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GAFAM : quand les entreprises du Nouveau Monde singent les Etats
©Pixabay

Duplicata

Le monde économique contemporain se structure autour des entreprises qui sont des agrégateurs de capitaux, d’hommes, de femmes et de compétences.

Philippe Crevel

Philippe Crevel

Philippe Crevel est économiste, directeur du Cercle de l’Épargne et directeur associé de Lorello Ecodata, société d'études et de conseils en stratégies économiques.

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Le 6 février 2018, la société Space X d’Elon Musk, le fondateur de l’entreprise de voitures électriques a réussi à satelliser un de ses cabriolets grâce à son lanceur Falcon Heavy, l’un des plus puissants jamais construits. L’objectif d’Elon Musk est la conquête de la planète Mars d’ici 2030. Issu du nouveau monde des entreprises, de ces start-ups dont les dirigeants deviennent milliardaires en quelques années, Space X réussit, dans le secteur ultrasophistiqué de l’aérospatiale, à voler la vedette aux structures étatiques que sont la NASA ou Arianespace. Le succès de Falcon Heavy traduit-il l’hégémonie croissante des entreprises et des plus technologiques d’entre-elles et le déclin des vieilles structures publiques ? Par ailleurs, n’existe-il pas deux modes de développement, l’un axé sur des entreprises à tendance monopolistique et l’autre avec des entreprises contrôlées plus ou moins fortement par l’État ? 

Le monde économique contemporain se structure autour des entreprises qui sont des agrégateurs de capitaux, d’hommes, de femmes et de compétences. Elles ont été les moteurs de la croissance de ces trois cents dernières années. Les multinationales qui exercent leurs activités dans plusieurs pays, sur plusieurs continents sont devenues les symboles de l’économie mondialisée. Leur développement est ancien. Les Phéniciens sous l’Antiquité ont créé des entreprises commerciales présentes dans de nombreux ports méditerranéens. Plus tard, au XIVe siècle, l’entreprise Peruzzi effectuait du commerce dans toute l’Europe, important du tissu des Flandres et fabriquant des vêtements à Florence pour les exporter dans toute l’Europe. Entre le XVIe et le XVIIIe, les grandes compagnies commerciales s’appuyant sur les empires coloniaux ont été créées pour commercer mais aussi pour produire. En France, ont été notamment constituées en 1614 la Compagnie de Rouen (Nouvelle-France) par Samuel de Champlain et en1664, la Compagnie française des Indes orientales et la Compagnie française des Indes occidentales par Jean-Baptiste Colbert.

Avec la première révolution industrielle, à partir du XIXe siècle, les entreprises multinationales jouent un rôle croissant qui prendra tout son relief durant la seconde moitié du XXe siècle. La première grande vague de mondialisation est intervenue entre 1850 et 1880. Elle a donné lieu à la création de grandes entreprises commerciales et de transports. Au début du vingtième siècle, les firmes pétrolières s’internationalisent rapidement. Après la Seconde Guerre Mondiale, les multinationales sont avant tout américaines et critiquées en tant que telles. Ce n’est qu’à partir des années 70, qu’un nombre croissant d’entreprises européennes puis japonaises intègrent le club. Au début du XXIe siècle, des entreprises chinoises et coréennes deviennent également des multinationales. Selon le classement des 500 premières entreprises mondiales de Forbes, les pays émergents en comptent plus de 50 en 2016 contre 19 en 1990.

La deuxième vague de la mondialisation s’est traduite par l’arrivée de nouveaux groupes de taille mondiale aux modes de production différents de celui qui avait cours au XXe siècle. Apple, Google, Amazon, Facebook ou Microsoft n’obéissent pas aux mêmes règles qu’Exxon, ATT, General Electric, General Motors ou Schlumberger. Les nouveaux géants exploitent l’éclatement des chaines de production. Ils sont tout à la fois des acteurs mondiaux et hors sol. Un groupe comme Total est contraint d’avoir des puits de pétrole dans de nombreux pays, des sites de stockage, des moyens de transports, de réseaux de distribution, des points de vente. La mondialisation permet des rendements d’échelle et une diversification des risques. Elle suppose d’importants investissements et la création d’emplois en nombre dans les lieux d’implantation. Pour les nouveaux secteurs d’activité, la production est mondiale par nature. Apple pour ses Smartphone fait appel à des sous-traitants aux quatre coins de la planète. Facebook, Twitter, Uber, Airbnb réalisent des bénéfices grâce au travail bénévoles ou rémunérés de leurs adhérents qui habitent dans un grand nombre de pays. L’important pour ces firmes est de disposer d’un effet masse le plus rapidement possible.

