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Le crépuscule d’Angela Merkel
©John MACDOUGALL / AFP

Disraeli Scanner

La Chancelière a de moins en moins d’influence et de capacité de conviction, au sein de son parti et en dehors.

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Benjamin Disraeli (1804-1881), fondateur du parti conservateur britannique moderne, a été Premier Ministre de Sa Majesté en 1868 puis entre 1874 et 1880.  Aussi avons-nous été quelque peu surpris de recevoir, depuis quelques semaines, des "lettres de Londres" signées par un homonyme du grand homme d'Etat.  L'intérêt des informations et des analyses a néanmoins convaincus  l'historien Edouard Husson de publier les textes reçus au moment où se dessine, en France et dans le monde, un nouveau clivage politique, entre "conservateurs" et "libéraux". Peut être suivi aussi sur @Disraeli1874

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Londres, 
Le 18 février 2018
Mon cher ami, 
Terribles sondages pour la Grande Coalition
Encore deux longues semaines et nous connaîtrons le résultat du vote des membres du SPD: approuvent-ils ou non le programme d’une Grande Coalition avec la CDU et la CSU? Jamais on n’aura mieux vérifié l’adage (on l’attribue à Bismarck): « Une semaine en politique, c’est très long ». A fortiori deux semaines quand on est, comme Angela Merkel, en fin de parcours politique. La Chancelière ne veut pas l’accepter; les dirigeants européens ne veulent pas l’accepter mais le peuple allemand a rendu un verdict sévère en septembre dernier vis-à-vis des partis de la Grande Coalition sortante. Or, non seulement celle-ci essaie de se faire reconduire. Et loin d’être une partie de la solution politique, Angela Merkel est devenu le principal problème, l’élémernt de blocage de la politique allkemande. 
Les chiffres, terribles, sont tombés ces derniers jours. Si une élection avait lieu ce dimanche, le SPD n’obtiendrait plus que 16% des suffrages (contre 20 en septembre dernier). Et, cela n’étonnera pas, la CDU et la CSU passent en-dessous de la barre des 30% (au lieu de 33%). C’est-à-dire que les deux partis qui envisagent de gouverner l’Allemagne au sein d’une Grande Coalition, ne représentent plus que 45 à 46% des suffrages - contre 53% en septembre dernier.  Or, au moment où ces chiffres sortaient, la Chancelière Merkel expliquait qu’elle n’envisageait pas autre chose que de rester à son poste pour un mandat complet, c’est-à-dire quatre ans. Et lorsqu’on lui a demandé, dimanche dernier, lors d’une émissionj de grande écoute, ce qu’elle ferait au cas où le SPD ne se ralliait pas à la Grande Coalition, elle a laissé entendre qu’elle-même, comme le Président de la République, préférait un gouvernement minoritaire à de nouvelles élections. 
Angela Merkel n’est plus chancelière pour longtemps
En fait, nous assistons au crépuscule d’Angela Merkel. La Chancelière a de moins en moins d’influence et de capacité de conviction, au sein de son parti et en dehors. Imaginons qu’elle soit en mesure de redevenir chancelière dans le courant du mois de mars, je vous fais le pari que la CDU et la CSU n’accepteront de voter pour elle, au Bundestag, qu’après avoir convenu d’un mandat limité dans le temps et d’une succession organisée. Même le très grand Konrad Adenauer dut en passer par là, en 1961; alors imaginez-vous qu’Angela Merkel puisse ne pas accepter la loi du parti? Il se murmure, à Berlin, qu’un candidat aurait de sérieuses chances de succéder à Madame Merkel à la tête du parti, avant 2021, à condition qu’il devienne ministre dès maintenant: il s’agit de Jens Spahn, l’un des rares chrétiens-démocrates à avoir osé critiquer la politique d’accueil sans restriction des réfugiés de la Chancelière. Contrairement à ce qu’on avait pronostiqué, la CDU (et pas seulement la CSU) est mal à l’aise avec l’accord de Grande Coalition. En particulier, on y digère mal que le Ministère des Finances revienne, selon toute vrasemblance, au SPD, alors que, si longtemps, il fut occupé par Wolfgang Schäuble. Mais c’est surtout la ligne de centre-gauche d’Angela Merkel qui pose problème.  Après avoir vidé le SPD d’une partie de son électorat - victoire à la Pyrrhus - elle menace désormais de faire perdre une bonne partie de ses électeurs à la CDU. 
