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JO 2024 oui, Exposition universelle 2025 non. Comment expliquer ce bien mauvais choix du gouvernement ?
©Reuters

Hasardeux

Edouard Philippe a pris la décision de retirer la candidature tricolore pourtant déposée par l’Etat en septembre avec le soutien d’Emmanuel Macron. Un choix qui fait débat... et qui s'inscrit dans une longue litanie des renoncements français.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Edouard Philippe a pu annoncer le retrait de la candidature française à l'Exposition Universelle de 2025 : "J'ai décidé de ne pas donner suite à la candidature de la France à l'exposition universelle, qui sera retirée", tout en pointant les "faiblesses structurelles" du dossier et en les liant à la problématique posée par le "redressement de nos finances publiques", et ce, alors que le projet ne reposait pas sur des financements publics. Comment interpréter ce retrait français alors que la France organisera les Jeux Olympiques de 2024 ? Que révèle cet arbitrage ?

Edouard Husson : Il y a un précédent. En juillet 1983, le gouvernement avait annoncé que la France renonçait à accueillir l’exposition universelle de 1989. A l’époque, il y avait deux facteurs: d’une part Jacques Chirac, s’ébrouant comme toujours dans la petite politique, avait décidé d’embêter Mitterrand, président de la République, et mis son veto à l’organisation de l’Exposition dans Paris. Une proposition de transfert du projet à Marne-la-Vallée échoua cependant du fait d’un deuxième veto, celui de Bercy: la France avait pris le tournant de la « rigueur » au nom de la stabilisation du franc et de l’alignement sur l’Allemagne. Jacques Delors s’était chargé d’enterrer le projet. Un air de déjà-vu. L’émotion et la réprobation, à l’époque, avaient été très semblables à ce que nous observons aujourd’hui. En ce qui concerne le projet d’exposition de 2025, il est évident que l’argument des « faiblesses structurelles » du dossier ne tient pas: qui veut noyer son chien l’accuse de la rage. Il tient d’autant moins que le projet de 2018, à la différence de celui de 1983, a été pensé en pouvant se passer de l’argent public. Il s’appuyait, bien entendu, sur un grand projet national, le développement du plateau de Saclay et de son université. Pour cela, il fallait que les nouveaux moyens de transport soient en place. Mais les finances publiques ne permettent pas d’avoir fini à temps. Un exemple de plus dans la longue litanie des renoncements français depuis que le pays a tourné le dos au pragmatisme monétaire anglo-saxon pour adopter le dogmatisme allemand.

Le député En Marche, Cedric Villani s'était engagé dans ce projet en indiquant notamment que le choix du site du pôle scientifique de Saclay "symbolise les deux faces du projet basé sur le savoir et la préservation de notre planète, si fragile". Au regard de ces arguments, ne peut-on pas considérer que ce choix va en contradiction avec les "valeurs" que souhaite porter Emmanuel Macron, et ce, alors même que le Président s'était engagé lui-même sur ce projet ? 

C’est l’un des aspects les plus terribles de cette démission des pouvoirs publics. Nicolas Sarkozy a lancé, en 2009, l’un des plus beaux chantiers nationaux: l’organisation et le développement des forces de recherche, d’enseignement et d’innovation sur le plateau de Saclay. Le pays a les moyens de faire émerger une université qui se situe dans les vingt meilleures du monde à cet endroit. 5 milliards ont déjà été investis. L’université en formation est en train de se battre pour obtenir définitivement le label « initiative d’excellence » décerné par un jury international. Notre pays a les moyens de faire la course en tête dans l’économie de la connaissance et de la créativité. Et Cédric Villani, élu député du Plateau de Saclay, portait cet espoir multiple. Alors, oui, il y a un décalage énorme entre l’ambition affichée, de faire du pays un géant de l’industrie 4.0 et la soumission, finalement, à une politique monétaire, budgétaire, qui relève du XXè siècle, qui est à contresens de l’histoire. La Chine a fait de l’Exposition de Shanghai un énorme tremplin. On nous ramène la fréquentation décevante de l’Exposition Universelle de Milan, en 2015; mais les retombées positives ont été considérables: alors qu’elle est elle-même asphyxiée par l’absurde politique monétaire à laquelle une partie de l’Europe se soumet, l’Italie a puisé dans l’exposition, une nouvelle énergie: l’événement est contemporain du grand mouvement de relocalisation que connaissent la Lombardie et le Piémont. On avance aussi le fait que les expositions universelles sont d’une autre époque, qu’il faut miser aujourd’hui sur des événements récurrents et spécialisés comme le CES de Las Vegas. Je constate surtout qu’on renonce à l’Exposition Universelle mais non aux Jeux Olympiques, gabegie financière, mise en scène du dopage universalisé et version moderne du « panem et circenses ».

Quels sont les secteurs qui avaient le plus à espérer d'un tel projet ? A quoi renonce la France en renonçant à l'exposition universelle ? 

Nous sommes au début d’un grand mouvement de relocalisation de l’industrie, j’y faisais allusion à propos de l’Italie du Nord. Mais c’est un mouvement que la France connaît aussi depuis quelques années. Plus on avance dans la troisième révolution industrielle, plus le processus de fabrication est automatisé mais plus il dépend, aussi, de la valeur ajoutée en amont (conception complexe) et en aval (suivi de clientèles de plus en plus précisément ciblées); l’intérêt d’une entreprise est de regrouper l’ensemble de ses activités dans un espace territorial resserré, pour pouvoir tenir les deux bouts de la chaîne et s’adapter rapidement, grâce à une main d’oeuvre hautement qualifiée. La France avait l’occasion de montrer son savoir-faire; de mettre en valeur ses capacités d’innovation, de faire connaître ses start-ups mais aussi la mutation de ses grandes entreprises installées sur le plateau de Saclay ou ailleurs sur le territoire. L’innovation mondiale vit de mythes mobilisateurs, dont la Silicon Valley est le plus célèbre. Eh bien, nous avions l’occasion de faire connaître universellement Saclay. Les retombées auraient été immenses et durables. Non! L’argumentation avancée pour tuer le projet d’exposition ne tient pas une minute. Elle est celle d’un pays qui renonce. La République a porté, au XIXè et au XXè siècle une grande ambition scientifique. L’abandon de la science et de l’innovation est un mauvais coup porté au rayonnement de la France.

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