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Ces déconcertantes leçons venues des pays les plus avancés en matière d’inégalités femmes/ hommes qu’il faudra bien finir par intégrer pour agir de manière vraiment efficace
©Reuters

Quand les faits sont têtus

Les pays "progressistes" envoient moins de femmes étudier les sciences que leurs voisins plus traditionnels. Un paradoxe ?

Catherine Monnot

Catherine Monnot

Catherine Monnot est anthropologue à l'EHESS et professeure d'histoire-géographie dans le secondaire.

Auteure de Petites filles d'aujourd'hui, l'apprentissage de la féminité (Autrement, 2009). Elle vient de publier aux éditions Le Vent se Lève : "Gabriela, Rom de France".

 

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Atlantico : Sachant que l'aptitude des filles pour ces professions n'est pas en cause, (Stoet et Geary ont constaté que dans 67 pays les filles obtenaient des résultats scientifiques aussi bons ou meilleurs que ceux des garçons dans la plupart des pays) qu'est-ce qui explique selon vous la tendance des pays qui ont traditionnellement moins d'égalité entre les sexes à avoir plus de femmes dans les sciences et la technologie que leurs homologues "progressistes" ? Existe-t-il un lien entre le niveau de l'égalité femme-homme d'un pays et le choix de la profession pour les femmes ? Quelles tendances peut-on observer ?

Catherine Monnot : Attention, dire que 40% des diplômés de l'université en sciences d'un pays sont des femmes ne veut pas dire que 40% des femmes de ce pays sont diplômées en sciences... Dans les pays émergents et en développement, où par ailleurs l'égalité des sexes n'est pas toujours au centre des politiques publiques, 80% d'une classe d'âge n'est pas en mesure d'accéder à des études universitaires, et cela est d'autant plus vrai pour les filles qui vivent encore dans de nombreux pays des parcours éducatifs différents de ceux des garçons, plus courts et de moins bonne qualité. Alors il serait aussi important de comparer le chiffre des filles diplômées en sciences et techniques dans chaque pays avec celui de la scolarisation globale des filles dans le primaire, le secondaire et le supérieur dans ce même pays (en comparant avec les garçons). Il faudrait aussi comparer avec les autres spécialités de l'enseignement ainsi qu'avec le  taux de féminisation sur le marché du travail pour voir où se trouvent les autres filles puis les femmes qui n'ont pas choisi les sciences: sont elles actives dans d'autres branches, ou mariées jeunes et dépendantes économiquement de leur mari? Plus spécifiquement, concernant les filles diplômées de sciences dans les pays émergents et en développement, il faudrait savoir qui elles sont vraiment, car il y a peu de chance que leur présence dans ces filière n'ait aucune explication d'ordre socio-économique. A titre de comparaison, les premières femmes ingénieures en France dans les années 1960 avaient la particularité d'être quasiment toutes filles de pères ingénieurs, et issues de familles dépourvues de fils. Leur destin scientifique avait été fortement marqué par des configurations familiales. Alors quel est le profil des filles algériennes ou Qataries diplômées de sciences ? Il y a fort à parier que dans des pays où les conditions économiques et la place des femmes ne favorise pas leur présence à l'université, des choix pragmatiques ait été faits par elles-mêmes et par leurs familles en termes de débouchés professionnels  et de niveau de revenus, et peut être même qu'elles soient elles même issues de familles de scientifiques, d'enseignants etc, ayant favorisé leur entrée dans ce monde atypique.

Janet Shibley Hyde, professeure en études de genre à l'Université du Wisconsin, explique que "l'écart entre les sexes ne se produit pas parce que les filles ne peuvent pas faire de la science, mais parce qu'elles ont d'autres alternatives, basées sur leurs compétences verbales". Dans une étude, elle révèle que dans les pays où l'égalité femme-homme est de mise, le pourcentage de filles qui excellaient en sciences ou en mathématiques était plus élevé que celui des hommes. Pour autant comme nous l'avons précisé, elle finissent par ne pas choisir cette voie. Cela signifie-t-il qu'il y a quelque chose dans les sociétés les plus libérales, qui pousse les femmes loin des mathématiques et de la science?

Les sciences de l'éducation ont montré qu'en matière de rôles sociaux de sexes, des enfants ayant le libre choix de leurs activités ont tendance à choisir celles conformes à leurs sexes, car ils se plient inconsciemment aux stéréotypes et au regard social qui père sur eux. En matière de scolarisation et de vie professionnelle c'est la même chose, et les enfants sont aussi fortement influencés par leur milieu social et le modèle de leurs parents: plus une mère a un niveau de diplôme élevé plus sa fille aura tendance à suivre des études longues. Plus les enfants sont exposés à des modèles identitaires alternatifs, qui changent leur vision des choses (une femme PDG, un homme sage-femme), plus ils sont à même de transgresser les barrières en la matière. Il y a donc effectivement beaucoup à faire du côté de l'école, des médias et de la famille pour mettre à plat les schémas inconscients qui guident les choix d'orientation scolaire, et ne plus confondre le "gout" pour une matière et le "libre-arbitre", avec une simple adhésion aux rôles sociaux de sexe de son époque et de son milieu.

Alors que les pays plus égalitaires encouragent les filles à étudier des matières scientifiques, beaucoup d'entre elles choisissent une autre voie, en fonction de leurs points forts et de leurs passions. Parmi ces points forts, la lecture, où elles s'illustrent plus que leurs homologues masculins. Olga Khazan explique dans The Atlantic que « ce n'est pas que l'égalité de genre décourage les filles d'étudier les sciences. C'est que cela leur permet de ne pas étudier la science si elles ne sont pas intéressées ». Peut-on supposer que certains choix puissent être dus au fait même d'être une femme ou un homme ? Il y a-t-il des prédispositions ?

Cette question rejoint la précédente: la passion, le goût, l'appétence pour tel ou tel domaine, ne sont pas innés, mais dépendant en grande partie de notre éducation, de la façon dont on y a été ou non habitué, si telle ou telle activité a été valorisée à nos yeux, et si on a été valorisé en la pratiquant. Beaucoup de choses dépendent donc de l'éducation des filles et des garçons, et de ce qu'on leur explique de mille et une façons comme étant du domaine féminin (l'empathie, le soin aux autres, l'enseignement, prônés pour les filles mettent la parole au centre),ou masculin (la construction, les sciences, la compétition prônés pour les garçons mettent la technique au centre). De ces deux mondes presque antinomiques découlent la division sexuée de l'éducation et du monde du travail dans les sociétés occidentales. Et les attentes diffèrent encore aujourd'hui en matière de réussite sociale pour les filles et les garçons: ces derniers restent davantage poussés et valorisés dans les matières scientifiques et à poursuivre vers les grandes écoles qui offrent les meilleurs débouchés et évolutions de carrière par la suite. Encore une fois, il reste à déconstruire ces schémas inconscients pour que les enfants puissent être réellement libres de découvrir de façon empirique ce qu'ils aiment ou non, ce dans quoi ils s'épanouissent le mieux individuellement.

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