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Quand c’est flou… : petit guide des ambiguïtés macronniennes
©Reuters

Ombre et lumière

Entre ses paroles et ses actes, on peut constater un certain écart qu'illustre très bien le "en même temps" du Président de la République. Un jeu d'ambiguités qui pourrait s'avérer dangereux s'il persiste dans les années à venir.

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : A plusieurs reprises, Emmanuel Macron a pu être pris en défaut dans l'écart existant entre ses discours et déclarations d'intention et les actions politiques menées jusqu'alors. "Je propose une politique fiscale plus réaliste, plus juste et plus équilibrée", "Je souhaite revenir à une filiation française que je qualifierais plutôt de gaullo-mitterrandienne ou de chiraquienne " "l'Europe est de retour", "je ne veux plus d'ici la fin de l'année avoir des hommes et des femmes dans la rue", "nous devons accueillir des migrants, c'est notre honneur et notre devoir", "refonder l'Europe", sont autant d'exemples de phrases qui semblent marquer une distance avec les réalité des actes. Quels sont les écarts constatés les plus importants d'Emmanuel Macron, entre les paroles et les actes, notamment au travers de ces phrases ? 

Christophe Bouillaud : La liste est longue, et elle sera forcément subjective de ma part. Le plus grave, par ordre d’importance, me semble devoir être l’écart entre un affichage écologiste – avec le beau slogan « Make Our Planet Great Again » et un Nicolas Hulot Ministre de la transition écologique - et la réalité des décisions prises en la matière. L’éventuel arrêt du projet de Notre-Dame-des-Landes ne doit pas cacher en effet qu’en matière de commerce international, la politique française, comme on l’a vu récemment lors de la visite d’Emmanuel Macron en Chine ou lors de l’approbation du traité CETA par la France, tourne résolument le dos à toute conception écologique du monde. Nous allons continuer à encourager à l’échelle mondiale l’émission de toujours plus de CO2 dans l’atmosphère. Et, ne parlons même pas de cette mine d’or en Guyane française que le gouvernement voudrait autoriser semble-t-il, alors même que l’or n’est pas un métal rare stratégique et que, s’il y a bien une chose importante en Guyane, c’est justement le fait que la France, Etat de droit, Etat où les trafiquants de bois ne font pas la loi, pourrait y sauver sa petite part de forêt amazonienne, alors que le Brésil actuel s’est lancé dans sa destruction systématique au nom de la relance de sa croissance. Ou n’évoquons pas cette petite mesquinerie de prétendre interdire l’exploitation des énergies fossiles sur le territoire français, tout en l’autorisant tout de même en pratique au-delà de 2040. Que dire aussi du maintien de fait de la priorité au nucléaire ? On a dit que le mouvement d’Emmanuel Macron s’inspirait des méthodes du secteur privé. J’ai bien peur qu’en matière d’écologie, il nous fasse le coup de ce qu’on appelle le « greenwashing », tellement typique des grandes entreprises contemporaines, c’est-à-dire faire semblant pour la galerie des consommateurs un peu naïfs et confiants dans la morale commune de la parole donnée de respecter les contraintes et les opportunités écologiques, tout en continuant discrètement à s’en moquer royalement, au nom justement des royalties à verser aux actionnaires. 

Ensuite, je citerai le rapport au monde du travail. Le gouvernement prétend être celui qui veut revaloriser le travail et donne pour exemple la bascule favorable aux salariés entre la suppression de certaines cotisations et l’augmentation de la CSG. Déjà, il faut noter que cela ne concerne que les salariés du secteur privé et pas du tout les fonctionnaires, qui, eux, n’y gagneront rien, ce qui laisse à supposer que ces derniers n’ont pas besoin de voir leur travail mieux valorisé, sans doute parce qu’ils sont censés être tous des fainéants. Passons. Le plus grave est que cette stratégie affichée d’augmentation du pouvoir d’achat des salariés du secteur privé est contrecarrée par les mesures prises dans le cadre de la loi travail. Dans le cadre du rapport de force actuel créé par le chômage de masse et les difficultés sectorielles de beaucoup de branches de l’économie, ces mesures vont toutes dans la direction d’une baisse rendue possible du coût du travail pour les entreprises, et donc des salaires versés au final. On peut même imaginer un scénario tragique, où, grâce à ces mesures (comme les licenciements facilités ou les ruptures conventionnelles collectives), les entreprises se débarrasseraient massivement de leurs salariés séniors bien payés pour les remplacer par des juniors moins rémunérés. Il est vrai que cette vielle tendance à la gestion de la masse salariale par le dégraissage des salariés âgés s’est déjà renforcée depuis l’introduction de la rupture conventionnelle dans notre droit du travail en 2008, mais, ne risque-t-on pas de la voir s’accélérer encore? En tout cas, il me parait contradictoire de vouloir baisser le coût du travail en France d’un côté pour être compétitif et d’augmenter le pouvoir d’achat des salariés français de l’autre pour donner du pouvoir d’achat - le levier de la baisse des cotisations sociales ne suffira pas à lui seul en effet à combler l’écart de compétitivité avec les pays voisins et cela finira par être insoutenable budgétairement. 

