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Pourquoi le monde doit se préparer à gérer beaucoup plus de morts (naturelles) chaque année que pendant les dernières décennies
©AFP

Crise démographique

L'organisation Mondiale de la Santé a estimé que le nombre de morts sur terre augmentera, passant de 56 millions à 70 millions par an d'ici à 2030, conséquence d'une population mondiale qui vit plus longtemps et des progrès faits par la médecine.

Damien Le Guay

Damien Le Guay

Philosophe et critique littéraire, Damien Le Guay est l'auteur de plusieurs livres, notamment de La mort en cendres (Editions le Cerf) et La face cachée d'Halloween (Editions le Cerf).

Il est maître de conférences à l'École des hautes études commerciales (HEC), à l'IRCOM d'Angers, et président du Comité national d'éthique du funéraire.

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L'organisation Mondiale de la Santé a estimé que le nombre de morts sur terre augmentera, passant de 56 millions à 70 millions par an d'ici à 2030, conséquence d'une population mondiale qui vit plus longtemps et des progrès faits par la médecine. Ce vieillissement de la population va s'accompagner d'une multiplication des problèmes médicaux pour les personnes âgées et d'un déclin physique et, ou, cognitif, naturel ou non. Sommes-nous préparés aujourd'hui pour faire face à ce phénomène ?

Nous ne pouvons que nous réjouir des progrès de la médecine et de l’allongement de la durée de vie. Et en même temps, les effets démographiques de ces progrès posent bien des problèmes. Le premier tient à un déséquilibre démographique mondial. Les pays occidentaux ont une dynamique démographique faible, voir même, pour certains pays, négative - comme le Japon ou l’Allemagne – alors que les pays pauvres ou en développement ont des croissances démographiques fortes, voire même très fortes. Le second effet du constat de l’OMS concerne les flux migratoires. Les pays riches vont être confrontés à des mouvements migratoires puissants – selon ce que l’Europe constate déjà depuis plusieurs années. Le troisième effet est le suivant : les vieux pays occidentaux auront des populations vieilles alors que les pays jeunes auront de populations jeunes. 
Venons-en, en réduisant la focale, à la France et l’impact des personnes âgées sur les finances publiques. Même si le vieillissement de la population est plus que prévisible, même si les rapports s’accumulent depuis des années sur ce thème, même si initiatives politiques furent envisagées depuis plus de quinze ans, un constat s’impose : nous n’avons pas encore pris la mesure de cette situation future. Le nombre de personnes en EHPAD est aujourd’hui de 728 000. Or, si nous voulons nous occuper d’eux comme cela est fait ailleurs, dans d’autres pays, comme dans les pays nordiques, il faudrait doubler le nombre d’aide et d’assistants. Aujourd’hui, les plus de soixante ans représentent 1/5 eme de la population et, en 2050, ils représenteront un tiers de la population. Différents problèmes sont sur la table, sans pour autant être solutionnés, alors même que nous savons qu’ils ne feront qu’augmenter mécaniquement dans les années à venir : le financement des Ehpad, l’accueil des personnes âges à l’hôpital, les soins de longue durée pour les personnes âgées. 
J’ajoute, au regard d’une initiative récente de 156 députés (dont une bonne partie de l’actuelle majorité) favorables à l’euthanasie, qu’il ne faudrait pas que l’euthanasie apparaisse comme « la » solution qui permettrait de régler tous les problèmes. D’une part nous savons que le « mal mourir » en France, qui existe, et qu’il ne faut pas minimiser, ne sera pas « solutionner » par l’euthanasie. D’autre part, face au nombre grandissant de personnes âgées, il ne faudrait pas que les partisans de l’euthanasie-liberté deviennent « les idiots utiles » des partisans d’une euthanasie-économique – qui n’apparaissent jamais mais existent. Autant il est compréhensible d’entendre cette aspiration à une ultime liberté – même si, de mon point de vue, cette aspiration pose plus de difficultés qu’elle n’en résout -, autant, la possibilité de se « débarrasser » de tous ces financements à venir, tous ces soins forts chers, toutes ces coûteuses prises en charge par une euthanasie qui rentrerait dans la palette des soins, par une euthanasie civique, économique ou qui s’imposerait d’elle-même, nous ferait basculer dans une sorte d’inhumanité par rigueur budgétaire. 
Dés lors le choix est simple : soit nous envisageons notre avenir avec un désir faible d’avenir et d’enfants et une population de plus en plus vieille, soit nous finirons par nous résoudre, pour éviter d’exploser tous nos systèmes de santé ou de financement, par adopter un système d’euthanasie active – même s’il vient se dissimuler sous une revendication d’autonomie et de liberté. Bien entendu, il me semble nécessaire, pour éviter d’avoir a arbitrer entre l’inhumanité ou la faillite, d’anticiper le vieillissement de nos populations et tout ce qui va avec. Une dernière solution s’offre à nous, voulue par les milieux économiques et même l’Europe institutionnelle : favoriser l’arrivée massive de populations jeunes venues d’ailleurs pour « compenser » la baisse de la natalité et pour éviter la banqueroute de nos systèmes sociaux. 

Quels sont les freins au développement des soins palliatifs en et à l'accompagnement des personnes en fin de vie en général en France?

Les freins sont nombreux. Ils sont surtout culturels. Notre modèle est trop médical et devrait être remis à plat de manière à mieux prendre en charge les besoins présents et surtout les besoins à venir. La mort actuelle est surtout hospitalière. Aujourd'hui 70% des Français meurent dans une structure hospitalière, parfois dans des conditions indignes. Pensons à ces personnes âgées «envoyées» à l'hôpital parce que la maison de retraite ne veut pas payer les coûts du transport funéraire. Or, n'est-il pas plus «confortable» de mourir chez soi ? Oui. Au début des années 1960, 70 % des français mourraient chez eux. Dans d'autres pays européens, 70 % des gens meurent chez eux. Alors, pourquoi pas chez nous? C'est une question politique, une ambition de santé publique. Un objectif concret. Cela conduit à développer les équipes de soins palliatifs, les soins à domicile, les équipes mobiles de soins, et plus largement de refonder la manière dont nous envisageons la médecine des dernières semaines. 
Un frein est mis en avant : le coût de cette prise en charge. Ce n'est pas une question de moyens financiers mais de volonté des pouvoirs publics. Le rapport Sicard disait déjà, en 2012, que d’énormes économies budgétaires pourraient être faites en limitant « l'acharnement thérapeutique ». Ces économies devraient pouvoir servir pour l'accompagnement, la qualité du mourir et les soins palliatifs. Les constats sont faits. Les solutions sont là. C'est maintenant une question de choix, de décisions politiques, d'orientations de la politique de santé. Tout devrait être fait sans tenir compte des revendications survalorisées de lobbies minoritaires.
La question est, me semble-t-il, avant tout culturelle. L'ambition est claire: remettre le malade au cœur de l'hôpital. Les rapports successifs montrent bien le glissement de la médecine d'une culture palliative à une culture avant tout curative. Le glissement est dégradant: les personnes deviennent des patients, les patients des malades, les malades des maladies, des maladies des organes malades. Les médecins (depuis la «tarification à l'acte») sont incités à poursuivre des «actes», des prescriptions, des traitements quand bien même ils savent, in petto, que tout cela ne sert plus à rien.

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