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L'affaire Fillon a été le prélude du "dégagisme", qui a fait chuter nombre de ténors, dont François Bayrou
©ERIC FEFERBERG / AFP

Bonnes feuilles

Le 23 avril 2017, François Fillon est éliminé au premier tour de l’élection présidentielle. C’est la conclusion d’un long dévissage alliant déchaînement médiatique, célérité de la justice et basculement de l’opinion. Accusé, François Fillon répond en accusant. Comment départager le vrai du faux ? Doit-on croire au fameux Cabinet noir de l’Élysée ? À une manipulation de la magistrature ? À un complot d’État ? Extrait de "Le procès Fillon" de Hervé Lehman, publié aux Editions du Cerf. (2/2)

Que François Fillon soit finalement condamné ou non importe peu : la sentence a déjà été exécutée. La mise en examen est un sceau d’infamie dont on ne se remet pas ou difficilement, le déshonneur a été complet, sa brillante carrière politique a été brisée net. L’affaire Fillon a été le prélude de ce qu’on a appelé la révolution de velours, en tout cas de l’élection de l’auteur du livre Révolution. L’élimination de l’ancien Premier ministre dès le premier tour de la présidentielle est le temps fort du dégagisme prêché par Jean-Luc Mélenchon qui a fait chuter Sarkozy, Hollande, Juppé, Valls, mais aussi nombre de ministres et d’anciens ministres ou de ténors de la politique éliminés lors des élections législatives, sans compter ceux qui ont préféré ne pas se représenter pour ne pas subir l’affront de la défaite infligée par un inconnu. Plus d’un député chevronné a découvert avec stupéfaction sa défaite cuisante dans une circonscription labourée depuis des années jusque dans le moindre village devant un candidat macroniste dont les électeurs ne connaissaient même pas le nom en entrant dans le bureau de vote.

Mais ce dégagisme, qui a tant aidé Emmanuel Macron, va rapidement frapper son entourage. Richard Ferrand, qui avait déclaré que François Fillon « souille tous les élus de France », est à son tour épinglé, dès sa nomination comme ministre de la Cohésion des territoires, par Le Canard enchaîné, Le Monde et Mediapart. Il a fait louer en 2010 par les Mutuelles de Bretagne, dont il était le directeur général, des locaux qui venaient d’être achetés par la SCI de sa compagne. Un lanceur d’alerte magnifique, l’ancien Bâtonnier de Brest Alain Castel, vient expliquer à toute la France qu’il avait été choqué à l’époque parce que « Richard Ferrand allait louer l’immeuble à la mutuelle et il allait s’enrichir avec tous les travaux à la charge de celle-ci. Il faut appeler un chat un chat ». Et le secret professionnel une valeur de l’ancien monde. Richard Ferrand a par ailleurs employé comme assistant parlementaire le compagnon de son adjointe à la Mutuelle, puis son propre fils pendant cinq mois ; « rien de mirobolant » précise le cabinet du ministre, et apparemment pas de quoi souiller les élus de France. Richard Ferrand est réélu député du Finistère, mais il n’est pas reconduit dans ses fonctions ministérielles. L’affaire n’intéresse pas le Parquet national financier. Elle n’intéresse d’ailleurs pas non plus le procureur de Brest dans un premier temps, mais saisi de plusieurs plaintes dont celle de l’association Anticor, il se ravise et ouvre une enquête préliminaire le 1er juin. Le syndicat SNJ-CGT de l’Afp publie quelques semaines plus tard un communiqué dans lequel il affirme que des journalistes de l’agence détenaient les mêmes informations que Le Canard enchaîné sur le montage immobilier de la Mutuelle mais que la rédaction en chef avait refusé de les publier.

Tout cela n’est rien à côté de l’affaire du Modem. François Bayrou est nommé dans le premier gouvernement d’Emmanuel Macron garde des Sceaux, ministre de la Justice avec comme première tâche de porter la nouvelle loi de moralisation de la vie politique promise par le jeune candidat, en contrepoint de l’affaire Fillon. L’homme est bien choisi : cela fait des années qu’il se présente comme pourfendeur des malhonnêtetés de certains politiques. Il est à l’origine de l’affaire de l’arbitrage Tapie qu’il a dénoncée dès l’origine comme étant un scandale d’État. Il n’a pas de mots assez durs à l’égard de François Fillon : « J’ai l’impression que certains responsables politiques ne mesurent pas aujourd’hui le sentiment d’exaspération, d’écœurement, de trahison, que ressentent un très grand nombre de citoyens de tous bords. » Puis, lorsque François Fillon évoque le cabinet noir, François Bayrou affirme : « Chaque fois que quelqu’un est surpris dans des pratiques qui ne sont pas acceptables ou pas défendables, et que la Justice commence à s’en occuper, chaque fois, il a l’impression qu’il est victime d’un complot, d’une manœuvre. »

Seulement voilà : un lanceur d’alerte raconte à France Info le 9 juin qu’il était assistant parlementaire d’un député européen du Modem mais qu’il travaillait en réalité pour ce parti, comme plusieurs autres assistants parlementaires. C’est un secret de Polichinelle : Corinne Lepage l’avait raconté dans son livre Les mains propres en 2014, mais cela n’intéressait alors personne.

Le 13 juin, François Bayrou explique qu’il est victime d’un complot, d’une manœuvre. Le garde des Sceaux précise que le lanceur d’alerte (il ne l’appelle pas ainsi) est Mathieu L, qui est un collaborateur direct de la peu macronienne maire de Paris : « La question n’est pas son nom mais la fonction de celui qui pratique la dénonciation [il veut parler de droit d’alerte], on protège son anonymat [et oui] car sinon on s’apercevrait de ce que c’est. » C’est une opération politique ?, lui demande-t-on. « Vous l’avez dit ! C’est exactement l’impression qui est la mienne mais je n’ai pas le droit de m’exprimer ». François Bayrou, qui se rappelle soudain qu’il est garde des Sceaux, précise qu’il a « demandé par instruction écrite de ne pas être tenu au courant de cette affaire ». La transparence et la délation, c’est très amusant quand ça concerne les autres, c’est beaucoup moins drôle quand on est visé soi-même.

Le 14 juin, Le Canard enchaîné révèle que la secrétaire particulière de François Bayrou était rémunérée sur un poste d’assistant parlementaire de l’eurodéputée Marielle de Sarnez. « Faux, faux et archifaux » affirme à Paris Match la ministre des Affaires européennes. Mais le 18 juin Sylvie Goulard, ministre des Armées, fait savoir qu’elle renonce à participer au nouveau gouvernement à l’issue des élections législatives, « pour être en mesure de démontrer sa bonne foi », et pas son innocence, dans l’enquête des assistants parlementaires. Il s’avère par ailleurs qu’elle a été rémunérée de 2013 à 2016 10 000 euros par mois par un think tank américain. Difficile pour François Bayrou et la ministre des Affaires européennes de rester au gouvernement après cette défection en forme d’aveux, et impossible pour le premier de défendre au Parlement la loi de moralisation de la vie politique. Ils ne font ni l’un ni l’autre partie du deuxième gouvernement Philippe, dans lequel le Modem est à peine représenté. L’affaire n’intéresse pas le Parquet national financier. C’est le Parquet de Paris qui ouvre une enquête préliminaire, puis le 20 juillet une information judiciaire. Le juge choisi n’est pas Serge Tournaire. Six mois plus tard, personne n’est mis en examen.

Extrait de "Le procès Fillon" de Hervé Lehman, publié aux Editions du Cerf

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"Le procès Fillon" de Hervé Lehman

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