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Et droite et gauche, euh.... : et si LREM n’était finalement qu’un PS assumant enfin la nature qui était profondément la sienne depuis 1983 ?
©Reuters

Retour aux sources

Le mouvement présidentiel ne serait-il qu'un parti socialiste qui assumerait son virage social-libéral, tout en en gardant les structures de pensée d'antan ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

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Atlantico : Suite au mauvais résultat de LREM aux élections législatives partielles de ce 4 février, remportées par LR, le journal Le Monde révélait la stratégie du parti d'Emmanuel Macron face à son opposant. « L’idée est donc de mettre en garde les électeurs de gauche contre ‘une droite en voie de radicalisation’ ». En quoi cette stratégie rappelle-t-elle celle du PS à l'égard du Front national ?

Christophe Boutin : Reprenons si vous le voulez bien ces différents éléments. Le premier d’entre eux est la victoire de LR dans deux législatives partielles. Relativisons les choses : d’abord en tenant compte du fort taux d’abstention ; ensuite en notant que nous ne sommes plus dans la situation des législatives de 2017, où, avec l’effet d’entraînement de la présidentielle, la vague LREM a permis d’élire des candidats quasiment incapables de s’exprimer, dont le programme politique se résumait à la récitation d’un argumentaire type, et qui avaient pour seule légitimité d’apparaître sur un photomontage à côté du nouveau président. Mais, même avec ces correctifs, il est vrai que LR a réussi à gagner des partielles dans lesquelles LREM s’était investi, avec déplacement de figures nationales, ce qui peut sembler une défaite pour ce dernier parti.

Selon le journal que vous citez, la stratégie de LREM consisterait donc à agiter le spectre du retour de la droite pour éviter un vote de la gauche se portant sur d’autres candidats au premier tour mais, surtout, ne se reportant pas sur LREM – en l’état actuel des forces politiques, quasi-assuré d’y être présent – au second. Reste pour cela à éviter de paraître soi-même « de droite » aux yeux des électeurs de gauche, à éviter un abstentionnisme de second tour rappelant la fameuse formule du PC refusant en 1969 de choisir entre « bonnet blanc et blanc bonnet ».

Or Emmanuel Macron maintient un discours économique largement mondialiste et libéral, et entend présenter un discours ferme sur l’immigration. Il faut donc que la « vraie » droite soit suffisamment odieuse aux yeux des électeurs de gauche pour qu’il puisse les faire revenir, et présenter LR, ou tout au moins son président et sa garde rapprochée, comme se « radicalisant », c’est-à-dire intégrant dans leur discours des éléments de celui du FN et donc diabolisés, peut effectivement conduire à ce résultat.

Mais, « en même temps », si on ose écrire, cette attaque contre une « radicalisation » de Wauquiez permet aussi de continuer d’enfoncer le coin entre les deux éléments qui composent encore LR, à savoir, de manière schématique, sa frange gaullo-bonapartiste héritée du RPR et sa frange européo-orléaniste héritée de l’UDF.

La stratégie mitterrandienne du PS à l’égard du FN avait un autre but. Il s’agissait de faire monter électoralement le FN, d’abord, pour ensuite geler les voix qu’il recueillait en interdisant moralement à la droite RPR-UDF toute alliance avec lui, lors des élections comme pour la direction des collectivités locales. De ce côté, le système fonctionne toujours : Laurent Wauquiez, ne serait-ce que pour exister politiquement, incapable de s’allier au FN, tant à cause des diktats moraux de la gauche que de la double crainte d’une scission de LR d’abord, puis d’une dilution ce ceux qui suivraient ce ralliement dans un parti qui ne serait plus le leur, qu’il s’agisse d’intégration ou seulement des conséquences pratiques des collaborations, a rappelé qu’il refuserait toute alliance avec le FN. Il lui reste donc à tenter ce que Nicolas Sarkozy avait réussi en 2005, le siphonage d’une partie des électeurs du FN, mais outre que ces derniers, échaudés justement par l’expérience de 2005, sont sans doute devenus plus méfiants, le « durcissement » induit de son discours conforte la thèse de sa « radicalisation »… et ramène les électeurs de gauche chez LREM au second tour. Situation bien délicate !

Edouard Husson : Portons le regard froid de l'historien. Nous avons déjà dur recul. Vous rappelez-vous comment, il y a un an, les médias étaient déchaînés contre François Fillon? A-t-il été convoqué devant la justice un an plus tard? Que reprochait-on à Fillon? Son goût de l'argent! Pour en faire, dans un imaginaire français un peu simpliste mais qui semble faire son effet régulièrement, un homme "de droite", avide au gain etc.... Et d'ailleurs ne s'agissait-il pas de verrouiller la dénonciation de l'homme de droite qu'il semblait être dans tous les domaines: sa scandaleuse russophilie, son indulgence coupable pour La Manif pour Tous? Emmanuel Macron a superbement utilisé ces circonstances pour dresser de lui-même l'image d'un homme du centre, réconciliateur des deux France, loin des outrances de Fillon qui, non seulement n'était pas fréquentable personnellement mais surtout idéologiquement. Et une partie de l'état-major des Républicains a suivi le lynchage de Fillon tandis que l'autre s'abstenait de le soutenir. Vu de Grande-Bretagne ou d'Allemagne, on se demande comment un parti peut jouer à ce point contre ses intérêts; avoir aussi peu d'instinct de survie. Mais on est en France, pays de la Révolution, où la gauche conquiert le pouvoir régulièrement grâce aux divisions de la droite. Evidemment qu'Emmanuel Macron est de gauche, une gauche individualiste qui est toujours la gauche originelle. Et Macron a fait ce que fait toujours la gauche pour gagner: présenter d'elle-même un visage modéré. Alors que la droite, pour gagner, doit faire le contraire, s'assumer comme "droite".  

