudre un problème, faire un exemple, désigner un bouc émissaire, se bâtir une réputation de managers courageux. Dans une entreprise moderne, il n’est pas de problème qui ne saurait se résoudre par un, ou plus si affinités, licenciement.

[1] La formulation complète et correcte est : entretien préalable à une sanction disciplinaire. On y ajoute le cas échéant : « pouvant aller jusqu’au licenciement. »

Extrait de "DRH, la machine à broyer" de Didier Bille, publié aux éditions du Cherche Midi.

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"DRH la machine à broyer" de Didier Bille

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