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Journée mondiale de lutte contre le cancer : ceux qui tuent le plus en France restent le poumon, le pancréas et l’estomac mais sont-ils ceux sur lesquels nous investissons le plus ?
©Reuters

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Selon les chiffres publiés au Royaume-Uni, il apparaît que les cancers de la prostate provoqueraient plus de décès que le cancer du sein, les premiers tendant à augmenter, les seconds à diminuer.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Selon les chiffres publiés au Royaume-Uni, il apparaît que les cancers de la prostate provoqueraient plus de décès que le cancer du sein, les premiers tendant à augmenter, les seconds à diminuer. En est-il de même en France ? Quels sont les cancers les plus meurtriers en France, et quelles sont les évolutions des taux de mortalité selon les différents types ?

Stéphane Gayet :Derrière ce titre accrocheur, « Le cancer de la prostate est à présent un plus grand tueur que le cancer du sein », se cache une réalité plus nuancée. La population du Royaume-Uni (un peu moins de 66 millions d’habitants) et celle de la France (67 millions) sont très proches, ce qui facilite grandement les comparaisons. Les données chiffrées publiées au Royaume-Uni montrent que le nombre annuel de décès par cancer de la prostate (11 800) vient tout juste de dépasser celui de décès par cancer du sein (11 400). On voit qu’ils sont pratiquement à égalité, ces chiffres n’ayant pas la précision que l’on pourrait croire.
Le cancer du sein est médiatisé depuis des décennies. Les campagnes d’information à destination du grand public et les actions, tant de dépistage (examens systématiques pratiqués à intervalles réguliers) que de détection précoce (diagnostic posé à l’occasion de signes ou symptômes discrets), ont permis d’atteindre un bon niveau de performance en matière de diagnostic de ce cancer. Évidemment, il persiste des retards de diagnostic, souvent attribuables à une négligence ; il en résulte alors un retard de prise en charge thérapeutique et par conséquent une perte de chance. Mais lorsque le diagnostic est suffisamment précoce, les possibilités et les méthodes actuelles de traitement ont transformé le pronostic de ce cancer, en dépit de l’existence de formes très évolutives d’emblée et de son génie évolutif très particulier.
Il en est autrement du cancer de la prostate. Survenant plus tard dans la vie, situé en profondeur, inaccessible à la vue et à la palpation par le sujet – du moins chez la grande majorité des hommes, longtemps silencieux et donc sans retentissement sur la miction ni la sexualité, il est découvert plus ou moins tardivement. Depuis le début de la tendance à systématiser, à partir de l’âge de 50 ans, le dosage sanguin de l’antigène spécifique de la prostate (prostatic specific antigen ou PSA), qui est une protéine sécrétée normalement par la prostate, on a fait beaucoup plus de diagnostics précoces de cancer prostatique. En fait, la concentration sanguine de PSA - qui est une protéine normale -  s’élève également en cas de prostatite (inflammation d’origine infectieuse) et d’hyperplasie ou adénome (augmentation non cancéreuse du volume de la prostate). Mais le diagnostic positif du cancer de la prostate débutant n’est pas simple et on a tendance à le diagnostiquer en excès (lire à ce sujet : http://www.atlantico.fr/node/3218702). Du reste, la Haute autorité de santé (HAS) a pris position en s’opposant au dépistage systématique – dit « de masse » - du cancer de la prostate par dosage sanguin du PSA. Toutefois, cet excès de diagnostics a eu au moins le mérite de contribuer à