De la même façon, certaines prises de positions, notamment sur les questions de bioéthiques, peuvent laisser penser que LREM ne serait qu'un PS qui assumerait son virage social-libéral, tout en en gardant les structures de pensée d'antan. Quelles sont les autres stigmates montrant LREM comme une réincarnation du PS délesté de ses tensions fratricides passées ? En déclarant sur Twitter : « Macron battu dans les deux élections partielles. L'ancienne droite bat la nouvelle droite », Jean-Luc Mélenchon ne commet-il pas une erreur d'analyse, la soi-disant « nouvelle droite » n'est-elle pas simplement l'ancienne gauche ?

Edouard Husson : Mélenchon nous refait le coup de la dénonciation des "sociaux-traitres", aussi vieux que la révolution, jacobine ou bolchevique. Mais Macron ne partage, en fait, pas grand-chose avec la droite. Il est porteur, et c'est très respectable, de la grande passion individualiste qui anime régulièrement l'Occident. Macron est le Tony Blair français. Quand je lis les inquiétudes exprimées par le journal "La Vie", je me demande si c'est de la naïveté ou du cynisme. Il suffisait d'écouter attentivement Emmanuel Macron pendant sa campagne pour comprendre qu'il adhérait à l'idée d'une série de réformes de société absolument radicales. Qu'il ait louvoyé pour ne pas perdre trop d'électeurs démocrates-chrétiens, c'est normal, mais qui pouvait en être dupe? Etre chrétien dans le monde d'aujourd'hui, c'est voir dans l'être humain une personne, irréductible à toute manipulation, et non un simple individu; c'est penser que la personne ne peut s'épanouir que dans des cellules sociales fondées sur une norme éthique, à commencer par la famille; c'est refuser de penser que l'avortement soit la seule issue à la détresse d'une femme qui n' a pas choisi d'être enceinte; c'est refuser la procréation artificielle sous toutes ses formes etc....J'ai du mal à comprendre comment on peut, du point de vue du chrétien, découvrir avec étonnement que Macron ne partage pas vos convictions. On peut avoir jugé qu'entre Macron et Marine Le Pen, le premier était le moindre mal et donc voter pour lui au second tour, mais fallait-il pour autant se faire des illusions?

Christophe Boutin : On connaît le génie de la formule de Jean-Luc Mélenchon, motivé ici par la nécessité de défendre la place qu’il prétend être la sienne sur l’échiquier politique. S’il veut incarner « la gauche », il importe que le parti positionné sur sa droite ne soit pas une autre gauche, différente dans ses méthodes mais profondément de gauche sur ses principes, mais une « nouvelle droite ».

Pour autant, rien dans LREM n’est de droite. Qu’il s’agisse du culte de l’individu-roi, de celui du Progrès, du mythe de « l’ouverture », de son libéralisme économique volontiers financier et toujours mondialisé, de l’abandon de souveraineté prôné au profit d’intérêts économiques supranationaux ou d’une Union européenne fédérale présentée comme un nécessaire accomplissement, rien de cela n’est véritablement de droite. S’il y a des points communs à trouver, c’est avec une pensée libérale et européiste qui a un temps été présentée comme étant de droite, quand elle était au mieux du centre, et dont les meilleurs représentants, quand ils n’ont pas déjà rejoint LREM, ou ne se posent pas en « constructifs », se demandent maintenant ouvertement si, en 2019, ils ne feront pas liste commune avec LREM pour accompagner l’évolution de l’UE.

Ce qui est certain par contre, comme vous le signalez très justement, c’est que LREM a « ringardisé » la gauche PS, ses courants et ses motions, ses anciens agitateurs lycéens ou étudiants devenus des sénateurs repus, ses compromissions d’arrière-boutique avec le monde de l’argent. Mais soyons clair, cette « ringardisation » vaut aussi pour une droite perdue dans ses jeux d’appareil et ses divisions internes.

Les Français font la même demande, que l’on relève dans tous les sondages de ces dernières années : ils veulent de l’autorité, des décisions, un leader, et c’est cette image qu’offre Emmanuel Macron. Les choses ne changeront que lorsque l’éventuel hiatus entre cette image de chef et le peu d’effectivité des décisions prises, le peu d’impact sur les questions qui préoccupent le plus les Français, là encore sondage après sondage, sécurité, immigration ou chômage, apparaîtra flagrant.

