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Aquilino Morelle, la conscience du Bourget
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Bonnes feuilles

En électricité, il s’agit d’une petite pièce isolante qui, en sautant, permet d’éviter la destruction complète du système. Le fusible. Dans le domaines des relations humaines, en politique mais aussi dans l’entreprise, le sport ou la fonction publique, ce sera celui ou celle que l’on désignera comme coupable pour calmer la vindicte populaire. Extrait de "Les Fusibles" de Cyril Touaux et François Vignolle, publié aux éditions l'Artilleur. 2/2

Cyril Touaux

Cyril Touaux

Cyril Touaux, journaliste à l'AFP.

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François Vignolle

François Vignolle

François Vignolle, directeur adjoint de la rédaction de M6.

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Son rôle de conseiller politique, chargé des relations avec la presse, amenait souvent Aquilino Morelle à relire des interviews sensibles. Ce lundi 8 avril 2013, quatre jours après la démission de Jérôme Cahuzac, il s’attelle à cette tâche a priori sans enjeu notoire. Arnaud Montebourg, encore ministre du Redressement productif, vient de donner une interview au Monde. Il doit la relire avec lui à Bercy le lundi dans la soirée. Dans cette interview, au détour d’une question, Arnaud Montebourg charge une énième fois l’Union européenne, toujours accrochée à sa politique d’austérité qui entraîne, selon lui, les pays européens dans «une spirale négative». Bref, rien de vraiment très neuf. Du classique pour Montebourg, dans le ton des interventions du remuant ministre. Morelle valide donc sans sourciller. Il vient là de signer sans le savoir son acte de décès en Hollandisme.

Le lendemain à 15 heures à l’Elysée, Aquilino Morelle se prend un monumental – et inattendu – savon de la part de François Hollande. D’ordinaire si calme, même lorsqu’il paraît irrité, le président de la République, furieux, traite son conseiller d’«irresponsable». Et le laisse sans voix. En tournant les talons. C’est ce jour-là que la rupture «fut consommée», écrit Aquilino Morelle qui pressent une décision « irréversible» mais «inavouée et silencieuse». Son «limogeage» interviendra plus tard, un an après cette mémorable engueulade présidentielle. A compter de ce moment, les raisons qui vont conduire à son éviction officielle s’empilent. Quelques jours après cette engueulade, Morelle le conseiller de gauche d’un président socialiste fait appeler un cireur de chaussures qui s’est déplacé à l’hôtel Marigny pour s’occuper de ses godillots. Une «faute» comme l’a reconnu Aquilino. Mais pendant un an, le président Hollande, forcément au courant, n’a rien dit, rien laissé transparaître, alors qu’il savait. «Les hommes de pouvoir sont des hommes de dossier » comme on dit souvent. Hollande l’a donc constitué patiemment selon Morelle. Et puis le coup de grâce. Un article du journal en ligne Mediapart paru le 16 avril 2014 l’accuse de conflits d’intérêts avec les laboratoires pharmaceutiques. Le docteur Morelle avait été rémunéré 12500 euros en 2007 pour sa collaboration avec un laboratoire danois, Lundbeck, alors qu’il travaillait à l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS). L’origine du coup est évident pour le conseiller. C’est son président qui a monté «ce chantier». D’ailleurs Mediapart, cerise sur le gâteau, rapporte cette histoire de cireur de chaussures. Histoire de camper l’odieux personnage. S’ensuit une belle journée où Morelle, peu connu du grand public, devient l’incarnation de cette gauche «dandy», «bour - geoise», «déconnectée». Les médias s’en donnent à cœur joie. Et François Hollande, avec une gravité un peu théâtrale, le convoque le soir même dans son bureau. «On n’y arrivera pas. On ne résistera pas. La vague médiatique sera trop forte. «A ce moment-là, quand il prononça ces paroles-là, je compris subitement à quel point j’avais été aveugle et sourd», écrit dans son livre, Morelle. Il a suffi d’une petite phrase, d’une seule. Viré. Sans avoir vu le coup venir. Et sans en avoir accepté le motif.

Le jour où le parquet financier classe sans suite cette affaire, le 9 mars 2015, Aquilino, dans ses premières déclarations à l’AFP, établit le diagnostic réel de son éviction : «Tout cela est une construction, une caricature destinée à frapper les esprits pour faire oublier l’essentiel : j’ai été débarqué pour des raisons politiques. La méthode est détestable, mais elle est bien connue. Quand on veut noyer son chien, on l’accuse d’avoir la rage… La sanction qui m’a été infligée est totalement disproportionnée par rapport à cet évènement, tout à fait regrettable et que je regrette, mais qui a été instrumentalisé par ceux qui voulaient me contraindre à la démission.»

Arnaud Montebourg ne résistera que quatre mois de plus, viré du gouvernement Valls à la fin du mois d’août 2014 après une énième provocation lors de son discours à la Fête de la Rose à Frangy-en-Bresse où il avait ironisé sur « la cuvée du redressement». Mais jamais Aquilino Morelle, ce fin observateur de la chose politique n’a pensé un instant que son comportement ait pu poser problème avec la « République exemplaire » prônée par Hollande. Jamais non plus ce conseiller n’a envisagé que son histoire n’assombrisse l’image – déjà bien entamée à l’époque – de son président après une accumulation néfaste, de l’affaire Cahuzac aux indélicatesses de Yasmina Benguigui (oublis fâcheux dans sa déclaration de patrimoine et d’intérêts…). «Son histoire de l’Igas est tombée à un très mauvais moment. Valls venait d’arriver, les affaires s’accumulaient autour de Hollande, et l’image renvoyée de cette gauche «caviar» était détestable. Le contexte a joué. Après, est-ce que Hollande avait décidé d’attendre le bon moment pour le renvoyer, est-il lui-même à l’origine des révélations de Mediapart ? Seul Hollande le sait», résume ce journaliste politique. Morelle en tout cas en est sûr: il a été minutieusement exécuté car il était devenu « à la fois encombrant et trop puissant» comme il le raconte dans son livre. Une certaine idée de la modestie sans doute…

Extrait de "Les Fusibles" de Cyril Touaux et François Vignolle, publié aux éditions l'Artilleur

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