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Accord de gouvernement en Allemagne : la GroKo veut un nouveau départ pour l’Europe mais ne prévoit rien qui le permette vraiment
©John MACDOUGALL / AFP

Ja, aber...

Après d'interminables discussions, la CDU d'Angela Merkel et le SPD de Martin Schulz sont parvenus à un accord provisoire de gouvernement. Mais malgré les propos de la chancelière, il parait difficile de penser que cet accord marquait "un nouveau départ pour l'Europe".

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot

Rémi Bourgeot est économiste et chercheur associé à l’IRIS. Il se consacre aux défis du développement technologique, de la stratégie commerciale et de l’équilibre monétaire de l’Europe en particulier.

Il a poursuivi une carrière d’économiste de marché dans le secteur financier et d’expert économique sur l’Europe et les marchés émergents pour divers think tanks. Il a travaillé sur un éventail de secteurs industriels, notamment l’électronique, l’énergie, l’aérospatiale et la santé ainsi que sur la stratégie technologique des grandes puissances dans ces domaines.

Il est ingénieur de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace (ISAE-Supaéro), diplômé d’un master de l’Ecole d’économie de Toulouse, et docteur de l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (EHESS).

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Atlantico : Après plus de 100 jours d'incertitude, un accord entre SPD et CDU/CSU semble avoir vu le jour au matin de ce 12 janvier. Angela Merkel faisant suite à cette négociation, a pu déclarer qu'il s'agissait "d'un nouveau départ pour l'Europe" et que l'Allemagne "allait trouver des solutions avec la France". Au regard du texte publié suite à cet accord, quelle est la réalité à attendre au niveau européen ? 

Rémi Bourgeot : Martin Schulz, le chef de file des sociaux-démocrates, a obtenu une victoire de nature dactylographique, l’Europe occupant le premier paragraphe du document d’accord préalable. Sur le fond néanmoins, on ne peut que constater un évitement de la question de la zone euro, les avancées proposées par Paris étant encore taboues en Allemagne. Les partis se sont plutôt engagés sur la voie de formulation relativement vague sur l’Union européenne plus généralement. La question des investissements a été mise en avant, avec la prise de conscience en particulier du problème des infrastructures allemandes. Au niveau européen, le discours sur les investissements passe par la possibilité d’une contribution plus importante de l’Allemagne au budget européen, mais il ne s’agit pas des projets de consolidation institutionnelle de la zone euro évoqués depuis plusieurs mois dans les cercles européens. En particulier la question de la mise en place d’un budget de la zone euro reste particulièrement problématique, d’autant plus s’il s’agit d’envisager des montants significatifs.

Il semble que les sociaux-démocrates aient réussi à obtenir quelques accords de principe pour des gestes en faveur de l’Europe, mais naturellement ceux-ci ne dépassent pas les tabous allemands en matière de solidarité et de transferts budgétaires. Le décalage entre l’insistance sur la question européenne et le flou des sujets abordés est marquant et pointe le risque d’un emballement rhétorique dans les capitales européennes sans fondements concrets.

​Au regard des propositions faites par Emmanuel Macron dans son discours de la Sorbonne, quels sont les points d'entente envisageables ? Quelle pourrait être la réalité de ces "solutions" évoquées par Angela Merkel ? 

Le document évoque la coopération franco-allemande, mais on a l’impression qu’il s’agit avant tout de compenser le manque d’avancées concrètes et de ménager Emmanuel Macron qui s’est massivement investi dans cette question malgré le fossé considérable qui sépare la France et l’Allemagne. Alors qu’il a été proclamé que le parachèvement de la zone euro n’était plus qu’une question de mois, à la suite de son élection, la réalité des débats allemands invalide cette représentation de la situation européenne.

L’idée de transformer le Mécanisme européen de stabilité en une sorte de « Fonds monétaire européen » peut paraître grandiose d’un point de vue administratif. Cette proposition sert pourtant surtout à éviter le fond des débats. Ce Fonds servirait à financer des investissements hors des périodes de crise notamment, en échange d’une supervision accrue des budgets nationaux.

La donne en Allemagne est celle d’une envolée de l’AfD, dont le cheval de bataille avant sa réorientation sur l’immigration, était le rejet de tous transferts budgétaires massifs au sein de la zone euro. Les partis de la coalition au pouvoir, qu’il s’agirait de reconduire, sont ressortis profondément affaiblies des élections de septembre. Le SPD, sous la direction de Martin Schulz, a réalisé son pire résultat depuis 1933. Quant à Angela Merkel, la réalité qu’elle affronte est celle d’une remise en cause sur sa droite au sein même de son parti et de la CSU en Bavière, après avoir gouverné durant douze ans en prenant des idées par-ci par-là, quitte à les inverser quelques mois plus tard.

La crise politique allemande est profonde, et loin d’un simple accident électoral, le dernier scrutin a montré l’essoufflement du recours à la grande synthèse de la coalition pour gouverner le pays. Derrière la volonté de ménager Emmanuel Macron sur l’Europe et de donner quelques gages à un Martin Schulz qui peine à envisager une véritable relance de son parti, Angela Merkel joue sa survie, et le sujet en Allemagne, au-delà du marasme de ces négociations, n’est pas l’approfondissement de la construction européenne.

​Au-delà des éventuels points de désaccord entre ​les deux pays, en quoi les propositions faites, aussi bien par Emmanuel Macron que par Angela Merkel, seraient à même de répondre aux défis de la zone euro et de l'UE ? Les ambitions sont-elles à la hauteur des enjeux ?

Il est quelque peu surprenant que l’élection d’Emmanuel Macron ait conduit aux pronostics les plus enthousiastes, voire même euphoriques, au sujet de la relance de la construction européenne. Cela ne correspond pas à la donne politique en Allemagne. Il est également intéressant d’écouter la remise en cause que proposent d’autres dirigeants sociaux-démocrates, qui comprennent l’impasse politique dans laquelle se situe leur parti et le besoin de redévelopper une ligne populaire. La plupart des pays européens sont désormais enlisés dans une crise politique de fond qui, au-delà de la question des stratégies électorales des partis, remet en cause leur approche politique et économique.

La stratégie européenne, en particulier depuis la crise de l’euro, a consisté à mettre en place un gigantesque système de nivellement par le bas, d’abaissement des coûts salariaux, de compression des investissements et de mise en place de réformes dites structurelles qui font l’impasse sur l’enjeu du développement économique et technologique. La prise de conscience en Allemagne de l’impasse que constitue la politique de désinvestissement continu est positive pour le pays et pour l’Europe. Pour l’heure néanmoins, ni les propositions françaises et allemandes, ni même le cadre intellectuel des débats, n’indiquent une réorientation vers un modèle économique de développement technologique pour le continent.

Les dirigeants des deux côtés du Rhin comprennent que la concurrence chinoise en particulier est en pleine mutation sur le terrain technologique, mais la réalité de la réponse européenne reste cantonnée à l’invocation d’une relative volonté de réciprocité. Le cadre de la convergence monétaire qui occupe le devant de la scène européenne depuis quatre décennies s’est imposé au détriment de l’action sur les déterminants de fond du développement économique. Non seulement, les débats sur le parachèvement de la zone euro butent sur une impasse politique fondamentale entre nos pays, mais ils détournent surtout le débat des enjeux d’avenir, dans une Europe et un monde dont les déséquilibres nécessiteraient un considérable effort de réalisme.

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