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N'en déplaise à Emmanuel Terray 
et Rue 89, les peurs de la droite 
sont aussi légitimes 
que celles de la gauche
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Bouh !

Selon l'anthropologue Emmanuel Terray "être de droite, c’est avoir peur". Pour la philosophe Chantal Delsol, la peur est bonne conseillère, et nécessaire pour permettre le développement de connaissances et d’exigences morales.

Chantal Delsol

Chantal Delsol

Chantal Delsol est journaliste, philosophe,  écrivain, et historienne des idées politiques.

 

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"Etre de droite, c’est avoir peur". C'est en tout cas ce qu'affirme l'anthropologue Emmanuel Terray dans une récente interview accordée à Rue89, pour la sortie de son dernier livre Penser à droite.

Le lecteur sera peut-être étonné, mais je ne conteste pas cette affirmation sommaire. Faut-il encore l’expliquer - parce qu’elle est lapidaire, mais surtout, parce qu’elle se veut un jugement - avoir peur, c’est louche, c’est le début de la discrimination !

Dans son livre L’éthique de responsabilité, Hans Jonas propose aux modernes l’idée d’une heuristique de la peur. Il s’agit de répondre aux défis écologiques et aux questions de la sauvegarde de la nature et de la terre. La peur, dit-il, est bonne conseillère, et même elle est une source morale (et il est vrai que l’indignation, assez proche, se trouve à l’origine des sentiments moraux). La peur peut permettre le développement de connaissances et d’exigences morales : ainsi de ces craintes que nous nourrissons pour la planète, et qui suscitent chez nous la conscience des limites au-delà desquelles nous ne devons pas faire n’importe quoi.

On ne peut pas dire, et loin s’en faut, que Hans Jonas serait un auteur de droite. Et justement, nous voyons tout un chœur d’auteurs de gauche qui, à propos de cette fameuse heuristique de la peur, font chorus pour louer la valeur de la peur au regard de la protection future de la planète.

Hé bien, je dirais que nous autres gens de droite utilisons l’heuristique de la peur en ce qui concerne l’homme. Nous pensons qu’on ne peut pas faire n’importe quoi avec l’homme, nous savons que décrire les limites que l’on peut enfreindre est très difficile, et donc nous comptons sur la peur. Seulement quand c’est la gauche qui a peur, c’est chic et c’est vertueux, tandis que quand la droite a peur, c’est prolo et c’est fasciste ! Il y a aussi qu’avoir peur pour la terre, c’est classe ! Tandis qu’avoir peur pour l’homme, c’est réactionnaire !

Peu importe. Nous y tenons. Nous n’avons pas envie de légitimer des sociétés qui font n’importe quoi avec l’homme. Comme il existe une écologie de la nature à respecter, il existe aussi une écologie humaine. Car enfin : l’homme serait-il le seul être de la nature à n’avoir pas de maison - oikos ? Autrement dit : à n’avoir pas d’environnement spécifique, pas de définition, pas de limite pour son devenir ? Il nous faudrait donc protéger la Nature en gros et en détail, de l’animal à la montagne, en respectant ses modes d’être, mais pour l’homme, il n’y aurait aucun mode d’être, nous pourrions au gré de notre volonté le refaire, le briser, le tordre, le rafistoler ?

Après l’effrayant XX° siècle, au cours duquel tout était possible, nous nous rendons compte, parce qu’effrayés, que nous avons dû déranger un ordre. Mais lequel ? Nous ne le savons pas. Ainsi va-t-on chercher la peur comme seule alerte du danger.  On ferait bien de ne pas ridiculiser la peur : en l’absence désormais de croyances communes sur les raisons et les fins, il ne reste plus pour tracer les limites que cette appréhension instinctive et constructive, dont parlait Jonas.

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