Sur l’Europe, les choses commencent à se dessiner à travers le pré-accord de coalition en Allemagne entre CSU/CDU et SPD. Au mieux, Emmanuel Macron obtiendra un « Fonds monétaire européen » très éloigné des visées de démocratisation qu’il affichait lors de sa campagne et demandait lors de ses différents discours sur le sujet. Emmanuel Macron aura beau afficher un leadership, il reste que l’Union européenne constitue une lourde machine fondé sur le compromis permanent. 

Enfin, pour venir à un sujet qui me tient à cœur comme universitaire, le discours actuel sur l’Université est parfaitement hypocrite, et d’autant plus pénible à entendre d’ailleurs que la Ministre en poste est elle-même une universitaire qui devrait savoir de quoi elle parle. Les nouvelles mesures de régulation de l’inscription en première année d’études universitaires constituent en effet l’introduction d’une sélection de fait, qui est dissimulée dans un fatras sémantique (les « prérequis ») et un brouillard bureaucratique (avec une complexification de la procédure en aval, au lycée, et en amont, à l’université et au rectorat). On est en train de construire une magnifique usine à gaz pour dissimuler la réalité de cette nouveauté. 

Cette « kludgeocracy », pour reprendre un terme américain qui désigne ces politiques toutes en complications destinées à cacher au grand public leurs objectifs véritables, va coûter beaucoup aux universités en terme de travail des administratifs et des universitaires pour cette vaste entreprise de tri individualisé des très nombreux dossiers reçus. Elle sera injuste, parce que, comme c’est une usine à gaz, rien n’est clairement dit, comme avec ces risibles « prérequis par filières », aussi vagues que bienveillants, diffusés par le Ministère pour aider les universités à cadrer leur travail de tri. Personne ne peut travailler sérieusement sur une telle base qui veut tout et rien dire à réguler des flux massifs comme ceux qui sont organisés par la nouvelle procédure – ou alors, il faut que les universitaires et les administratifs ne fassent plus que cela pendant des mois pour faire le cas par cas promis par la Ministre. 

De deux choses l’une, soit on est donc pour la sélection, et on la fait comme partout, par la filière du bac, les notes et le dossier scolaire, comme on sait très bien le faire en classes préparatoires par exemple – et c’est ce qui devra se faire en pratique sauf à saturer la machine universitaire - ; soit on est vraiment contre, et alors là, il est inutile de se lancer dans ce grand machin des prérequis, avec une lettre de motivation en plus – et, d’ailleurs, qui va la lire cette lettre ? Un logiciel d’IA dédié, créé à la va-vite par les ingénieurs du Ministère ? Par ailleurs, selon la Ministre, à la fin de tout ce processus gazier, l’Université est encore censée accueillir tout le monde, y compris dans des sortes d’années « 0 » de remise à niveau, encore à créer, sauf que, déjà aujourd’hui, la plupart des Universités sont restés sans moyens pour ce qu’elles font déjà. Certes, le gouvernement a promis plus de moyens pour les futures années « 0 », mais, en pratique, ces moyens nouveaux, dont j’ai cru comprendre qu’ils seraient d’autour de 25 millions d’euros cette année, ne combleront pas l’énorme retard pris dans ce domaine des moyens de la pédagogie, tous ces postes permanents non pourvus pour cause de déficits liés à des dotations ministérielles sciemment mal calculées pour étrangler les Universités et leur apprendre à filer droit vers leur nécessaire privatisation à venir. Et puis, il faut rappeler que, s’il venait à l’idée de mettre des MOOC (cours en ligne) pour faire rattraper un niveau acceptable aux étudiants déficients dans cette année 0, cela ne marchera jamais. On le sait par les études déjà disponibles sur cet outil pédagogique, qui ne peut aider que des étudiants déjà très au fait des choses. Ce qui marcherait éventuellement, c’est l’ajout de beaucoup personnel bien formé capable de résoudre les difficultés de chacun en année « O » de manière individualisée. Un encadrement façon lycée en somme, comme en classes préparatoires ou en BTS. Or ce gouvernement ne veut pas du tout avoir plus de personnel universitaire à sa charge – il a promis en effet d’avoir moins de fonctionnaires et pas plus. 

Plus généralement, c’est la même chose pour tous les services publics, le discours du « faire mieux avec moins de moyens » finit par apparaitre absurde en pratique. A ce propos, est-ce que vous connaissez un hôtel de luxe qui, au nom de la qualité du service au client, tiendrait ce genre de langage ? « Nous avons supprimé un tiers du personnel pour mieux vous servir, et les deux tiers restants ont été recruté au rabais parmi des gens n’ayant aucune qualification en hôtellerie. » Absurde bien sûr. Les services publics (police, justice, hôpital, éducation, etc.) sont en fait des services comme les autres : plus de main d’œuvre, et de la main d’œuvre de qualité si possible, donne plus de satisfaction au final à l’usager ou au client. « Pas de mains, pas de chocolat », comme on disait un film comique d’il y a quelques années

Cependant, Emmanuel Macron connaît une progression dans l'opinion après une chute pendant l'été. Comment expliquer ce sentiment favorable ? Les Français sont-ils plus sensibles aux discours, ou s'agit-il des actes qui forment la popularité d'Emmanuel Macron ? 

