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La réélection imminente de Vladimir Poutine et le retour à l’équilibre des puissances
©ALEXEY NIKOLSKY / SPUTNIK / AFP

Disraeli Scanner

Le discours que Vladimir Poutine a prononcé jeudi 1er mars devant le parlement russe est un événement véritablement important, parce qu’il nous révèle, tel un flash photgraphique, où en est la Russie actuellement.

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 

Le 4 mars 2018, 
Mon cher ami, 
Ce n’est pas à un Français que je vais rappeler l’importance de la longue durée historique. Mais Fernand Braudel ne méprisait pas l’événement, comme on le dit trop souvent. Il disait que rares étaient les événements historiques importants, c’est-à-dire dans lesquels on voyait surgir longue durée et structures. 
Le discours que Vladimir Poutine a prononcé jeudi 1er mars devant le parlement russe est un événement véritablement important, parce qu’il nous révèle, tel un flash photgraphique, où en est la Russie actuellement. 
Adapter la stratégie russe à la relative faiblesse démographique du pays
Poutine se place dans la longue durée de l’histoire russe. Il insiste beaucoup, dans son discours, sur les contraintes que la démographie fait peser sur toutes les décisions politiques russes. Le pays a subi des pertes gigantesques au XXè siècle, pour des raisons internes - la guerre civile totale de Lénine, Trotski et Staline a causé une bonne vingtaine de millions de morts - et externes - la Première Guerre mondiale et l’effondrement du régime tsariste, la Seconde Guerre mondiale et la guerre d’extermination hitlérienne contre les peuples d’Union Soviétique, la période post-soviétique ont fait globalement pluis de 30 millions de victimes. Tout cela, Poutine en fait le fondement de sa politique et il a par exemple mené la stratégie correspondant à la faiblesse démographique de son pays lorsqu’il a imaginé une manière de combattre Daech en Syrie qui n’implique que très peu de troupes russes au sol. Le 1er mars, Poutine a rappelé les efforts sanitaires, médicaux, sociaux faits pour faire reculer la mortalité, en particulier masculine (l’espérance de vie est remontée de 70 à 73 ans depuis 2000). Les médias occidentaux ne le jeront pas sincère mais le président russe a insisté sur le profond désir de paix du pays et sur le caractère strictement défensif de l’outil militaire. Ce qui importe au président russe, c’est d’abord d’améliorer le niveau de vie de la population, son niveau éducatif, de renforcer des infrastructures de transport encore insuffisantes, de moderniser les villes.  
Faire passer le pays à l’industrie 4.0 
C’est le deuxième point essentiel du discours. Poutine annonce un programme d’investissement public dans le système éducatif, les universités, la recherche, l’innovation. Il ne veut pas que son pays manque le tournant des NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique, sciences de la Cognition). Tout ceci est important parce que, durant longtemps, on a expliqué que le pays vivait de ses ressources en hydrocarbures et était donc très vulnérable économiquement. Les années récentes ont montré une Russie plus solide que ce qu’on croyait, capable d’absorber le triple choc de la crise financière, des conséquences du conflit entre sunnites et chiites sur le prix du pétrole  et du gaz et, last but not least, des sanctions germano-américaines. La Russie a constitué des réserves d’or encore plus considérables que la Chine, bien consciente que le bon vieux système de la garantie métallique de la création du crédit pourrait être très utile en cas de crise du dollar ou de nouvelle turbulence financière majeure. Le président russe a mis en valeur la lutte contre l’inflation menée par la Banque Centrale russe. Il a insisté sur la nécessité de passer aux réseaux numérisés de distribution de l’électricité. Il a mis en valeur la situation géographique de la Russie et son rôle irremplaçable dans la circulation des marchandises en Eurasie. Et il a expoliqué à ses compatriotes qu’il s’agissait, dans la révolution technologique actuelle comme dans les autres domaines de ne pas prendre de retard pour ne pas devoir, une nouvelle fois, dépendre de puissances étrangères pour garantir le développement de la Russie. La perspective que le président russe a tracée est, sans aucun doute celle de son très probable nouveau mandat (2018-2024) mais il a insisté sur une série de mesures, en particulier fiscales et sociales qui devraient être prises dès cette année. 
Assurer l’équilibre des puissances 
Ce que les médias ont retenu du discours, bien entendu, ce sont les annonces militaires. Le président russe a bien évidemment voulu frapper les esprits en montrant des vidéos de nouvelles armes à la pointe de la technologie. La méfiance vis-à-vis de tout ce qui vient de Russie est telle en Europe et en Amérique du Nord que les commentateurs ont majoritairement expliqué qu’il s’agissait d’une démonstration d’agressivité et d’une relance de la course aux armements. Il faut bien entendu rétablir les faits: 