En calquant ainsi la nouvelle offre politique française sur ses anciennes structures, n'est-il pas raisonnable d'imaginer un « retour à la normale » plaçant LREM sur les vestiges du PS, face à une droite retrouvée ? La "diabolisation" de Laurent Wauqiez n'est-elle pas un moyen d'éviter ce retour au monde d'avant ?

Christophe Boutin : Encore une fois, LREM ne remplace pas le PS, il va bien au-delà. Il apporte – ou semble apporter – une nouvelle approche de la politique qui a certes récupéré bien des électeurs du PS mais a aussi conquis une partie non négligeable du centre. Et son installation sur les ruines du PS, ou son incontestable ancrage dans les principes même de la pensée de gauche, ne suffiront pas à faire mécaniquement ressurgir une droite. Car pour Laurent Wauquiez, « diabolisé » ou pas, la question reste celle de l’espace politique qui est encore le sien, entre FN à droite et LREM à gauche – on nous fera grâce du Modem et de quelques autres groupuscules centristes.

Sur ce point, vos questions sont intéressantes en ce que vous semblez penser qu’une « diabolisation » de Wauquiez interdirait le retour d’une « droite retrouvée ». Mais la « droite retrouvée » peut-elle (et doit-elle) être le retour à un UMP mêlant Ciotti et Raffarin, Juppé et Balladur, ou ne doit-on pas définitivement acter sa mort clinique ? Plutôt que de retrouver cette droite-là, ne convient-il pas d’affirmer le retour aux fondamentaux et aux valeurs de la droite : la nation, les communautés que sont la famille ou les collectivités territoriales, quand elles ont une réalité et ne sont pas de simples constructions technocratiques, la méfiance envers certains pouvoirs économiques s’affranchissant de toute tutelle et de tout contrôle, le respect des différences entre les individus comme entre les groupes, la primauté de la liberté – ou des libertés – sur l’égalité – ou l’égalitarisme, la défense des identités, une solidarité basée sur l’équité, la protection des héritages, matériel, culturel ou écologique ?

Face à un Emmanuel Macron qui, il le martèle depuis son arrivée au pouvoir, prétend incarner la nouveauté contre l’immobilisme et l’ouverture contre la sclérose, face à cette idéologie du Progrès, la réponse peut être celle de ce retour au réel que porte la pensée conservatrice. Un retour au réel qui sera nécessairement « diabolisé », sans doute, mais qui est aussi une demande des Français, et qui le sera plus encore au fur et à mesure que la déconnection entre un certain discours ambiant politico-médiatique et la réalité vécue au quotidien par les citoyens apparaîtra plus grande.

Bref, le « monde d’avant » n’est plus, ne reviendra pas – et l’on peut se demander s’il faut vraiment le regretter – et la « diabolisation » de Laurent Wauquiez est peut être un des points de passage obligés de la naissance d’un monde nouveau.

Edouard Husson : La situation est plus complexe qu'un simple réalignement à gauche. Historiquement, la gauche promeut l'individualisme, générateur d'inégalités. Pour échapper à ses propres contradictions, puisqu'elle est préoccupée de justice sociale, elle invente alors une dialectique de type marxiste, dont il faut bien constater que, philosophiquement, ça tient peu la route mais que des générations y ont adhéré comme à une croyance: la révolution individualiste est nécessaire car elle dissout les structures d'oppression et elle fait place nette pour une politique de justice sociale qui vient dans un second temps. Macron aura-t-il le temps et les moyens politiques de se réinventer comme fondateur d'un nouveau pacte social? Pour l'instant, il semble continuer dans la voie qui lui a permis de gagner en 2017: occuper le centre-droit pour éviter que surgisse un nouveau sarkozysme.Il est bien vrai que Wauquiez, pour l'instant, ne fait pas le poids. Il veut parler à la France périphérique mais ça fait très intello, sa façon de s'y prendre. Il annonce qu'on va enfin retrouver une vraie droite mais il se fixe aussitôt des lignes rouges, comme si Juppé pouvait encore faire peur à qui que ce soit. Macron, ou ses lieutenants, ont bien raison de dire à leurs troupes de dénoncer le tigre. Si c'était un vrai tigre, ça le renforcerait. Mais comme il est de papier, il n'y a pas à craindre que le peuple se mette à le chevaucher; et dans ce jeu d'ombres qu'est devenue la politique au sein des classes sociales les plus aisées, il est assez facile de faire croire au retour de la "bête immonde". A long terme, je ne suis pas sûr que la configuration actuelle soit tenable: Wauquiez devra cesser de jouer à l'homme de droite et le devenir vraiment s'il veut survivre politiquement. Et Macron devra trouver un moyen de rassembler toute la gauche. Tenant les leviers du pouvoir, Macron peut penser qu'il lui suffit de continuer à tenir le centre-droit pour ne pas être mis en danger politiquement. Et que la gauche de la gauche le rejoindra toujours si l'adversaire est Wauquiez ou Dupont-Aignan ou Marine Le Pen - l'alliance probable étant seulement entre deux des trois. Une telle stratégie est fragile car la situation économique est précaire, l'UE est en train de perdre sa boussole allemande et ce si jeune président a été jusqu'ici admiré, craint mais rarement aimé.

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