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Salaires et temps de travail, les salariés allemands se rebiffent : la bonne nouvelle pour le reste de l’Europe… et la mauvaise
©Daniel Reinhardt / dpa / AFP

Changement

Depuis quelques jours, les salariés de l'emblématique syndicat allemand IG Metall ont été appelés à débrayer, phénomène rare dans le pays, pour obtenir 6% d'augmentation de salaires et la possibilité de passer à des semaines de 28 heures.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Atlantico : "Augmentez les salaires, baissez le temps de travail !". Depuis quelques jours, les salariés de l'emblématique syndicat allemand IG Metall ont été appelés à débrayer, phénomène rare dans le pays, pour obtenir satisfaction. Soit 6% d'augmentation de salaires et la possibilité de passer à des semaines de 28 heures. Dans quelle mesure une demande d'augmentation de salaire peut apparaître légitime dans un pays "réputé" pour sa modération salariale ? A l'inverse, peut on considérer que le choix de semaines à 28 heures est en contradiction avec le défi démographique du pays ? 

Eric Verhaeghe : ​Je crois qu'il faut un peu nuancer les points de vue sur ce dossier, et mettre entre guillemets le préjugé français répandu selon lequel les salariés allemands se serreraient la ceinture pour assurer la prospérité de leur pays! C'est en effet une opinion qui court les rues selon laquelle les salariés allemands se seraient appauvris pour enrichir leur économie. Les faits démentent cette idée reçue. Ainsi, l'IG Metall a obtenu 5,6% d'augmentation sur 20 mois en 2013. En 2015, un accord régional avait prévu une augmentation de plus de 3,5%. En 2016, les régions rhénanes ont obtenu près de 5% d'augmentation sur 2 ans. Les salaires de la métallurgie en Allemagne progressent donc plus vite qu'ailleurs depuis la crise de 2009. Il ne faut surtout pas oublier que la métallurgie allemande bénéficie d'une compétitivité hors coût qui lui permet de vendre, même avec des déterminants du prix en hausse raisonnable. De ce point de vue, les grèves en Allemagne dans ce secteur ne paraissent pas déraisonnables économiquement.

Pour le reste, les métallurgistes allemands sont fidèles à leur tradition de baisse du temps de travail. Rappelons que chez Volkswagen, la durée hebdomadaire peut tomber à l'équivalent d'un mi-temps français. Les Allemands n'ont pas le culte de la durée du travail. Ils peuvent se permettre cette facilité notamment du fait d'une organisation internationale du travail qui leur apporte de la main-d'oeuvre européenne. Dans le monde industriel, le sujet démographique ne se pose donc pas dans les mêmes termes que dans le secteur agricole, par exemple, où le recours à du travail détaché peu payé est beaucoup plus fréquent. 

Ne peut on pas également s'interroger sur les demandes de hausse de salaires du plus puissant syndicat du pays, représentant un secteur porteur en Allemagne ? Les salariés les plus concernés par la modération salariale ne sont ils pas justement ceux qui ne sont pas représentés par ce mouvement ? 

​Effectivement, la métallurgie n'est pas le secteur qui souffre le plus en Allemagne, bien au contraire. C'est un fleuron, fort exportateur, particulièrement névralgique dans le commerce extérieur du pays. À bon droit, d'ailleurs, les salariés du secteur peuvent considérer qu'ils jouent un rôle fondamental dans la prospérité nationale. Leurs revendications ne sont donc pas inspirées par la misère d'un prolétariat exploité qui aurait besoin d'instaurer une dictature pour lutter contre la spoliation qui l'étrangle. On n'en dira pas autant des salariés des autres secteurs qui aspirent à un peu plus de justice sociale. C'est particulièrement vrai dans les secteurs où la concurrence des travailleurs détachés européens est forte. On a évoqué plus haut la filière agricole, où les fermiers allemands n'hésitent pas à employer des Polonais ou des Roumains payés à moins de dix euros de l'heure. Dans l'artisanat, on compte aussi des travailleurs salariés ou non qui sont soumis à de fortes pressions sur les prix. Ceux-là ne donnent pas de la voix, pour une raison simple: le syndicalisme défend prioritairement les insiders. Ceux qui sont soumis à la concurrence ont moins de disponibilité et de marge de manoeuvre pour revendiquer. 

Retrouve-t-on un phénomène analogue en France ou "ceux qui en ont le plus besoin" sont en réalité les moins représentés ? 

​Le syndicalisme français n'échappe pas à cette tendance qui consiste à défendre en priorité les insiders et à exclure les outsiders. D'où une faible prise en compte des salariés les plus en difficulté. On vise ici les chômeurs, qui constituent la principale masse d'actifs en France, et qui sont très peu défendus par des organisations - ils ne bénéficient en tout cas d'aucune organisation représentative légalement pour les défendre. Mais on peut aussi évoquer les précaires en tous genres, qui n'ont généralement voix au chapitre que lorsque les entreprises les légitiment. On pense aux intermittents du spectacle, qui peuvent s'exprimer d'abord parce que de nombreux acteurs économiques du secteur y ont intérêt. Pour le reste, les saisonniers, les intérimaires, les CDD sont généralement écartés de l'action syndicale. Pour une raison simple: la revendication sociale vise d'abord à protéger les "in" et à fragiliser la concurrence des "out". On l'a vu dans les mouvements contre Uber: ceux-ci ne visaient pas à apporter une amélioration de la situation des chauffeurs, mais au contraire à les empêcher d'exercer leur activité pour protéger les acquis sociaux des acteurs les plus mûrs du marché. 

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