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Massacre sans fin à Bornéo : 100 000 orang-outans tués en 16 ans
©BAY ISMOYO / AFP

Drame

Un rapport de chercheurs basés à Bornéo en Indonésie s'inquiète de la disparition de 100.000 orang-outangs en 15 ans. Ils considèrent que 50% de la population de ces grands singes est aujourd'hui menacée.

Pascal Picq

Pascal Picq

Pascal Picq est paléoanthropologue et maître de conférence au Collège de France. Il publie Un paléoanthropologue dans l'entreprise.

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Atlantico : Un rapport de chercheurs basés à Bornéo en Indonésie parle d'une disparition de 100.000 orang-outangs en 15 ans, et considèrent que 50% de la population de ces grands singes est aujourd'hui menacée. Que se passe-t-il ?

Pascal Picq : Il faut savoir que parmi les grands singes, c'est-à-dire ceux qui sont le plus proches de nous dans la nature actuelle (c'est-à-dire chimpanzés, bonobos – qui sont des chimpanzés en fait – gorilles, et orang outangs, on sait que les orang-outangs sont les plus menacés. Il y a des raisons traditionnelles, qui sont la déforestation par les paysans et la chasse. Et il y a aussi des trafics pour adoption avec les tout petits orang-outangs (quand il sont plus grands, c'est impossible).

Ces trois facteurs sont déjà importants, mais depuis quelques années, s'y ajoutent une accentuation de la pression sur les milieux naturels pour extraire des essences de bois rares dans les forêts primaires. Et l'autre problème qu'on connaît maintenant depuis un certain temps mais qui s'amplifie sérieusement, ce sont les nouvelles exploitations pour l'huile de palme. Cela fait effectivement beaucoup de pression cumulée sur les populations d'orang-outangs.

En plus de la pression des hommes, il faut savoir que les orang-outangs sont des grands singes et donc ont un taux de reproduction très faible. Chez les orang-outangs, c'est même le plus faible en moyenne chez les grands singes, puisque les femelles mettent un petit au monde tous les quatre, cinq, six ans. Imaginez bien, c'est un investissement maternel et parental très important. Pour élever leurs petits, ces femelles ont besoin d'un environnement qui fournit à la fois protection et donc des ressources relativement disponibles. C'est donc ici un vrai problème, car contrairement à des espèces qui peuvent se reproduire très rapidement, comme les macaques (et pourtant c'est pas simple pour eux non plus), les orang-outangs sont dans une logique démographique qui exige du temps et un environnement de qualité. On appelle ça les espèces K, qui privilégie la quantité sur la qualité si vous voulez bien. Ce sont des espèces qui sont à la fois généralistes et qui ont besoin d'exploiter les meilleures ressources de leur environnement. Vous comprenez donc leur fragilités : des espèces telles que celles-ci utilisent des territoires assez vastes. Et par ailleurs ces espèces vont chercher les ressources les plus prisées – les fruits, surtout des fruits durs et un petit peu d'écorces pour les orang-outangs – et ses ressources ne sont pas très concentrées comme les feuilles par exemple. Vous imaginez donc bien que dès qu'il y a une détérioration de l'habitat, cela a un impact immédiat sur la disponibilité des nourritures.

Donc malheureusement ces espèces extrêmement intelligentes (parmi les plus intelligentes qui aient vécues sur cette terre) qui ont une grande souplesse en termes d’adaptabilité, restent malgré tout très dépendants des ressources des forêts primaires.

Et si vous mettez tout cela ensemble, cela fait évidemment une très mauvaise nouvelles.

Les orang-outangs seraient donc des sortes de baromètres de la pression exercée par l'homme sur la forêt primaire de Bornéo ?