- en 1990, Mikhaïl Gorbatchev accepte l’entrée de l’Allemagne réunifiée dans l’OTAN contre la garantie que l’OTAN ne s’étendra pas vers l’Est. Quinze ans plus tard, Bill Clinton et George W. Bush ont fait comme si les engagements pris vis-à-vis d’un homme de paix n’étaient que des chiffons de papier et l’OTAN inclut une grande partie de l’Europe centrale et orientale, y compris les Pays Baltes. 
- En 2004, George W Bush va un cran plus loin en faisant sortir unilatéralement son pays du traité dit ABM, de développement limité des boucliers anti-missiles. A cette époque, Vladimir Poutine était déjà président et il avait tout fait, diplomatiquement parlant, pour dissuader  son homologue américain de franchir un tel pas. 
- En 2007, alors qu’il préside aux destinées de la Russie depuis sept ans, Vladimir Poutine juge qu’il a suffisamment redressé son pays pour prendre le risque d’un discours, à la Conférence sur la Sécurité de Munich, qui sonne comme un défi à la vision impériale des Etats-Unis et prône un retour à l’équilibre des puissances. Ce discours est à l’origine de la russophobie officielle de toutes nos chancelleries où l’on préfère, depuis longtemps, le confort de la vassalité à Washington à l’incertitude d’une politique d’indépendance. 
- Un peu plus de dix ans plus tard, donc, le président russe annonce que son pays dispose désormais d’armes intelligentes et ultra-rapides qui, par mer ou dans les airs, peuvent contourner tous les systèmes anti-missiles développés par les Américains. Il juge que l’équilibre est rétabli. 
Cette notion d’équilibre des puissances est fondamentale. Contrairement à une idée reçue, c’est le meilleur système pour empêcher les guerres. En 1914, c’est parce que les pays européens ne croient plus à l’équilibre des puissances qu’ils se jettent les uns sur les autres et passent quatre ans à faire s’affronter deux colaitions de force à peu près équivalente. L’équilibre nucléaire est ce qui a permis que la bonne conscience expansionniste américaine et la paranoïa soviétique , après 1945, ne dégénèrent pas en guerre chaude. Après 1990, les Etats-Unis ont pu donner libre cours à leur impérialisme messianique et le monde a perdu rapidement les dividendes de la paix. En particulier le Moyen-Orient a été dévasté par les guerres américaines et leurs conséquences. 
La sagesse des conservateurs est de ne pas mêler les enjeux de valeurs aux relations entre les Etats. 
Vous n’avez même pas besoin de me demander, mon cher ami, comment je suis reçu dans mon propre parti avec de telles opinions. Comme l’héritier du grand Benjamin, le Disraëli du XIXè siècle, dont on supportait les excentricités. Comment peut-on être un Tory et ne pas condamner sans appel les atteintes aux libertés individuelles dont se rend coupable le régime de Monsieur Poutine? Dans ce cas, je réponds à mes amis qu’ils me font un procès d’intention: en quoi peuvent-ils affirmer que je ne les condamne pas? Je les vois, comme tout le monde, mais je suis plus fidèle qu’eux à l’esprit tory lorsque je pense les relations internationales sans m’immiscer dans la politique intérieure des Etats. Beaucoup de membres du parti conservateur britannique sont aujourd’hui en fait des gladstoniens, des libéraux, en politique étrangère, persuadés que la diplomatie doit porter des valeurs universelles et tâcher de les imposer. Je suis pour ma part de l’école de Richelieu et de Pitt, de Churchill et de Gaulle: rien n’est plus précieux à mes yeux que l’équilibre entre les Etats. Le maintenir demande bien entendu de penser à la défense du pays mais aussi de toujours rechercher la confiance dans les relations internationales afin de construire des paix solides. Un conservateur comme Churchill savait quand il fallait être ferme et quand il fallait pratiquer la détente. 
Regardez comment la défense des droits de l’individu comme impératif suprême de l’intervention politique est impossible à tenir. Expliquez-moi ce qu’il y a de défendable dans les milices néo-nazies qui soutiennent le gouvernement d’Ukraine de l’Ouest et sont appuyées par l’Occident? Où pensez-vous que les atteintes à vos droits sont les plus probables, si vous y viviez: dans la Russie de Poutine ou dans la Chine de Xi Jiping? Expliquez-moi selon quel critère éthique vous voulez prendre parti dans la guerre larvée que se livrent l’Arabie Saoudite et l’Iran. Je ne veux pas d’une politique étrangère amorale. J’attends que l’on respecte les traités signés et que l’on serve la paix comme bien suprême. Je suis convaincu que le seul moyen de faire gagner la liberté dans tous les Etats du monde, c’est de faire confiance à la force des idées et des croyances, qui ne se laissent pas arrêter par une frontière. Mais on n’adopte plus de liberté que si l’on est libre de toute contrainte externe. La meilleure chance de faire passer la Russie d’un régime bonapartiste à une démocratie gaullienne, c’est de construire avec elle les fondations d’une nouvelle paix et sécurité, en Europe, au Moyens-Orient et en Asie. 
Je vous souhaite une bonne semaine. 
Bien fidèlement à vous
Benjamin Disraëli

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