contrôler la mortalité par cancer prostatique. C’est cependant nettement plus vrai en France (environ 8 200 décès par an par cancer de la prostate) qu’au Royaume-Uni (environ 11 800 comme nous l’avons vu). Il faut rappeler ici que le système de santé français est fondamentalement différent du National health service anglais (NHS) : il est notoirement plus performant, mais manifestement moins efficient, économiquement parlant. Ainsi, en France, le cancer du sein continue à tuer (11900 décès par an) plus que le cancer de la prostate (8200 décès par an).
Étant donné que certains cancers meurtriers sont liés au sexe (sein, utérus, prostate) et que les habitudes de vie favorisant les cancers diffèrent d’un sexe à l’autre, les statistiques sont présentées à la fois pour chaque sexe et tous sexes confondus.
Chez l’homme, le cancer du poumon occupe toujours la première place des nombres de décès par cancer, loin devant le cancer du côlon ou du rectum et celui de la prostate. Les décès par cancer du foie occupent la quatrième place ; il faut rappeler à ce sujet que le cancer primitif du foie est le plus souvent d’origine toxique (avec au premier rang l’alcool) ou bien virale (virus de l’hépatite B et virus de l’hépatite C) et que le cancer secondaire du foie (métastases hépatiques) peut hélas venir compliquer gravement beaucoup de cancers primitifs.
Chez la femme, le cancer du sein est toujours en tête des nombres de décès par cancer, mais il est suivi de près par le cancer du poumon, devant le cancer du côlon ou du rectum. Mais chez les femmes âgées de 50 à 74 ans, c’est cette fois le cancer du poumon qui occupe la première place des décès par cancer, étant donné que le cancer du sein tue moins dans cette tranche d’âge.
S’agissant de l’évolution de la mortalité par cancer en France, on peut retenir quelques tendances. Bien entendu, l’évolution de la mortalité par cancer est liée à celle du nombre de nouveaux cas ou incidence.
Concernant le cancer du sein, il existe une légère augmentation de l’incidence et donc de la mortalité. Une tendance similaire est retrouvée en Belgique et aux États-Unis.
Chez les hommes, une baisse de l’incidence et donc de la mortalité de la plupart des cancers liés à la consommation de tabac et d’alcool se poursuit, du fait de la diminution de ces consommations. Ces principaux cancers sont ceux du poumon (cancer bronchique), du foie, du rein, de la vessie, de l’œsophage, du larynx et de la langue (liste incomplète).
Chez les femmes, bien que l’incidence et donc la mortalité du cancer du poumon restent très inférieures à celle des hommes, l’augmentation de l’incidence et de la mortalité des cancers associés à la consommation tabagique est très préoccupante. Car, tandis que le tabagisme a considérablement diminué chez l’homme, on a assisté à une augmentation du tabagisme chez la femme et plus marquée après l’âge de 45 ans.
En ce qui concerne le cancer du pancréas, il existe une augmentation importante du nombre de nouveaux cas (incidence) dans les deux sexes et par voie de conséquence de la mortalité (c’est un cancer de mauvais pronostic). Il faut souligner que la France se singularise ici, car son incidence reste relativement stable dans la plupart des autres pays industrialisés. Les facteurs de risque de ce cancer sont, soit établis (tabac, surpoids et obésité, diabète, facteurs génétiques) soit suspectés (consommation d’alcool à haute dose).
Enfin, concernant le cancer du côlon ou du rectum, il existe depuis plusieurs années une augmentation de nombre de nouveaux cas (incidence) dans les deux sexes, mais celle de la mortalité est sensiblement plus faible chez la femme que chez l’homme.

