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Jens Weidmann
Jens Weidmann
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La nomination de Martin Selmayr au poste de secrétaire général de la Commission et le soutien apporté par le SPD à la candidature de Jens Weidmann à la tête de la BCE montrent un renforcement réel de l'Allemagne au plus haut niveau européen.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : Au cours de la semaine du 19 février, deux faits semblent dévoiler un potentiel renforcement de l'Allemagne au sein des instances européennes, que ce soit la nomination de Martin Selmayr au poste de secrétaire général de la Commission, selon des circonstances qui font aujourd’hui débat, et le soutien apporté par le SPD à la candidature de Jens Weidmann au poste de Président de la BCE. Comment interpréter ces événements, alors que l'Europe est aujourd’hui au centre des attaques de nombreux partis politiques, et quelles en sont les conséquences notamment pour les projets européens d'Emmanuel Macron ? 

Christophe Bouillaud : Les deux événements sont tout de même de nature différente : l’un (la nomination de Martin Selmayr) correspond à des luttes bureaucratiques au sein de la Commission européenne pour les postes les plus intéressants ; et l’autre (l’appui du SPD à une candidature Weidmann à la tête de la BCE) correspond à une profonde divergence de conception entre ce que les conservateurs allemands voient comme une bonne politique monétaire et ce que d’autres acteurs plus pragmatiques ont découvert sur cette dernière au cours de la présente crise économique. La possible nomination de Jens Weidmann à la tête de la BCE serait un terrible retour en arrière : c’est vraiment quelqu’un qui n’a rien vu, rien compris, rien appris – ou, du moins, il fait comme si la vision de la politique monétaire selon Bundesbank était la seule valable en tout lieu et en tout temps. Je comprends que le SPD ait dû faire des concessions à la CDU-CSU : l’Allemagne connait à la fois un début d’inflation salariale, dangereux pour la compétitivité, et aussi plus qu’un début de bulle immobilière qui déséquilibre en augmentant les prix des logements et les loyers le rapport entre les salaires versés et les dépenses contraintes des ménages. Les taux d’intérêts bas ont aussi le don d’exaspérer les épargnants allemands. Du seul point de vue allemand, il y a donc de bonnes raisons de vouloir une augmentation des taux d’intérêts pour refroidir une conjoncture allemande qui semble dériver du bien (plein emploi) vers le trop bien (surchauffe du marché du travail et bulle immobilière).  Cependant, ce  genre de concessions, qui correspond à une certaine vision conservatrice des nécessités allemandes, n’est guère porteur d’une vision d’une politique économique bonne pour toute l’Union européenne. Il est vrai que ces négociations CDU/CSU/SPD se sont terminées dans un climat de chute politique complète de Martin Schulz. Cet homme qui avait fait toute sa carrière politique jusqu’ici au sein du Parlement européen entendait apporter beaucoup d’Europe dans la politique allemande. Sa dégringolade au fil des dernières semaines traduit le peu de poids de ces considérations européistes à la fois pour l’électorat allemand en général et pour ses propres camarades de parti. 

En tout cas, Emmanuel Macron devrait commencer à s’inquiéter. Les conservateurs allemands ne démordront donc jamais de leur vision « ordo-libérale » de la zone Euro. En même temps, on pourrait se demander, vu le rythme des réformes mises en œuvre en France destinés à faire baisser rapidement le coût du travail dans notre pays ou à limiter drastiquement la fiscalité portant sur le capital mobile (hors immobilier donc), s’il n’a pas déjà fait son deuil d’un horizon européen autre que cette vieille lutte franco-allemande pour offrir aux entreprises les prix du travail qualifié les plus bas. Cela dure depuis les années 1980 avec la « désinflation compétitive » lancée par les Français pour contrecarrer déjà la domination allemande sur les marchés, et cela continue depuis vaille que vaille. Les conservateurs allemands et aussi les sociaux-démocrates les plus économiquement orthodoxes sentent qu’ils risquent de perdre la manche actuellement  engagée, puisque l’inflation repart outre-Rhin, d’où leur volonté de remettre un orthodoxe à la tête de la BCE pour ralentir l’économie européenne en remontant les taux d’intérêts. 

Plus localement, quels sont les pays qui ont le plus à perdre de tels mouvements ? 

Tous les pays membres de la zone Euro fortement endettés – dont la France – ont beaucoup à perdre d’une remontée des taux d’intérêts lancés pour contrecarrer l’inflation en Allemagne. Tous les pays du sud de la zone euro sont concernés. Mais le pays qui a sans doute le plus à perdre est l’Italie. Sa croissance actuelle et sans doute potentielle est très faible, et son endettement public est très élevé (plus de 130% du PIB). La moindre augmentation des taux d’intérêt sur sa dette publique risque de fait de déséquilibrer complètement le budget de l’Etat. Or l’Italie a déjà dégagé depuis deux décennies un solde budgétaire primaire positif pour éviter un emballement de sa dette publique. Mais cet effort de rigueur a fini par voir d’énormes conséquences en matière d’investissements publics et de formation du capital humain en Italie. Les Italiens sont de plus en plus conscients de ces conséquences négatives de l’austérité maintenue sur une longue période, et ils voudraient sortir. Je ne suis donc pas sûr qu’une hausse des taux d’intérêts soit très bien accueillie en Italie.

Comment expliquer une telle position allemande qui semble peu prendre en compte les difficultés rencontrées ailleurs sur le continent, notamment dans les pays du sud de l'Europe ?

J’ai bien peur que nous soyons simplement amenés à constater que les rapports de force politiques restent fondamentalement en 2018 définis dans des cadres nationaux sans trop tenir compte des effets sur les voisins européens, et que chacun poursuit donc ce qu’il croit être à tort ou à raison son intérêt national. Il faut aussi ajouter que les partis européens (PPE, PSE, ALDE, etc.) sont bien trop faibles pour imposer lors de la définition nationale des politiques européennes des choix correspondant à ce qui serait le mieux pour l’ensemble européen. En tout cas, quand le SPD accepte de se rallier à la candidature Weidmann, on sent bien qu’il ne tient pas compte du tout de l’avis de ses camarades italiens, espagnols, portugais  ou français sur le sujet. Ce n’est pas d’ailleurs une caractéristique proprement et uniquement allemande, c’est bien plutôt une tendance générale dans tous les pays européens : chacun fait ses choix et vérifie ensuite éventuellement leur compatibilité européenne. Un ensemble de fait fédéral par bien des côtés sans vrais partis fédéraux pour intégrer le tout n’est pas bien rassurant pour l’avenir. 

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