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L’adolescence s’étend désormais de 10 à 24 ans. C’est en tous cas la thèse défendue par des scientifiques britanniques
©MICHAL CIZEK / AFP

Tous Tanguy ?

Quatre chercheurs ont publié une tribune dans le journal The Lancet appelant à une extension de l'âge que recouvre la période de l'adolescence pour la porter de 19 à 24 ans et en faisant commencer cette période à l'âge de 10 ans.

Claude Martin

Claude Martin

Claude Martin est sociologue, directeur de recherche au CNRS et titulaire de la chaire Social Care - Lien social et santé de l'Ecole des hautes études en santé publique. Il a dirigé Être un bon parent : une injonction contemporaine (Presses de l’EHESP, 2014). Il a aussi publié Accompagner les parents dans leur travail éducatif et de soin (La Documentation française, 2018).

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Atlantico : Quatre chercheurs ont publié une tribune dans le journal The Lancet appelant à une extension de l'âge que recouvre la période de l'adolescence pour la porter de 19 à 24 ans et en faisant commencer cette période à l'âge de 10 ans. Les chercheurs argumentent à la fois sur des critères biologiques (croissance, développement du cerveau…) mais aussi sur des évolutions sociétales comme le recul de  l'âge moyen d'émancipation économique, du mariage ou même de l'obtention du premier enfant. Est-ce que cette nouvelle "définition" de l'adolescence vous semble appropriée ?

Claude Martin : L’idée que la transition vers l’âge adulte est de plus en plus longuea été bien documentée par les sociologues et démographes depuis plusieurs décennies à l’échelle européenne. Ce n’est donc pas vraiment un scoop. On sait par exemple qu’un jeune homme risque en moyenne d’attendrel’âge de 30 ans pour quitter le domicile parental en Europe du Sud, pour des raisons qui tiennent aux conditions économiques et sociales actuelles, dont les effets de la crise financières de 2008-2010, et non pas à l’allongement de son « adolescence ».

Si l’on a inventé la jeunessecomme une étape à part entière du cycle de vie faisant suite à l’adolescence, c’était précisément pour faire de cette transition, de ce basculement, un nouvel âge de la vie à part entière, après l’enfance (1er âge, celui de la socialisation primaire et de l’école), avant l’âge adulte (2ème âge, celui du travail), et bien avant le 3ème âge(conquis de haute lutte comme âge de la retraiteet d’un repos après des années de production).Cette définition des âges de la vie est donc une construction progressive et variable selon les époques et les générations. On pourrait ainsi avancer que l’on est passé d’un cycle de vie à 3 temps après-guerre à une vie à 5 temps aujourd’hui, avec en plus de la jeunesse, un 5ème âge correspondant à l’étape de la vieillesse où l’on perd progressivement son autonomie.

On peut donc se demander ce qu’apporte le fait d’étendre ainsi l’usage de la catégorie de l’adolescence pour couvrir 14 années de l’existence d’un individu.L’adolescence a été conçue par des anthropologues, des psychologues du développement, des psychanalystes, des biologistes, au début du 20ème siècle pour qualifier cette transition souvent très rapide et même parfois brutale dans les sociétés traditionnelles entre l’enfance et l’âge adulte, avec les rites de passage et d’initiation qui marquaient ce changement d’âge. Dans certaines de ces sociétés traditionnelles, ce passage de l’enfance à l’âge adulte pouvait se faire en quelques jours, voire semaines.

Dans les sociétés industrielles contemporaines, l’adolescence est caractérisée par la mutation corporelle et psychique liée à cette étape de la maturité sexuelle. Cette double transformation perturbe les équilibres acquis durant l’enfance et dans la famille. L’adolescence est connue pour complexifierles relations familiales, du fait de ce besoin d’émancipation et de recherche de nouvelles références identitaires, avec la part croissante jouée par le groupe d’âge, la dimension grégaire, les identités multiples, etc. Que la maturité sexuelle se manifeste de plus en plus tôt et qu’elle varie selon le sexe, les classes sociales et les cultures est également un phénomène connue de longue date.Quant à la disparition des dents de sagesse, n’est-ce pas plutôt un phénomène à apprécier sur la très longue durée et allant dans le sens de l’évolution de l’animal humain, et non de la courte durée, celle de l’extension de l’adolescence.

Ce qui caractérise la jeunesse aujourd’hui est précisément la fin d’un modèle de transition où trois événements arrivaient à peu près en même temps : l’accès au travail et à l’indépendance économique, l’accès à un logement indépendant, et enfin, l’accès à la sexualité et à la possibilité d’engendrer et faire famille, Désormais ces trois composantes n’interviennent que rarement au même moment. L’accès à l’emploi est plus tardif et surtout plus précaire, ce qui compromet l’accès à un logement indépendant, voire même la possibilité de se mettre en couple et a fortiori de faire famille.

Le Dr. Jan Macvarish, sociologue de la parentalité en réaction à cette tribune dans un article de Bloomberg pointe du doigt les risques que comporterait cette nouvelle définition comme l'infantilisation du jeune adulte ou la "pathologisation du désir d'indépendance". Ces craintes vous semblent-elles justifiées ?

 Je rejoins ma collègue Jan Macvarish. En effet, qu’apporte ce recours à la biologie dans la discussion ? Au fond, pas grand-chose, si ce n’est une tentative de biomédicaliser cette étape de l’existence dont l’enjeu est clairement beaucoup collectif, générationnel et politique que biologique. Ce qu’il est important de comprendre me semble clairement moins de savoir si la biologie a quelque chose à voir avec le sujet que de saisir l’étape du processus continue de redéfinition politique et sociale des âges de la vie. Il faut éviter de décontextualiser et de décollectiviser.

Est-ce que ce "retard" d'accession à l'âge adulte ne pose pas aussi la question de la capacité donnée aux jeunes adultes de se réaliser, de s'épanouir dans nos sociétés ? 

C’est la principale question. Il est évident que les jeunes adultes préféreraient pouvoir s’émanciper de la dépendance à leurs propres parents, qu’ils préféreraient avoir accès à des emplois, du salaire, et à un logement indépendant. Si on oublie de le rappeler, on pourrait laisser penser que les jeunes d’aujourd’hui trouvent un certain confort dans cette dépendance prolongée, sur le modèle de Tanguy. C’est oublier, d’une part, que le soutien des parents génère et renforce les inégalités économiques et sociales et de l’autre, que la dépendance prolongée est le résultat d’un effet de génération, sans oublier que cette dépendance est aussi une grande source de frustrations pour les jeunes comme pour les parents. Par effet de génération, j’entends que la génération des parents a à la fois bénéficié de la croissance, de l’extension de la protection sociale, du levier de l’école comme ascenseur social, quand aujourd’hui, la nouvelle génération des jeunes adultes vit dans un monde sans croissance où la protection sociale est tendanciellement en repli et où les menaces de déclassement social sont très nettes.

Il est donc important de reposer la discussion sur des bases générationnelles et sociopolitiques.

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