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Le mystère de ces gens qui deviennent soudainement des génies
©Flickr/IsaacMao

Bon plan ?

Plusieurs personnes ont développé des facultés scientifiques ou artistiques exceptionnelles après un traumatisme crânien.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico : Un article de la BBC (lire ici) décrit des cas de personnes ayant développé des facultés scientifiques ou artistiques exceptionnelles après un traumatisme crânien. Comment expliquer de tels changements de capacité cognitive aussi soudains ?

Stéphane Gayet : La première chose à préciser est qu’il s’agit dans tous les cas d’un traumatisme crânien grave qui provoque des lésions assez sévères d’une ou de plusieurs parties du cerveau. Il faut insister sur ce point : ces personnes ont des séquelles cérébrales non négligeables de leur accident. Ce qui signifie qu’elles en conservent des déficits neuropsychiques. Sur ce fond de lésions post-traumatiques avérées, peuvent apparaître de façon tout à fait inattendue de nouvelles facultés neuropsychiques. Dans de très rares cas, ces nouvelles facultés neuropsychiques sont assez exceptionnelles.

Elles concernent plus les domaines artistiques (musique, dessin, peinture, créativité…) que les domaines logiques (calcul, géométrie, analyse…). Parmi les cas cités dans la littérature, on peut retenir les suivants : un adolescent est devenu capable de jouer de plusieurs instruments de musique sans y avoir jamais été formé ; un jeune homme s’est transformé en virtuose du piano alors qu’il ne jouait pas de cet instrument auparavant ; un chirurgien s’est métamorphosé en compositeur et donne des concerts ; un garçon âgé de 10 ans a acquis une mémoire phénoménale des événements ; un ancien vendeur de meubles est devenu capable de dessiner des figures géométriques complexes et de résoudre des équations mathématiques.

Cette évolution spectaculaire post-traumatique est appelée « syndrome du savant acquis », par opposition au « syndrome du savant (congénital) » qui concerne des enfants ayant un don remarquable et même exceptionnel dans un domaine, contrastant avec des déficits neuropsychiques dans d’autres domaines.Il faut évoquer le film « Rain man » sorti en 1989 et qui concerne un autiste doué de facultés tout à fait hors du commun.DaroldTreffert est un psychiatre américain qui a particulièrement étudié les cas d’autiste doué de génie et qui s’est ensuite intéressé aux cas de « syndrome du savant acquis ».

Dans le syndrome du savant acquis, on considère que les dégâts cérébraux provoqués par le traumatisme crânien (sévère) entraînent la libération massive de neuromédiateurs (substances chimiques assurant la transmission de l’influx nerveux d’un neurone à un autre). C’est la destruction des neurones touchés par l’accident, associée à une augmentation phénoménale de la concentration du milieu interstitiel (liquide dans lequel baignent les cellules) en neuromédiateurs, qui serait à l’origine d’un remaniement cérébral exceptionnel (création de très nombreuses connexions nouvelles). Ce remaniement cérébral résultant du stress post-traumatique aurait pour conséquence l’activation de zones cérébrales normalement dormantes, car inhibées. Ces cas exceptionnels viennent nous rappeler deux notions essentielles à propos du cerveau : la première est sa sous-utilisation habituelle avec l’existence de nombreuses zones inhibées qui ne s’expriment pas (elles sont inhibées par d’autres zones actives qui sont dominantes) ; la seconde est sa plasticité, c’est-à-dire sa capacité à évoluer en créant de nouvelles connexions (synapses), et cela pratiquement à tout âge.

On peut exprimercette notion de la façon suivante : dans notre cerveau, il y a en permanence des zones actives et des zones dormantes ou inactives, car inhibées. Ces dernières sont inhibées par les zones actives dominantes. Elles le sont, car elles sont considérées comme peu utiles dans un mode de vie dit « normal ». Mais lorsqu’une zone dominante est détruite accidentellement, elle cesse d’inhiber les zones dormantes qu’elle réprimait. Ces zones dormantes se trouvent donc activées et révèlent des facultés tout à fait insoupçonnées, car dormantes. De fait, il faut bien reconnaître que, dans l’ensemble, ces « savants post-traumatiques » acquièrent des facultés, certes prodigieuses, mais bien peu utiles à une existence « normale ». Ce fonctionnement du cerveau avec des zones actives dominantes et des zones dormantes, inhibées par les premières, n’est pas sans nous rappeler le fonctionnement du génome (gènes activateurs, gènes répresseurs et gènes régulateurs).

Il existerait une vingtaine de cas recensés de personnes devenues des génies suite à un traumatisme crânien. Quelle est la proportion d’un tel phénomène parmi les conséquences neurologiques d’un accident comme celui-ci ?

Ce « syndrome du savant acquis » post-traumatique est tout de même rarissime. Vingt ou trente cas décris dans le monde sur plusieurs décennies, cela ne représente pratiquement rien sur le plan statistique. Les traumatismes crâniens sévères sont en effet relativement fréquents : ils sont lacomplication redoutable de graves accidents de sport, de loisirs, de transport et parfois d’accidents professionnels. Il faut leur associer les accidents vasculaires cérébraux hémorragiques qui s’apparent à des traumatismes crâniens. La vérité est que les traumatismes crâniens sévères produisent essentiellement des séquelles neuropsychiques plus ou moins lourdes et que la proportion de ceux qui aboutissent à la libération de facultés exceptionnelles est inférieure à un pour mille. Il ne faut donc pas compter sur un traumatisme crânien pour devenir un génie : c’est le contraire qui se produit dans la très grande majorité des cas, hélas.