La mondialisation est financière, économique et culturelle mais aussi juridique et fiscale. Les nouveaux géants du Net, par la nature même de leur activité et du fait de leur puissance économique, ont optimisé à l’échelle mondiale leur situation fiscale et juridique. Les GAFA ont des capitalisations boursières qui dépassent le PIB de nombreux pays. Ainsi, la valeur d’Apple équivaut à 50 % du PIB français. Les réserves financières de cette entreprise sont proches du montant du budget de l’État.

Les grandes multinationales américaines se sont imposées dans la quasi-totalité des pays dans un temps beaucoup plus court que celui qui fut nécessaire aux entreprises de la vieille économie pour obtenir un résultat inférieur. Google réussit le tour de force d’avoir un taux de pénétration des marchés supérieur en Europe à celui constaté sur le marché américain. Seuls quelques pays résistent pour des raisons idéologiques ou culturelles. Figurent dans cette catégorie, la Chine, la Corée du Nord, l’Iran et, dans une moindre mesure, la Russie.

La Chine qui compte plus de 700 millions d’Internautes censure régulièrement les sites américains comme Facebook, Twitter ou YouTube. Les autorités favorisent ainsi les sites chinois qui conquièrent de parts de marché en Asie. Aliexpress et Alibaba sont les plus grandes places de marché chinois. Ils jouent le rôle d’Amazon. Créée en 1999 par Tencent, QQ est une messagerie instantanée avec une fonction vidéo sur le modèle de Skype. C’est le 2ème réseau social le plus fréquenté au monde juste derrière Facebook. WeChat développé par le groupe Tencent compte 600 millions de membres. Il s’agit avant tout d’une application de messagerie instantanée pour téléphone portable. Pour pénétrer le marché chinois, les marques occidentales, se doivent être présentes sur cette application. De même, Sina Weibo créé en 2009 (qui correspond à Twitter et à Facebook) rencontre un succès grandissant. Il en est de même pour le site Tencent Weibo. Youku Tudou s’apparente au site YouTube. Il s’agit d’un site d’hébergement de vidéos en ligne. Cette plateforme est la première en Chine pour le partage des vidéos.

La Chine, deuxième puissance démographique et économique mondiale, premier exportateur mondial, a comme caractéristique de ne pas être une démocratie. Jusque dans les années 80, il était communément admis qu’économie de marché, croissance économique rimaient avec démocratie, libre entreprise, libre échange et droits de propriété. Certains pays émergents et, en premier lieu la Chine, ont prouvé l’inverse ces quarante dernières années.

La Chine n’a pas totalement la même conception de l’entreprise que les pays occidentaux. Le concept de capitalisme d’État renvoie non pas au sens de la propriété mais au rapport que les entreprises entretiennent vis-à-vis du pays dont elles sont issues. Ce concept s’oppose à celui du capitalisme d’entreprise où le financement, les modes d’organisation et de gouvernance s’affranchissent des structures étatiques. En Chine, si les entreprises étrangères peuvent y investir, c’est dans le cadre de co-entreprise associant des intérêts chinois. Les dirigeants de ce pays sont des organisateurs puissants du capitalisme. La libre circulation des capitaux, des hommes et des femmes est loin d’y être totale. En Occident, les entreprises ont conquis d’importants espaces de liberté au point de remettre en cause la prééminence des pouvoirs publics. Au sein des pays avancés, de nombreux pans de l’économie ont été soustraits à la décision politique pour être confiés à des instances administratives indépendantes, à des régulateurs. La politique monétaire a été en grande partie indépendante car les pressions émanant des élus étaient jugées contraire à l’intérêt de la monnaie.

