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Laetitia Avia : "Laurent Wauquiez veut séduire les électeurs du Front National alors qu’à La République En Marche, nous essayons de les comprendre"
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Entretien politique

La députée et déléguée nationale de La République en marche chargée de la communication revient pour Atlantico sur l'action du gouvernement, qui a connu une semaine chargée, et le positionnement du parti, vis-à-vis des Français et de l'opposition.

Laetitia Avia

Laetitia Avia

Laetitia Avia est députée de la 8e circonscription de Paris et Déléguée nationale de La République en marche chargée de la communication.

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Atlantico : Visite en Corse d'Emmanuel Macron, plan de Gérard Collomb pour la police de sécurité du quotidien, réforme de l'apprentissage, la semaine a encore été chargée pour le gouvernement. Bilan : des intentions globales ou une fermeté généralement salués mais des effets ou une ambition encore assez limités pour les réformes en question. Pensez-vous qu'au moment où les sondages fléchissent un peu le gouvernement ait besoin de muscler son discours politique afin de se faire entendre ? Faut-il qu'Edouard Philippe sorte un peu de la technique et/ou qu'Emmanuel Macron reprenne la parole face aux Français ?

Laetitia Avia : Tout d'abord, je pense que l'action du gouvernement ne doit pas évoluer en fonction des sondages. Ce n'est pas ainsi qu'on transforme le pays. Aujourd'hui, toutes les mesures que nous avons mises en œuvre et toutes celles que nous allons mettre en œuvre reposent sur de la concertation et la recherche d'un équilibre, parce qu'il ne s'agit pas de faire des promesses qu'on ne peut pas réaliser. Il y a de latechnicité c'est vrai, mais elle est nécessaire et utile pour que l'ensemble de ce que nous portons soit suffisamment équilibré et solide pour pouvoir être mené. Les prises de paroles d'Emmanuel Macron sont des éléments nécessaires pour donner le cap ; il l'a fait déjà plusieurs fois et il sera certainement amené à le refaire à l’avenir. Mais ce sont ensuite nos ministres qui portent des mesures concrètes.

Vous citez l’exemple de la police de proximité. Il y a des moyens humains et financiers derrière l’annonce du plan, la fin des tâches indues – aujourd'hui nos forces de l'ordre s'occupent quand même des procurations ! – la simplification des procédures, des quartiers déterminés comme prioritaires, auxquels on allouera plus d'effectifs. Tout cela, c'est du concret.

Vous évoquiez la réforme de l'apprentissage. Là encore on a aujourd'hui un énorme gâchis : on forme ceux qui sont déjà formés. Ce sont 34 milliards d'euros qui sont investis dans l'apprentissage et dans la formation professionnelle aujourd'hui avec peu de résultats. Nous proposons des investissements beaucoup plus ciblés, et une reforme qui change profondément la formation professionnelle.

Je pense qu'il faut garder le rythme. Ce que je retiens aussi des sondages, c'est que les Français, qu'ils soutiennent ou non l'action du gouvernement apprécient la détermination et le rythme des mesures.C'est pour cela qu'à mon sens il faut continuer.

Au-delà des enjeux d'ancrage local que vous avez constaté, les arguments définis en réunion de groupe font référence à la radicalisation des Républicains contre laquelle LREM se pose en rempart. Est-ce que ça ne ressemble pas furieusement aux arguments employés par la gauche et le PS depuis les années Mitterrand pour disqualifier la droite sans aller sur le fond ?

Vous faites références aux élections partielles. Nos conclusions ne sont pas des arguments, mais bien une réalité, sur des élémentsqui concernent spécifiquement le fond. Il s’agissait de deux élections où on a constatéun report de voix du Front National vers les Républicains. Pourquoi ? Parce que Laurent Wauquiez a un discours, des objectifs et une politique qui parlent aux électeurs du Front National.

