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Ce redoutable piège qui se cache derrière la question de la co-officialité de la langue corse
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Stratégie à la catalane

Gilles Simeoni a déclaré que sans la co-officialité de la langue corse et française, la langue corse disparaîtrait. Et avec elle une véritable arme politique pour les nationalistes.

Jean-Michel Verne

Jean-Michel Verne

Jean-Michel Verne collabore à Paris-Match, La Tribune de Genève et a récemment publié Main basse sur Marseille… et la Corse (Nouveau Monde éditions).

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Atlantico : Parmi les revendications prioritaires votées par l'Assemblée de Corse, et notamment soutenues par les nationalistes, celle qui concerne la co-officialité des langues corse française a été rejetée par Emmanuel Macron.  En Catalogne, la co-officialité existe depuis vingt ans, et a fortement participée au développement du nationalisme. Ne faut-il pas considérer que le Président a raison de l'écarter, la mesure étant propice à un scénario à la catalane ?

Jean-Michel Verne : Bien entendu. La langue corse est une arme. Si cette arme était effectivement donnée de cette façon aux mains des nationalistes cela pourrait avoir des effets pervers sur l’île de Beauté.

Une anecdote que l'on m'a racontée récemment disait que dans une classe les élèves avaient décidé de "faire grève" car leur professeur de mathématiques ne parlait pas le corse. On est dans ce type de configuration. C'est un problème car la langue qui doit être un facteur d'assimilation peut devenir un facteur d'exclusion. Mal utilisée cette arme peut donc s’avérer dangereuse. 

Gilles Simeoni a affirmé que "sans la co-officialité, la langue corse disparaitra". N'est-ce pas un peu excessif ?

Il y a des versions différentes. Aujourd'hui beaucoup prônent la position qui consiste à dire que le corse est en train de disparaître. Il y a quelques jours je discutais cependant avec Pierre Poggioli, un ancien responsable du FLNC, devenu chercheur et universitaire reconnu. Et selon lui, le corse est en train de renaître au sein de la jeunesse. 

Contrairement à ce qu’affirme Gilles Simeoni, le mouvement serait déjà en route et n'aurait donc pas forcément besoin de la co-officialité. On pourrait envisager une politique plus active de défense de la langue sans cette institutionnalisation. Il est déjà singulier de se balader sur une partie du territoire de la République Française sur des routes où les panneaux sont badigeonnés en corse pour masquer le nom francisé et perdre les touristes qui cherchent leur chemin. Ce climat n'est pas sain. La langue corse devient un simple outil politique de propagande.

La Constitution corse de 1755 était écrite en italien, et les standards du corse contemporain n'ont souvent que peu à voir avec celui jadis parlé dans les villages par les grands-parents. Certains critiquent une certaine « artificialité » de cette langue corse que l’on voudrait officielle...

De quel corse parle-t-on ? Le corse officiel que l'on entend sur France 3 Via Stella n'est pas forcément celui qui était parlé il y a 30 ou 40 ans dans les villages du centre de l'île. Nous avons créé une langue qui finalement n'existe pas vraiment. J'aimerai avoir l'avis d'un linguiste sur cette question, mais c'est une réalité qui s'exprime clairement sur l'île. Ce qui est paradoxal c'est qu'en voulant officialiser le corse nous sommes peut-être en train de le réduire, car il n'y a pas un mais bien « des corses » en fonction des microrégions .

Est-ce que cette question du corse ce n'est pas un marqueur fort d'une rupture générationnelle entre une population âgée qui serait plus républicaine et qui parle le corse tel qu'appris avec ses grands-parents et une génération plus jeune et plus nationaliste qui parle le corse "officiel" fabriqué en moins de cinquante ans à Corte et enseigné par des professeurs très engagés ? 

On peut effectivement se poser la question, il y a des signes qui vont dans ce sens. Mais de toute façon tout cela n’est que l'arbre qui cache la forêt. La forêt c'est aujourd'hui la situation socio-économique de la Corse marquée par deux choses. D'abord la concentration économique autour de pôles urbains et péri-urbains. La disparition des villages,  la mondialisation, l'ultralibéralisme qui se manifeste ici comme ailleurs par la construction de centres commerciaux dantesques (le dernier en date étant à Ajaccio). On notera d'ailleurs la présence de Talamoni et Simeoni à l'inauguration de « l’Atrium »  qui fut diversement commentée.  Certes les capitaux sont corses. Cela  dynamise l'économie de l'île tout comme  la reprise de la SNCM devenue Corsica Linea. Un exemple de réussite.

Il est vrai qu'il y a un dynamisme entrepreneurial corse qui est florissant en ce moment. Il le sera d'autant plus que la Corse  se dégagera de la tutelle économique de Paris. Le patron de Corsica Ferries interviewé dans la Tribune de Genève me disait que le problème de la Corse est que l'on subventionne des secteurs économiques intrinsèquement rentables. Tout cela peut être détricoté. Je crois que l'on assiste à un tournant de l'économie corse qui est conjoint à l'évolution politique. C'est bien plus stratégique que des débats assez stériles sur la langue.

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