Oui effectivement, et dans ce cas il y a deux types d'espèces. Il y a les espèces comme les orang-outangs, qui ont développé des capacités parce qu'ils ont des cultures. Il faut savoir que les grands singes ont des cultures, qu'ils se transmettent des outils, des traditions. Donc si vous avez une détérioration des habitats des orang-outangs, vous avez une véritable perte des traditions. Ce qui pose des vrais problèmes de réhabilitation par la suite, parce que les traditions, c'est pas dans les gènes. Et comme elles dépendent un peu des ressources les plus riches de la forêts, elles sont les premières touchées par ces modifications de leur environnement.

Les autres espèces qui sont très sensibles à ça, ce sont les prédateurs. Les prédateurs sont des espèces qui nous font peur, mais elles ils sont comme le roi, ils dépendent de leurs vassaux. Ce sont des espèces qui sont au sommet du système écologique et donc sont immédiatement impactées par ces modifications.

Le compte rendu récent rapporte des « agressions » envers certains locaux. Quels rapports entretiennent les orang-outangs avec les humains ?

Ce n'est pas du tout une espèce agressive, mais si vous rentrez sur leur territoire, c'est plus compliqué. Mais vous savez, l'orang-outang, et surtout les mâles qui sont plus costauds que les femelles, sont les plus grands mammifères arboricoles. Quand on les laisse tranquilles, il sont dans leur canopée et rien ne se passe. Maintenant si vous restreignez leur environnement, ils ont moinsh de ressources et ils vont dans les champs, où ils rencontrent des paysans. S'ils sont menacés, évidemment ils répondent. Et c'est un animal extrêmement fort, et vous aurez des problèmes si vous devez en affronter un. C'est comme en Europe : les Espagnols, les Italiens, les Roumains n'ont pas de problèmes avec les loups, mais en France il y en a avec les bergers. Ce sont des problèmes culturels. Là ce ne sont pas des prédateurs et ils ne sont pas agressifs. Cela n'a rien à voir avec les chimpanzés en Afrique, qui sont capables de monter des razzias !

En face des orang-outangs, les gens essayent de survivre dans des conditions difficiles évidemment, et comme les deux doivent cohabiter au même endroit, il y a évidemment des tensions, du stress... cela peut dégénérer. Et le plus souvent, au désavantage des orang-outangs. Mais ce sont les conditions qu'on leur impose qui font ça parce que ce ne sont pas des espèces agressives.

Pourquoi est-il particulièrement important de sauver ces grands singes aujourd'hui ?

C'est une question d'éthique générale. Tout d'abord, et vous le savez bien, il y a la question de savoir de quel droit nous l'homme, pouvons décider quelle espèce peut ou non disparaître. Et les orang-outangs sont pour nous de lointains cousins. C'est une ligne qui s'est séparée de notre ligne africaine et de celle des chimpanzés, et que nous connaissons encore assez mal. Tout ce que je vous disais sur la culture etc. sont des chose qu'on a commencé à découvrir il y a à peine quinze ans. Il reste que nous avons des origines en commun avec eux. D'un point de vue anthropologique et d'un point de vue de ce que nous sommes, ils sont extrêmement importants pour mieux comprendre, pour comprendre ce qui fait notre humanité et ce qu'on partage avec les autres espèces.

Par ailleurs, si les orangs-outangs disparaissent, et compte-tenu de leur place dans l'écosystème, c'est l'écosystème qui risque aussi de disparaître avec lui. Et en Indonésie, soyons très clairs, c'est l'avenir des locaux qu'ils sont aujourd'hui en train d'hypothéquer. Ils sont en train de priver les générations futures de ressources inestimables. Et ce sera trop tard, parce que les orang-outangs, on ne peut pas les réinventer.

Et je me permets d'ajouter quelque chose : il y a quelques semaines, on a vu une scène surréaliste en France, à la suite d'une promotion, des gens qui se battaient pour des pots de Nutella. Et bien c'est dans ce Nutella que va l'huile de palme qui tue les orangs-outangs. Si les orang-poutangs nous voyaient nous précipiter de la sorte, comme des bêtes sur ces produits qui, en plus, sont très mauvais pour la santé, ils ne comprendraient pas !

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