Laurent Wauquiez le dit lui-même : il ne fera pas d'alliance avec les élus du Front National. En revanche, il compte séduire les électeurs du Front National, là où nous, La République En Marche, nous ne nions pas leur existence – loin de là – mais nous essayons de les comprendre. Comprendre leur déception, leur colère, pour faire en sorte que le Front National ne soit plus une alternative crédible aux prochaines élections. Pour cela, il faut aussi veiller à ce que les idées véhiculées par leFront National ne soient plus une alternative crédible, et ce quel que soit le parti politique qui porteraitcesidées.

Vous êtes la porte-parole de LREM et l'une de celles qui défendent le plus le "Et droite Et Gauche". On comprend aisément que les chicaneries politiciennes et les affrontements stériles entre une droite et une gauche surjouant les affrontements pour mieux gouverner de manière très similaire aient été rejetés par les Français mais croyez-vous vraiment que le remplacement des clivages par une simple prétention à la bonne gestion soit tenable ? La droite et la gauche, le conservatisme et le progressisme, le libéralisme ou l'approche plus collectiviste sont aussi des boussoles dans un monde qui change très vite : ne craignez-vous pas de vous heurter à un essoufflement de LREM faute d'être capable de penser "philosophiquement" le monde de demain ? Comment selon vous l'éviter ?

Je pense tout d'abord qu'il est important que la sphère politique ne soit pas déconnectée de la réalité. Personnellement, je ne me suis jamais reconnue dans ce clivage gauche-droite. Je pense que beaucoup de français sont ainsi. Il ne s'agit pas juste de fonctionner par pragmatisme : il s'agit de chercher les meilleures solutions pour transformer notre pays et notamment notre modèle économique et social. Il y a de bonnes idées qui ont été portées par des élus et des politiques de gauche comme des politiques de droite.

Il ne s'agit pas d'un opportunisme politique comme certains on pu le présenter, mais d’une réelle volonté de trouver les meilleurs leviers pour agir. Et on peut les trouver à gauche comme à droite, j'y crois profondémentcar c'est mon identité : je n'étais ni de droite ni de gauche, je suis En Marche.

Cela ne signifie pas que le clivage gauche-droite n'existe plus, mais qu'il ne s'agit plus de la première grille de lecture. Et que ce ne sera plus le cas au regard de la recomposition de l'espace politique que nous connaissons aujourdhui.

On a des extrêmes, à notre gauche comme à notre droite, avec comme je vous le disais tout à l'heure un discours d'extrême-droite qui se recompose (quand j'entends le discours de Laurent Wauquiez sur l’immigration, sur la préférence nationale et sur l'Europe, j'observe un discours très radicalisé à droite). Mais il y aussi un espace à droite, des personnes qui ne se reconnaissent ni chezWauquiez, ni dans notre vision. Et c'est la même chose à gauche. Ces deux entités doivent se reconstruire,C'est pour l'instant loin d'être le cas, mais nous verrons ce qui se passera dans les prochaines années.

Au sein de la République En Marche, au-delà de ce que nous avons déjà fait dans la construction de notre programme – ce qui est tout de même exceptionnel en un an et demi – il nous faut aujourd'hui construire et alimenter une doctrine progressiste sur le long terme.

La République En Marche porte et devra toujours porter le renouvellement. Le renouvellement, ce n'est pas juste des nouveaux visages, une féminisation ou un rajeunissement de l'Assemblée, ce sont de nouvelles pratiques et de nouvelles idées. Ce qu'est "être En Marche" aujourd'hui n'est pas forcément ce que sera être "En Marche" dans 5, 10, 15 ou 20 ans. Cela aussi fera partie de la réussite de notre modèle.

Que répondez-vous à ces Français qui ont l'impression que LREM répond en priorité non pas tant aux problèmes de riches qu'aux demandes politiques des gagnants de la mondialisation et/ou de l'économie de la matière grise et de l'ouverture en oubliant les autres ? Les sondages montrent qu'une majorité de Français ne croient pas que la politique économique du gouvernement soit efficace ni qu'elle permette de réduire les inégalités, que dire à la France qui a un problème de pouvoir d'achat et pensez-vous que ce gouvernement l'écoute assez ou fasse preuve d'assez d'empathie ?