Existe-t-il des méthodes, chimiques ou électroniques, dont l’effet sur les capacités mentales est avéré ? Si oui, quels sont les effets secondaires ?

Lorsque l’on a compris que les très rares cas de génie post-traumatique étaient dû à l’activation de zones cérébrales qui sont en temps « normal » inhibées par les zones actives et dominantes, on a essayé de reproduire ce phénomène. Des volontaires sains ont fait l’objet d’une inactivation non invasive et parfaitement réversible de certaines zones actives et dominantes, grâce aux techniques récentes d’imagerie cérébrale fonctionnelle. On a ainsi réussi à désinhiber des zones dormantes, révélant chez ces volontaires sains des aptitudes insoupçonnées. Cette expérimentation américaine tend donc à accréditer la thèse des zones cérébrales préexistantes au traumatisme, mais inhibées dans un fonctionnement cérébral dit « normal ». Il faut bien comprendre que ces très rares cas de génie post-traumatique sont des situations « anormales », marginales, au cours desquelles un être humain se trouve subitement doté de facultés, certes exceptionnelles, mais qui ne sont pas vraiment d’une grande utilité dans sa vie de tous les jours. Attention : ces cas n’ont rien en commun avec ceux d’enfants à très haut potentiel ou enfants dits « surdoués », dont le cerveau est considéré comme ayant un développement normal, mais avec un niveau très élevé d’aboutissement et par conséquent de performance.

A part ce type d’expérimentation ponctuelle et dont les effets sont parfaitement réversibles, il n’existe pas actuellement de méthode de stimulation électrophysiologique durable du cerveau qui permette de développer des facultés hors du commun. On peut rêver et imaginer dans les années 2050 des casques ressemblant à ceux que portent les cyclistes et permettant d’activer alternativement telle ou telle zone du cerveau en fonction des besoins du moment, et commandés par une ou plusieurs puces électroniques implantées sous la peau. Mais nous n’en sommes pas là.

Actuellement, les possibilités d’augmenter les facultés psychiques sont d’ordre chimique. Toutes les substances psychoactives sont toxiques à court, moyen et long terme, à des degrés divers. Le premier historiquement parlant des désinhibiteurs est sans doute l’alcool éthylique ou éthanol, l’alcool ordinaire. Nombre de poètes ont reconnu qu’ils en avaient besoin pour écrire leur poésie. C’est également le cas d’artistes peintres et de compositeurs de musique. La nicotine de la fumée de tabac est une autre substance psychoactive. Elle procure un sentiment de détente, de relaxation, tout en stimulant l’idéation et favorisant la concentration. Dans les années 50, 60 et 70, une grande proportion d’intellectuels fumait quotidiennement. Faut-il rappeler la toxicité de l’alcool et celle de la fumée de tabac ? Ces deux produits sont addictifs et contribuent à l’altération de la plupart des tissus et organes ; ils favorisent aussi comme on le sait de nombreux cancers. De plus, l’alcool est à l’origine de nombreux accidents par perturbation de l’appréciation objective, de l’équilibre, de la coordination et des réactions.

Du côté des drogues illicites et des substances psychostimulantes médicamenteuses, il faut citer essentiellement la cocaïne et les amphétamines. La cocaïne a été et est encore utilisée par prise nasale chez des artistes et des personnes devant souvent se produire en public, y compris certains enseignants du supérieur paraît-il. Elle est un puissant psychostimulant : elle accélère l’idéation, donne un sentiment de puissance intellectuelle et stimule la créativité ; elle est de plus euphorisante et désinhibante. Elle permet aux personnes qui la consomment de faire des prestations brillantes. De surcroît, elle diminue la sensation de fatigue et la douleur. Mais elle est très coûteuse, illicite et toxique. Comme toutes les drogues, elle est addictive. Elle entraîne des troubles psychiques de type instabilité de l’humeur, anxiété morbide, pertes de mémoire et même délires. Elle également source de perte d’appétit et d’insomnie. En prise nasale, elle provoque des lésions internes du nez, assez caractéristiques.

Les amphétamines ont des effets très proches de ceux de la cocaïne. Elles sont très addictives. En plus des effets secondaires mentionnés pour la cocaïne, leur utilisation prolongée perturbe la personnalité et altère les fonctions intellectuelles. Leur effet désinhibant, défatiguant et coupe-faim est important. Il s’agit de substances médicamenteuses dont les indications psychiatriques sont très strictes et la prescription réglementée comme celle des autres produits stupéfiants à usage médical. Elles se présentent sous la forme de comprimés. Etant donné leur toxicité et leur dangerosité, plusieurs amphétamines médicamenteuses ont été retirées de la pharmacopée après avoir été consommées pendant des années, notamment par des étudiants qui réussissaient à en obtenir. Aujourd’hui, les toxicomanes adeptes des amphétamines parviennent encore à s’en procurer à l’étranger ou sur des sites internet spécialisés se livrant à du commerce illicite et lucratif.

Il faut quand même garder à l’esprit que la meilleure façon d’avoir un cerveau performant est d’adopter une vie saine, avec une alimentation diversifiée, équilibrée et modérée, un sommeil de qualité et un exercice physique régulier. Le café consommé raisonnablement et surtout le matin ou en début d’après-midi stimule surtout l’éveil et un peu l’idéation, et n’a pas de véritable toxicité avérée, au contraire.

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