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Les périlleuses tentations d’Alain Juppé (et Emmanuel Macron)
©GEORGES GOBET / AFP

Liaisons dangereuses ?

Dans la lignée de la séquence POP2017, Bruno Cautrès accompagne BVA pour suivre le quinquennat.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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En annonçant, il y a quelques jours, qu’il prenait du recul vis-à-vis de son parti, Alain Juppé n’a pas manqué d’indiquer que cette période de recul lui permettrait d’observer ce qui se passerait sur la question européenne. S’agit-il pour lui de préparer le terrain à un ralliement à la liste que LREM et le Modem conduiront ensemble lors des élections européennes de 2019 ? Quelle que soit la réponse qu’il apportera à cette question, elle nous permet de revenir sur l’épineux problème du rapport des Français à l’intégration européenne. 

Un ralliement d’Alain Juppé à la liste LREM-Modem pour les élections européennes symboliserait fortement la double impulsion souhaitée par Emmanuel Macron : remettre la question européenne au cœur de notre vie politique et prolonger l’onde de choc de la présidentielle en obligeant les partis actuels à une recomposition et à la formation de nouveaux blocs politiques. Ce scenario repose sur l’hypothèse que les tenants d’une Europe progressant vers plus d’intégration et d’une France à l’avant-poste de ce mouvement se retrouvent dans un même camp et dépassent leurs oppositions passées, exprimées en termes de gauche et de droite.

Or, un délicat problème se pose à ce grand projet. Dans la France d’aujourd’hui, une pluralité d’opinions existe en fait sur la question de l’Europe, qui ne peut se réduire au schéma binaire qui oppose les « pro-européens» aux « anti-européens ». Cette opposition schématique n’occupe plus la même place que dans la France de 1990 lorsque le référendum sur le Traité de Maastricht avait porté au sommet le clivage entre les visions « souverainistes » et les visions « intégrationnistes ».

Si l’on rejouait aujourd’hui le match Mitterrand / Séguin (lors de leur débat télévisé du 3 septembre 1992, à peu de temps du référendum sur le Traité de Maastricht) on aurait, en fait, toutes les chances de passer  à côté de l’essentiel. Car entre temps s’est joué un autre match, celui du référendum de 2005, et que le climat général du rapport des Français à l’Europe a fortement évolué. 

On est passé progressivement d’un débat centré sur la souveraineté nationale à un débat centré sur l’impact des choix économiques européens sur les politiques menées au France. 

La question des frontières s’est également transformée : alors que la question des limites géographiques de l’UE a beaucoup animé les débats après l’élargissement de l’Europe en 2004 (lorsque dix pays nouveaux, comme la Pologne, la Hongrie, la Slovaquie, sont rentrés dans l’Union), ces questions semblent aujourd’hui au point mort. Nos dirigeants européens ont d’ailleurs plus ou moins prononcé l’acte de décès de l’adhésion de la Turquie. La question de l’espace Schengen et du contrôle des frontières nationales a pris le dessus, à travers les débats sur les migrations.

De même, si la présidentielle a mis la question de l’Europe au centre des débats et que le second tour a bien opposé deux visions opposées en tout point sur ces questions, il ne faut pas oublier le premier tour de cette élection. Celui-ci montrait, non seulement que l’électorat était coupé en quatre et pas seulement en deux, mais que les visions de l’Europe portées par les quatre premiers candidats contenaient des différences majeures qui ne se résumaient pas à Marine Le Pen contre les autres.

Tout le pari de la recomposition voulue par Emmanuel Macron à travers la question de l’Europe est donc d’attirer vers lui les tenants de l’intégration européenne, venant de la gauche et de la droite. Ils mettraient de côté leurs divergences sur les orientations de l’Europe pour ne retenir que leur accord sur le principe même de l’intégration européenne. 

Cette entreprise va se révéler délicate : depuis le début des années 2000, c’est davantage la contestation des orientations économiques de l’Europe qui fait débat que le principe même de l’Europe. Or cette contestation n’est pas sans lien avec le clivage gauche-droite. Réanimer un débat sur l’Europe en France peut potentiellement faire sortir le clivage gauche-droite de son relatif sommeil, car il ne dort que d’un œil…

Au fait, Alain Juppé avait publié (en 1993) un livre fort intéressant, La tentation de Venise, où il laissait apparaître ses questionnements internes : la politique mérite-t-elle qu'on lui consacre sa vie ? N'est-elle pas, en fait, moins intéressante que l'art, ou l'amour, ou la beauté ? Et si Alain Juppé prenait en fait le large... mais dans quelle direction ?

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