La toute première chose, c'est que votre question peut donner l'impression que le gouvernement est aux mains des lobbys et c'est vraiment quelque chose contre lequel je tiens à me porter en faux : ni le gouvernement, ni les parlementaires ne travaillent pour les lobbys.

Ensuite, la mondialisation est là. Je pense qu'il faut s'en emparer et non pas la subir. Il faut œuvrer pour que chaque Français puisse se saisir de la mondialisation et y trouver son bénéfice.

Par ailleurs, je comprends le scepticisme qu'il peut y avoir vis-à-vis de la politique menée par le gouvernement. Mais c'est la manifestation concrète de l'éloignement entre la sphère politique et nos concitoyens qui ne croient plus en la politique, en la réalisation des programmes, en la sincérité des hommes et femmes politiques.

Il y a un vrai problème de perception des mesures que nous portons en matière de pouvoir d’achat, nous le savons. Aujourd'hui, 21 millions de Français bénéficient d'une augmentation de salaire nette grâce à ce que nous avons voté dans le budget 2018 (la suppression des cotisations salariales). C'est une réalité, mais qui n'est pas ressentie comme telle. Et j'ai envie de dire tans pis. Ce qui compte c'est que cela soit fait. Ce qui compte, c'est qu'à la fin du mois, ceux qui travaillent aient quelques dizaines d'euros en plus. Et tant pis si on ne nous attribue pas le bénéfice de l'augmentation du pouvoir d'achat. Le plus important, c'est qu'elle soit là.

En revanche, je refuse d'entendre que nous ne menons pas une politique vis-à-vis des plus démunis, parce que c'est notre priorité. C'est le cas lorsque nous augmentons le minimum vieillesse, l'allocation adulte handicapé ou encore la taxe d'habitation. D’ici la fin du quinquennat ce sera l'équivalent d'un treizième mois pour une personne au SMIC.  Cela fait partie de nos priorités en matière d'éducation aussi. Le dédoublement des classes de CP en REP et REP +, c'est œuvrer pour une véritable égalité des chances, parce que ceux qui sortent du système scolaire sans savoir lire, écrire et compter correctement se retrouvent ensuite en marge de la société.Nous favorisons aussi la formation professionnelle pour ceux qui ont été déscolarisés. Il y a également le programme "devoirs faits", parce que oui, quand on est dans certains quartiers, on ne peut pas compter sur ces parents ou ses proches pour suivre son travail à la maison. C'est un ensemble de mesures qui sont destinées aux plus démunis et qui font partie intégrante de notre politique.

La fin de la semaine a été marquée par la polémique concernant Nicolas Hulot. L'article de l'Ebdo a été largement critiqué après sa parution pour son absence totale d'éléments factuels concluants, sans revenir sur cette affaire déjà largement surmédiatisée, n'y-a-t-il pas une contradiction pour le gouvernement à soutenir sans réserve Gérald Darmanin ou le ministre de l'écologie quand dans le même temps Mme Schiappa n'a pas hésité à mettre tout son poids dans l'accompagnement du #BalanceTonPorc au risque de s'immiscer dans des histoires particulières où les accusés n'ont pas eu droit aux mêmes précautions quant au respect de la présomption d'innocence ? Comment lutter contre les violences faites aux femmes et contre les abus de pouvoir sans donner l'impression d'une morale ou d'une sévérité à géométrie variable ?