En fait, les deux grands partis allemands (je considère CDU et CSU comme un seul parti) sont face à une crise existentielle. En un an, Martin Schulz, ancien président du Parlement européen, a suscité tous les espoirs puis déçu toutes les attentes et il vient de démissionner de la présidence du parti. Je trouve pour ma part extrêmement significatif que l’un des adeptes les plus fervents de l’européisme (je désigne ainsi la tendance, majoritaire depuis 1990, à vouloir construire l’Europe sans s’appuyer sur la démocratie au lieu de s’appuyer sur les peuples), partisan fervent d’Emmanuel Macron, ait à ce point échoué à emmener son propre parti vers l’alternance tranquille qu’il avait annoncée. Si la Grande Coalition se fait, il est peu probable qu’elle aille loin dans le sens préconisé par le Président français. Et si elle ne se fait pas, on sera encore plus loin des attentes entretenues à Paris: soit il y a un gouvernement minoritaire avec le soutien du FDP de Christian Lindner; soit il y a de nouvelles élections, à l’issue desquelles l’AfD pourrait encore gagner des voix, le SPD en perdre et les options conservatrices reprendre le dessus à la CDU/CSU. 
Amis français, l’Allemagne évolue très différemment de vos attentes
Mon cher ami, pouvez-vous expliquer à vos amis français que l’Allemagne a changé sous leurs yeux sans qu’ils s’en rendent compte? Rien de spectaculaire dans le débat, le populisme reste limité par comparaison avec la France. Mais tout se passe comme si le corps social allemand avait été capable à la fois de limiter une poussée vers la droite et de mettre fin, sans secousse, au libéralisme d’Angela Merkel. Jamais on n’avait poussé l’abstraction progressiste aussi loin qu’elle l’a fait, en ouvrant pendant de longues semaines les frontières à des ressortissants étrangers sans exercer aucun contrôle; jamais non plus une société n’avait réagi de manière aussi raisonnable - en faisant tout ce qu’elle pouvait pour intégrer les réfugiés entrés dans le pays; en limitant l’audience des populistes mais tout en demandant implicitement à la CDU et la CSU de préparer la fin de la carrière politique de Madame Merkel. Cette dernière a beau se débattre, s’accrocher, elle ne pourra plus rien entreprendre si elle est confirmée comme chancelière. C’est une illusion de penser, comme on le fait à Paris, qu’il faut à tout prix sauver le soldat Merkel. 
Il faut même aller plus loin: l’Europe sous sa forme fédérale ou supranationale est morte. J’imagine bien que l’on s’ingéniera à la sauver. Les institutions européennes sont devenues puissantes; la Commission va multiplier les admonestations; la BCE ne va pas abandonner son pouvoir du jour au lendemain, préférant faire appel aux autres banques centrales et aux marchés que de reconnaître que l’Europe est beaucoup trop complexer pour être pilotée par un taux d’intérêt unique. Surtout, je crains que ce soit en France que l’on trouve les partisans les plus enragés d’un sauvetage de l’Europe supranationale « à tout prix ». (C’est vous qui m’avez rappelé l’autre jour la formule cinglante de Maurice Clavel dans les années 1960: « Le dernier stalinien sera un curé bas-breton ». Les européistes irréductibles se rencontreront dans la classe politique française). Mais il vaudrait mieux ne pas perdre de temps et tenter de revenir, si cela fait encore du sens, à l’Europe des Etats du Général de Gaulle. Réjouissons-nous d’avoir bientôt, peut-être avant la fin de l’été, même, un gouvernement allemand qui défende ouvertement des intérêts allemands dans une démocratie réconciliée avec ses partis. N’est-ce pas le prélude d’un retour au réalisme en Europe? Le 4 mars, jour où nous saurons si le SPD accepte la Grande Coalition, nous aurons aussi le résultat des élections parlementaires italiennes, où une coalition de droite eurosceptique a toutes les chances de l’emporter. France, Allemagne et Italie, trois des pays fondateurs du marché commun, auraient intérêt à repenser l’Union Européenne. Revenir au réalisme les aiderait peut-être à mieux comprendre la Grande-Bretagne de Madame May. 
Bien didèlement à vous 
Benjamin Disraëli

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