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Les liaisons dangereuses du PS avec la mondialisation
©Reuters

Dans le piège

Pour Pascal Lamy, ex-dirigeant de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), membre du PS et incarnation du social-libéralisme à la française, “Trump a une vision médiévale de l'économie” et toute remise en question de la mondialisation relèverait d’un crime de la pensée.

Vincent Tournier

Vincent Tournier

Vincent Tournier est maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.

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Atlantico : Alors que le PS tente de retrouver une ligne politique, notamment en faisant l'inventaire de la présidence Hollande, la question du rapport qu'entretien le PS au protectionnisme revient sur le devant de la scène avec les multiples interventions de Pascal Lamy concernant les mesures mises en place par Donald Trump. En quoi le PS entretient-il une relation troublée avec le libéralisme ?

Vincent Tournier : C’est bien le problème du PS aujourd’hui. François Hollande n’est pas le seul responsable, même s’il a fortement contribué au désastre final : c’est en fait toute l’évolution du PS depuis les années 1980 qui est en cause, lorsque la gauche gouvernementale a fait le choix de l’intégration européenne et de la globalisation, acceptant les grands principes du libéralisme comme la circulation des marchandises et des capitaux, et prenant fait et cause pour les immigrés, vus comme les nouveaux prolétaires. Ces choix ont infusé profondément dans la doctrine socialiste, même si le discours officiel est resté plus traditionnel. Rappelons quand même que ce sont des socialistes qui ont engagé la France dans la voie du libre-échange, avec des personnalités comme Jacques Delors à la Commission européenne, Dominique Strauss-Kahn au FMI, Pascal Lamy à l’OMC. Bref, les socialistes se sont engouffrés sans scrupule dans les grandes institutions libérales sans que cela fasse l’objet d’une véritable contestation interne.

Mais en faisant de tels choix, les socialistes se sont enfermés eux-mêmes dans un piège dont ils ne peuvent plus sortir. Pour mesurer l’ampleur du problème, il suffit d’écouter les réactions outrées de Pascal Lamy face à la décision de Donald Trump de taxer les importations d’acier et d’aluminium. Certes, on peut critiquer cette décision et concevoir que le libre-échange est souvent préférable au protectionnisme, mais le problème est que Pascal Lamy lance une condamnation de principe, sans laisser la moindre place à la nuance. Il ne dit pas que le protectionnisme n’est pas adapté dans ce cas précis, il dit que le protectionnisme relève  tout simplement d’une « vision médiévale », que c’est quelque chose de « grotesque ». Bref, qu’un président puisse avoir pour objectif de protéger sa population, voire ses ouvriers, est tout simplement inconcevable. Le libéralisme est ainsi devenu la norme de référence, le cadre incontournable en dehors duquel rien n’est possible. L’idée que l’Etat puisse avoir un rôle régulateur, qu’il puisse se faire protecteur, y compris en imposant des limites ou en fermant des frontières, a tout simplement disparu de l’horizon légitime de la pensée socialiste.

En quoi cette relation peut-elle expliquer, au moins en partie, le résultat électoral du parti ?

Faute d’assumer que le protectionnisme peut se justifier, dans tous les sens que peut prendre ce mot, le PS est bien en peine de s’adresser aux électeurs, notamment ceux des classes populaires ou intermédiaires, lesquels sont justement en demande de protection. La campagne de Benoît Hamon était presque caricaturale sur ce plan. On se souvient que celui-ci a mis le revenu universel au cœur de son programme. Ce faisant, il a cru avoir trouvé la proposition-phare susceptible de faire rêver les électeurs de gauche, comme jadis Lionel Jospin avec les 35 heures. Seulement voilà : il se trouve que le revenu universel est fondamentalement une mesure de nature libérale, conçue et promue par les plus libéraux des libéraux. Contrairement à ce qu’a prétendu la propagande du PS, il s’agit d’une mesure qui n’appartient pas à l’univers doctrinal du socialisme. C’est même tout le contraire puisque, avec le revenu universel, il ne s’agit plus de partager quoi que ce soit (ce qui était le cas avec les 35 heures : on prend aux uns pour donner aux autres), mais au contraire d’instaurer une frontière hermétique entre ceux qui sont dans l’emploi et les autres. De plus, cette proposition a aussi pour caractéristique de marquer l’abandon de tout volontarisme en politique : en gros, on dit aux électeurs que, désormais, la page du plein emploi est définitivement tournée et que les perdants doivent accepter leur sort en se contentant des subsides que leur accordent les gagnants. Cela revient donc à entériner l’existence d’une sous-catégorie de la population, dont le destin est de finir placée sous la tutelle bienveillante des vainqueurs. Un projet exaltant, donc.

Cela dit, le PS français n’est pas le seul concerné par cette impasse doctrinale. Aujourd’hui, c’est toute la social-démocratie européenne qui est frappée d’obsolescence programmée, accumulant les défaites électorales, comme on a pu le voir en Angleterre, en Allemagne et plus récemment en Italie. A chaque fois, la gauche ne sait plus comment parler aux électeurs de base, à tous les perdants de la globalisation, tous ceux qui ne se projettent pas dans le monde rêvé où les frontières s’effacent avec la politique.

Du point de vue de la philosophie du Parti socialiste, quelles seraient les corrections à effectuer pour parvenir à une offre économique plus conforme à celle de son électorat ?

Votre question laisse entendre qu’il y a encore un espoir. Or, la cassure est quand même très profonde, comme on vient de le voir avec le désintérêt quasi-total du public pour le débat interne entre les quatre prétendants à la direction du PS. Un sursaut est bien sûr toujours possible : après tout, le PS s’est relevé dans les années 1970 après avoir connu un revers monumental lors de la présidentielle de 1969 où il était tombé à 5% des voix.

Mais l’histoire ne se répète pas. Le contexte actuel est totalement différent de celui des années 1970. Il suffit de voir les débats sur le harcèlement sexuel : aujourd’hui, on est très loin de l’époque où le progressisme consistait à plaider pour la banalisation de la sexualité. Désormais, bien malin celui qui osera soutenir que mettre la main aux fesses ou tripoter les seins sont des actes anodins qui témoignent d’une authentique émancipation à l’égard de la morale bourgeoise.

Ce changement de mentalité n’est pas accessoire. Il est significatif d’une tendance lourde. On voit bien qu’une grande partie des revendications qui s’expriment aujourd’hui relèvent d’un besoin de protection : tout le monde veut des protections, d’une manière ou d’une autre. On est donc bel et bien dans un climat anxiogène d’insécurité généralisée. S’il existe encore un espace politique pour le PS, c’est sans doute sur ce registre qu’il doit se situer : définir quelles sont les protections qu’il est décidé à instaurer s’il revient au pouvoir. Mais cet exercice n’est pas facile car cela va obliger les socialistes à admettre que les choix faits par les gouvernements antérieurs ne sont pas allés dans la bonne direction, notamment sur l’Europe. On en est loin parce que ce sujet reste encore largement tabou.

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