Il y avait vraiment une grande nécessité dans notre société, qu'on a pu percevoir cet automne avec le #BalanceTonPorc et le #Meetoo, de libérerla parole des femmes. Mais l’idée n’est pas que les réseaux sociaux ou la presse deviennent des tribunaux et viennent se substituer aux institutions judiciaires, mais que cette libération de la parole s’accompagne d’unelibération de l'écoute. C'est exactement le même phénomène que celui qu'on avait découvert il y a quelques années avec les "frotteurs" dans les transports :à partir du moment où il a été dit que 100% des femmes ont été victimes d'une agression dans les transports, plus personne ne pouvait nier ce fait– même si pour ma part, étant une femme, je le voyais déjà tous les jours. Et bien c'est pareil aujourd'hui. Plus une seule personne dans notre société peut dire désormais qu'elle n'est pas au courant de l'existence de ces comportements. C'était un mal nécessaire. Mais il est maintenant essentiel que les suites reviennent dans le circuit institutionnel et donc dans une judiciarisation, avec la prise en compte que celles qui libèrent cette parole sont des victimes présumées. Et j’insiste sur le terme "présumées" car il n’y a pas de "victimes" sans coupables.

La loi sur les violences sexistes et sexuelles sera prochainement présentée. J'ai travaillé sur la définition et la sanction de l'outrage sexiste, du harcèlement de rue :l'espace publique doit être un espace neutre pour les hommes comme pour les femmes.

Le Président de la République a par ailleurs proposéun certain nombre de mesures pour simplifier ce que j'appellerai un "parcours de la combattante" que doit affronter la victime présumée de violences. C'est quelque chose d'extrêmement éprouvant pour elles.Il est proposé de pouvoir faire une déposition dès la prise en charge à l’hôpital sans devoir nécessairement réitérer cette déposition. Il est aussi proposé de pourvoir procéder au pré-dépôt d'une plainte en ligne. Il y a certainement bien d'autres choses à faire. Il fautaccompagner lalibération de la parole des femmes et surtout ne pas favoriser son déploiement dans l'espace médiatique ou dans les réseaux sociaux.

Les centristes de l'UDI qui peinaient à trouver un espace politique semblent décider à jouer la carte de la défense de l'autonomie des collectivités locales ainsi que celle de la décentralisation, face à un Emmanuel Macron dont nombres d'élus territoriaux ressentent la tendance à la recentralisation et à la verticalité et à la concentration du pouvoir, cela vous inquiète-t-il ?

Absolument pas ! On est vraiment face à un discours et une posture politique. Et ce sans avoir en face des propositions qui seraient contradictoires vis-à-vis ce que le gouvernement propose. Le Président de la République n'est pas dans une concentration à outrance, au contraire. Il a notamment rappelé lors du congrès des maires qu’il est en faveur des expérimentations et du renforcement de celles-ci pour permettre de répondre aux différentes spécificités des territoires.

Aujourd'hui, ces expérimentations ne peuvent pas être pérennisées. Il faut réfléchir à des évolutions en ce senscar pourquoi mettre un terme à une expérience fructueuse au bout de trois ans?

Je comprends la stratégie de l'UDI, c'est un petit peu la même que celle de Laurent Wauquiez qui martèletous les quatre phrasesle mot CSG pour conquérir l'électorat des personnes retraitées alors qu’il soutenait un candidat voulant augmenter la TVA. L'UDI sait très bien que les collectivités locales n'étaient pas forcément favorables à la suppression de la taxe d'habitation, notamment parce que cela implique pour elle de devoir rationaliser leurs coûts de devoir se réorganiser. C'est donc bien entendu un discours pour essayer de les séduire.

En tant que nouvelle députée, sur quoi se jouera selon vous votre réélection et que souhaiteriez-vous avoir pu réaliser à titre personnel pendant cette législature ?

J'ai un objectif avant tout, qui est le travail. Il faut lutter contre le chômage, et une fois qu'on a un travail, en vivre dignement. C'est ce dont les Français ont envie aujourd'hui.

La seconde chose, c'est de lutter contre l'abstention. Cela passe par maintenir ce qu'on fait maintenant, et faire ce qu'on a dit qu'on ferait. C'est nécessaire à la restauration de la confiance en la sphère politique.

A partir du moment où on aura tenu nos promesses et réduit le taux d'abstention et je pourrai considérer que notre mission est accomplie. Et alors peut-être qu'on aura plus besoin de moi et que je n'aurai pas besoin de me représenter.

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