Comparativement à cette létalité des différents cancers, quels sont les efforts consacrés par la recherche ? Existe-t-il des anomalies entre la létalité et les efforts selon les différents cancers ? Quels sont ceux qui pourraient être considérés comme les parents pauvres de la recherche au regard de cette comparaison ?

Les efforts consacrés par la recherche pour lutter contre un cancer dépendent de la prévalence de ce cancer (nombre total de cas chez des personnes en vie), de son âge de survenue, de sa gravité, des possibilités de mise au point de thérapeutiques efficaces et acceptables, ainsi que des perspectives de commercialisation et de rentabilisation de ces dernières (s’agissant de la recherche privée).
Une publication britannique avance que les sommes dépensées pour la recherche sur le cancer du sein seraient plus du double de celles investies pour la recherche sur le cancer de la prostate, en dépit de nombres de décès très proches pour ces deux cancers.
En réalité, il est difficile de parler des efforts financiers effectués pour la recherche contre le cancer d’une façon générale. Car la recherche scientifique publique (Institut national de la santé et de la recherche médicale ou INSERM, universités…) est principalement axée sur la compréhension de la cancérogenèse (mécanismes de survenue des cancers) et de celle de la faillite des défenses immunitaires pour s’y opposer, tandis que la recherche biomédicale publique ou privée porte surtout sur la mise au point de nouveaux instruments chirurgicaux et appareils de radiologie (imagerie médicale) pour le diagnostic et le traitement curatif des cancers, alors que la recherche privée effectuée par les laboratoires pharmaceutiques s’oriente essentiellement vers la mise au point de médicaments anticancéreux de différents types (certains s’opposent aux divisions cellulaires, d’autres interagissent avec le système immunitaire…).
Les cancers liés au système hormonal ou endocrinien (sein, utérus, prostate, thyroïde) et ceux liés à une infection virale (foie, col de l’utérus, certains lymphomes…) font partie de ceux qui suscitent le plus d’espoir en matière de recherche pharmaceutique. C’est le cas également des hémopathies malignes en général (leucémies et autres). Ils sont donc naturellement les cancers qui provoquent le plus d’intérêt pour les chercheurs, notamment ceux du secteur privé. Les cancers de l’enfant, bien que rares, déclenchent beaucoup d’émotion et génèrent des dons en direction de la recherche. Mais les cancers touchant surtout les personnes d’âge mûr ou avancé et ceux liés à des intoxications volontaires (tabac, alcool) aspirent naturellement moins de subventions.
En somme, on ne peut pas vraiment parler de cancers qui seraient des parents pauvres de la recherche. Les cibles de la recherche évoluent constamment en fonction de l’épidémiologie et de l’apparition de nouvelles connaissances. L’opposition qui est faite au Royaume-Uni entre le financement de la recherche en direction du cancer de la prostate et celle en direction du cancer du sein n’est pas juste : le cancer du sein est plus grave que celui de la prostate et touche des personnes plus jeunes. L’évolution de certains cancers du sein est particulièrement dramatique.

En cette journée mondiale contre le cancer, quelles sont aujourd'hui les priorités ?

Le cancer d’une façon générale est une maladie très actuelle. Ses causes sont multiples et un cancer donné n’a jamais une seule cause. Le traitement d’un cancer est presque constamment à la fois douloureux, invalidant et souvent mutilant, accablant psychologiquement et très coûteux pour la société ainsi que – pour d’autres pays que la France – pour l’individu.
Les priorités en matière de cancer sont avant tout la prévention, ainsi que le dépistage et la détection très précoce permettant un diagnostic avec les meilleures chances de succès. Concernant les méthodes de prévention, elles ont énormément progressé. Elles s’adressent aux habitudes alimentaires et comportementales. Il faut insister sur le fait qu’adopter une hygiène de vie n’a rien à voir avec une vie austère et ascétique. Ce n’est nullement une vie de privations et encore moins de sacrifices. Les excès peu fréquents peuvent se concevoir. Les méthodes de prévention fondent également beaucoup d’espoir sur la mise au point de vaccins, comme celui contre l’hépatite virale de type B (cancer du foie), celui contre l’infection à papillomavirus (cancer du col utérin) et d’autres, attendus. La prévention, c’est encore la suppression totale du tabagisme et une consommation aussi parcimonieuse que possible d’alcool. C’est enfin la lutte contre le surpoids et l’adoption d’une faible consommation de sucres ainsi que celle d’une activité physique régulière.

Mais la recherche doit bien sûr mettre l’accent sur les cancers de l’enfant qui, bien que rares, sont particulièrement accablants ; de plus, leur compréhension et leurs possibilités thérapeutiques sont forcément utiles à la recherche en direction des cancers de l’adulte.

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