Par le jeu des alternances, de plus en plus fréquentes, les responsables politiques disposent de marges de manœuvre plus faibles qu’auparavant. Face à des dirigeants d’entreprises dont la durée des mandats est supérieure aux leurs, les politiques peuvent être en situation de faiblesse d’autant plus qu’en une trentaine d’années, le poids des multinationales s’est renforcé. Aux États-Unis, en vertu des lois antitrust (Sherman Act et Clayton Act), la Standard Oil, Alcoa, ATT furent éclater en plusieurs structures. En revanche, depuis les années 70, les géants de l’informatique ont réussi à passer entre les mailles du filet que ce soit IBM, Microsoft ou Alphabet (Google).

La puissance des nouvelles entreprises est telle que les États acceptent l’idée d’accord ou de partenariat avec elles. L’idée n’est plus de condamner ou d’empêcher certaines de leurs pratiques jugées amorales mais de trouver des compromis. Ainsi, Alphabet peut concéder l’idée de financer un fonds pour la presse écrite afin d’indemniser en partie les dégâts qu’il occasionne dans ce secteur. De même, les GAFA sont prêts à négocier afin d’éviter des sanctions fiscales susceptibles d’être appliquées pour dissimulation d’une partie des bénéfices. Les États, en position de faiblesse, essaient tout à la fois de plaire aux nouveaux géants des NTIC afin de les attirer sur leur territoire tout en essayant de maîtriser autant que possible les fuites fiscales.

L’hyper-entreprise qui remplace l’hégémonie étatique entend organiser son secteur d’activité, ses solidarités. Au niveau des valeurs, les entreprises issues de la mondialisation se veulent pragmatiques. Elles s’adaptent aux pays dans lesquelles elles évoluent, ce qui peut créer des tensions avec les autorités de leur pays d’origine. Entre capitalisme d’État et capitalisme d’entreprise, les frontières ne sont pas étanches ni figées. Les grandes entreprises demeurent bien souvent attachées à leur État d’origine. Ni Microsoft, ni Alphabet, ni Apple n’ont quitté leur région d’origine. Bien souvent, elles sont associées aux programmes de recherche publique. Le marché domestique reste toujours la clef de la réussite. Si l’Europe est à la peine en matière de NTIC, cela est la conséquence d’une unification inachevée de son marché intérieur. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication ont abouti à la montée en puissance de multinationales qui, du fait de leur activité, sont moins dépendantes de leur base nationale d’origine que leurs devancières. Cet affranchissement de toute sujétion nationale qui concerne essentiellement les firmes occidentales est-il réel ou relatif ? Par ailleurs, le renouveau du nationalisme politique et économique n’est-il pas sans incidence sur le rapport de force qui peut exister entre les États et les firmes multinationales ?

Une bataille est engagée au sein même des pays occidentaux entre les autorités et les entreprises. Donald Trump dont la fortune provient de la vieille économie entend imposer aux géants du Net une vision plus nationale du monde. Sa réforme fiscale vise à ainsi à rapatrier aux États-Unis près de 2 000 milliards de dollars de profits réalisés à l'étranger par des firmes américaines. Le Président américain a déjà mis sur le compte de sa réforme la décision d'Apple, la première capitalisation boursière mondiale, d'investir 350 milliards de dollars en cinq ans aux États-Unis. L’Europe entend également réagir. Ainsi, Pierre Moscovici, le Commissaire aux Affaires économiques et financières de l'UE, a annoncé qu’il présenterait, à la fin du mois de mars, une réforme ambitieuse et globale de la fiscalité du Net pour que les géants du net qui réalisent plus de 750 millions de chiffre d'affaires, puissent payer des impôts là où ils créent de la valeur. Le commissaire entend parvenir à un mécanisme qui permettra d'« identifier l'activité des entreprises numériques, il faut qu'on trouve un faisceau d'indicateurs, le nombre de clics, le nombre d'adresses IP, la publicité qu'elle paie, le chiffre d'affaires éventuellement... et ensuite on va trouver des mécanismes pour les taxer ». Le commissaire européen vise les GAFA, mais aussi des entreprises du secteur du tourisme comme Airbnb ou encore Booking.com.

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