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L'accord de pêche entre l'Union Européenne et le Maroc est-il invalide ?
©Reuters

Tribune

Le Protocole pêche actuellement en vigueur (2014-2018) constitue une pièce maîtresse de la coopération privilégiée entre l’Union européenne et le Maroc : depuis 2008, le Maroc bénéficie du "Statut Avancé" auprès de l’Union européenne, et il pourrait devenir dans un avenir proche Etat Associé à l’UE.

Georges Estievenart

Georges Estievenart

Responsable des études européennes de l’IPSE, Directeur honoraire de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, enseignant à Sciences Po-Paris et au Centre d’études diplomatiques et stratégiques. Il a exercé les fonctions de coordinateur du dossier « drogues » à la Commission européenne, à la DG relations extérieures, puis, comme chef d’unité, au Secrétariat général, avant de diriger l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies, à Lisbonne, de 1994 à 2005.

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« … les actes contestés, qui sont applicables au territoire du Sahara occidental et aux eaux y adjacentes en ce qu’ils relèvent de la souveraineté ou de la juridiction du Royaume du Maroc, violent l’obligation de l’Union de respecter le droit du peuple de ce territoire à l’autodétermination, ainsi que de ne pas reconnaître une situation illégale découlant d’une violation de ce droit et de ne pas prêter aide ou assistance au maintien de cette situation. De plus, en ce qui concerne l’exploitation des ressources naturelles du Sahara occidental, les actes contestés ne mettent pas en place les garanties nécessaires pour assurer que cette exploitation se fasse au bénéfice du peuple de ce territoire. »

Tels sont en résumé, sous la plume même de l’auteur, les considérations présentées dans  l’avis émis en date du 10 janvier 2018 – un document à charge de 68 pages –, par l’Avocat Général Melchior Wathelet de la Cour de Justice de l’Union européenne, qui conclut à l’invalidité du « Protocole à l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc ». L’Accord de pêche UE-Maroc, signé en 2006 et précisé quant à ses modalités par le Protocole 2014-2018 (possibilités de pêche et contreparties financières), vient à échéance le 14 juillet 2018 et fait actuellement l’objet de préparatifs en vue de son renouvellement. L’avis de M. Melchior Wathelet, certes, ne préjuge en rien l’arrêt formel qui sera rendu le 27 février prochain par la Cour de Justice européenne elle-même, mais on constate que celle-ci suit généralement (dans une proportion de près de 80% des cas) les avis de ses Avocats Généraux. La Cour a été saisie à titre préjudiciel par un tribunal britannique, suite à la plainte déposée par une ONG (WSRW, « Western Sahara Resource Watch"), qui promeut la cause du Front Polisario dans le conflit gelé sur le statut du Sahara occidental, qui l’oppose depuis 1991 au Royaume du Maroc.

Les enjeux de cette dispute annoncée sont vastes et multiples. Si l’angle d’attaque est juridique, les implications économiques, politiques et stratégiques sont lourdes. Le Maroc est un pays clé en Afrique occidentale :  il s’étend sur 710.850 km2 et a une population de 35 millions d’habitants. Sa façade maritime s’étend sur plus de 3.500 km. Le Sahara occidental est pour sa part  un vaste territoire de 226.000km2, désertique et peu peuplé (630.000 habitants), et bordé de 1.200 km de côtes. Ce territoire se trouve sous le contrôle des Forces Armées Royales marocaines pour les ¾ occidentaux de sa superficie (côte atlantique comprise), et pour le ¼ restant  (partie orientale), sous celui du Front Polisario.

Le Protocole pêche actuellement en vigueur (2014-2018) constitue une pièce maîtresse de la coopération privilégiée entre l’Union européenne et le Maroc : depuis 2008, le Maroc bénéficie du « Statut Avancé » auprès de l’Union européenne, et il pourrait devenir dans un avenir proche Etat Associé à l’UE. Il définit de vastes zones de pêche atlantiques, pour l’accès desquelles les quotas les plus importants concernent les espèces de petits pélagiques ; ils sont fixés en fonction des stocks disponibles. Ces facilités d’accès sont concédées pour un maximum de 126 navires provenant de 11 pays de l’Union européenne. Le Maroc bénéficie d’une contrepartie financière à hauteur de 40 millions EUR par an, à raison de :

-         16 millions EUR pour l’accès de la flotte européenne à la ressource ;

-         14 millions EUR en appui à la politique sectorielle de la pêche marocaine ;

-         10 millions EUR de redevances dues par les armateurs européens au titre des licences de pêche délivrées.

Selon l’étude externe (1), réalisée sur commande de la Commission européenne, en vue de la renégociation du Protocole pêche UE-Maroc 2014-2018 :

-         « Le secteur de la pêche apporte à l’économie du Maroc une contribution évaluée à 2% du PIB, avec des exportations en produits de la pêche qui représentent environ 9% des exportations totales du pays. »

et :

-         « Les captures des navires UE dans la zone du Maroc (env. 83.000 tonnes par an en moyenne) ont représenté 5,6% des captures totales, contre 87,9% pour les flottes marocaines et 6,5% pour les flottes russes. »

Mais la remise en cause, par le biais de la relance du conflit gelé du Sahara occidental de l’Accord de pêche, outre qu’elle pourrait pousser le Maroc à se tourner, aux fins de substitution de partenaires, vers la Russie et la Chine, impacterait bien plus encore que ce seul accord sectoriel en matière de pêche. Il aurait aussi immanquablement pour effet de fragiliser la coopération multiforme existante entre l’UE et le Maroc ; or le Maroc, pour l’UE, est aussi un partenaire stratégique précieux sur des sujets ultra-sensibles, tels que l’immigration ou la lutte contre le terrorisme, pour ne citer que ceux-là. C’est ce qui explique l’émotion soulevée par l’avis de M. Melchior Wathelet tant au Maroc même que dans les Etats membres de l’UE les plus concernés (Espagne, France….) et dans les institutions européennes qui travaillent inlassablement à consolider la coopération exemplaire jusqu’à présent entre l’UE et le Royaume du Maroc.

Ainsi, sans pouvoir – ni vouloir, indépendance de la Cour oblige, – influencer la Cour de Justice dans sa prise de décision attendue pour le 25 février prochain, Mme Federica Mogherini, Vice-Présidente de la Commission européenne a fait la déclaration suivante :

(1) « Evaluation rétrospective et prospective du Protocole à l’accord de partenariat dans le domaine de la pêche durable entre l’Union européenne et le Royaume du Maroc », Rapport final, 2017.

« L’Union européenne prend acte de l’opinion de l’avocat général dans l’affaire C-266/16, relative à la décision préjudicielle sur la validité des actes de l’Union portant conclusion de l’accord de pêche avec le Maroc et son protocole. »

« Nous attendons maintenant la décision finale de la Cour de Justice. Dans l’attente de la décision finale, nous nous abstenons de commenter l’affaire ou son issue. »

« L’Union européenne rappelle que le Maroc est un partenaire clé dans son voisinage méridional, avec lequel nous avons développé un partenariat riche et varié sur une période de plusieurs années. Notre volonté est non seulement de préserver la relation privilégiée que nous partageons, mais aussi de la renforcer. »

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