Il faut bien tenir compte du fait que la popularité tient beaucoup aussi à l’image que les médias donnent de l’action présidentielle, et aussi de la personne du Président. Force est de constater qu’Emmanuel Macron tient extrêmement bien son rôle de Président, en particulier sur la scène internationale. Toutes les formules un peu creuses que vous citiez en début d’entretiens sont tout de même bien aptes à incarner la présidentialité à la française. Une certaine virilité aussi du personnage, qui contraste avec tout ce qu’on a pu lire sur François Hollande, le « mou » et l’ « indécis ». Emmanuel Macron avant d’être Président a été en stage à l’Elysée en quelque sorte, et, vraiment, tout montre que son stage y a été très réussi, puisqu’il ne veut pas être le François Hollande de service. Et puis, reconnaissons-lui ses dons d’acteur. Il peut dire en public n’importe quelle formule creuse avec une conviction tout à fait remarquable, et il sait improviser au besoin. 

Ensuite, sur certains points, comme la gestion de l’immigration, il est probable que l’hypocrisie de l’action menée plaise : les discours généreux du Président et l’action musclée du Ministre de l’Intérieur sont bien en phase avec une hypocrisie majoritaire dans la société, qui pourrait être résumée ainsi : « Bien sûr je ne suis pas raciste et qu’il faut aider les persécutés, mais l’immigration, cela commence à bien faire. » Cette attitude du gouvernement a réussi à réveiller toutes les associations sincères dans leur attachement aux droits de l’Homme et l’Eglise catholique, mais il faut bien souligner que cette vision humaniste des uns et des autres est minoritaire dans l’opinion publique.

Il y a aussi pour aider à la popularité présidentielle l’absence d’une parole d’opposition forte de la part des trois grands partis historiques, les Républicains, le Front national et le Parti socialiste, toujours bien mal remis de leurs déroutes respectives.

Par contre, en pratique, lorsque les électeurs vont commencer à juger des conséquences réelles des politiques suivies pour eux-mêmes, personnellement, cela risque d’être plus compliqué pour Emmanuel Macron. Par exemple, pour revenir sur le cas de l’Université, j’attends de voir ce qui va se passer au niveau des aspirants étudiants de cette année et de leurs parents quand ils vont découvrir l’étendue de l’usine à gaz qu’on leur a construit. Ils vont apprécier de constater que la sélection existe en fait… Les étudiants admis dans ces futures années 0 vont aussi apprécier le niveau d’improvisation qui risque d’y régner au moins su l’année 2018-19. Même chose pour tous les services publics, ou pour le fonctionnement du marché du travail. Comme Emmanuel Macron a eu tendance à présidentialiser à nouveau le pouvoir, il est probable que beaucoup de difficultés connues par le pays lui seront attribuées ensuite, même s’il pourra classiquement utiliser ses ministres comme « fusible ». 

Quel est le risque, à terme, pour Emmanuel Macron, dans une telle perspective ? L'écart entre discours et politique est-elle nécessairement préjudiciable ou faut-il y voir une stratégie efficace ?

Pour l’instant, c’est une stratégie efficace lorsqu’il flatte le sentiment des majorités elles-mêmes quelque peu hypocrites. Après tout, pour revenir sur l’écologie, qui me tient à cœur, les Français ne sont-ils pas férus à en juger par les publicités à leur propos et leurs ventes férus de 4X4 bien lourds, bien encombrants et bien polluants ? Et, puis, tous ces conducteurs ne veulent pas avoir à ralentir avec sur les petites départementales. Ils sont bien peu écologistes en pratique. Il n’est que de voir les précautions de langage prises pour annoncer la baisse à 80km/heure de la limitation de vitesse sur les départementales. La politique d’Emmanuel Macron est aussi en phase par bien des côtés avec les tripes du pays profond.

En revanche, là où les difficultés peuvent s’accumuler, c’est si l’écart entre le discours tenu et les constats fait dans la vie quotidienne devient trop grand. Un excellent acteur, comme l’est Emmanuel Macron, peut d’un coup être perçu justement comme un acteur par les simples citoyens, celui qui n’existe qu’à travers son masque d’acteur. Normalement, c’est le travail de l’opposition de ramener la population à la réalité en critiquant le pouvoir en place. Pour l’instant, ce travail n’est pas fait – sauf par la France insoumise, qui n’est toutefois qu’une petite organisation. Mais le réveil des autres oppositions peut aussi finir par arriver lui aussi.

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